Monsieur le Directeur quel regard portez-vous sur la culture au Niger de nos jours ?
Au Niger, tout comme dans la sous-région, on constate la disparition de certains éléments culturels notamment : les valeurs et traditions qui sont de plus en plus remplacées malheureusement par des valeurs importées qui, généralement, ne riment pas avec les réalités du pays. Pourtant, le Niger a beaucoup des valeurs, par exemple la parenté à plaisanterie qui est une valeur nigérienne inscrite sur la liste des patrimoines culturels de l’UNESCO et qui fonde le socle même de notre unité, de notre coexistence pacifique. Le fait de se taquiner entre nous est une valeur capitale à maintenir. Pour cette raison on n’a pas intérêt à la faire disparaître car, si aujourd’hui nous sommes en paix entre nous, nous nous comprenons, nous nous considérons comme des frères et sœurs, c’est parce que nous avons mis en avant notre culture, notre tradition, particulièrement cette parenté à plaisanterie.
Quels sont les principaux défis liés à la préservation et la promotion de la culture nigérienne à l’ère de la mondialisation et des changements socio-économiques ?
La modernité a fait que les jeunes embrassent plus le bling-bling moderne au détriment de la culture traditionnelle. Je suis un artiste tradi-moderne, mais foncièrement, je suis traditionnel car, j’ai toujours mon instrument traditionnel ‘’le gouroumi’’ qui est un peu joué par les jeunes artistes. Mais, par exemple le ‘’Biram’’ est un instrument qui a presque disparu au Niger, n’eut été la vigilance de feu Malam Maman Barka, paix à son âme, qui a fait des recherches, qui a ramené cet instrument traditionnel de musique, sur la scène musicale et qui a pu former des jeunes pour assurer la relève. Aujourd’hui, beaucoup d’instruments sont en voie de disparition si on ne prend garde ils disparaitront. Le copier-coller que nos jeunes artistes essaient d’embrasser a fait qu’ils utilisent plus des instruments modernes que traditionnels, alors que sur le plan mondial on peut faire la promotion de nos instruments traditionnels tels que ‘’Gouroumi, ‘’Molo’’, ‘’Gogué’’, ‘’Douma’’, ‘’Kazagui’’, ‘’Goumbé’’, ‘’Tendé’’ et bien d’autres car, ce n’est pas tout le monde qui sait les jouer. Mais, la guitare ça s’étudie. On peut savoir la lire et la jouer, alors qu’on ne peut pas lire le ‘’Gouroumi’’ et en jouer. Nous devons être jaloux de nos éléments culturels, les protéger, les préserver et surtout les promouvoir. Nous devons également inciter nos jeunes artistes à apprendre à manipuler nos instruments traditionnels et que le public nigérien puisse en consommer, puisque, créer est une chose et consommer en est une autre. Nous avons un problème de consommation, la population accorde plus d’importance aux acteurs de ‘’Dandali Soyayya’’ qu’aux autres artistes nigériens. Nos médias aussi ne mettent pas en avant la diffusion des œuvres nigériennes d’abord et les autres ensuite car, la culture n’a pas de frontières. L’originalité et l’authenticité manquent à certains de nos artistes parce-que tout simplement on a embrassé autre chose. C’est vrai qu’aujourd’hui l’esthétique de réception, comme on dit, fait du public le roi, ce qui fait que n’importe quoi peut devenir de l’art. Il y a des artistes qui passent tout leur temps à dire « regarde ma montre, ça dépasse la tienne, regarde ma chemise, je fais ceci, je fais cela’’. Ce ne sont pas des paroles qui conscientisent, mais le public aime parce-que c’est ça le bling-bling malheureusement.
Monsieur le directeur quel rôle joue la musique au sein de la culture nigérienne ?
La culture nigérienne est riche et diversifiée, reflétant l’histoire et la tradition d’un pays qui a été un carrefour important pour les échanges culturels en Afrique de l’Ouest. La musique joue un rôle central dans la vie quotidienne des Nigériens, avec des genres variés tels que le Hausa, le Zarma-Songhay, et le Fulfulde. Les instruments traditionnels comme le kalangou, le hoddu, et le molo étaient autrefois utilisés lors de cérémonies et des festivals. Les danses traditionnelles étaient également des éléments essentiels de la culture nigérienne, transmettant des histoires, des émotions et des traditions ancestrales.
Quelles sont les initiatives prises par le Ministère de la Jeunesse, de la Culture, des Arts et des Sports pour soutenir et promouvoir l’industrie musicale locale ?
Le ministère est en train de travailler pour valoriser notre culture. Pour preuve plusieurs manifestations sont organisées chaque année dans des régions du Niger qui rassemblent les différents acteurs en vue de promouvoir des jeunes talents. Il s’agit entre autres de la Semaine de la parenté à plaisanterie, du Prix ‘’Dan Gourmou’’, des conférences débats, des formations, des caravanes de sensibilisation et récemment la Foire des Industries et Entreprises culturelles (FICNI), tenue du 31 mai au 06 juin 2024 au Centre Culturel Oumarou Ganda (CCOG) pour faire découvrir à la population ce que les artistes sont en train de faire, amener cette dernière surtout les jeunes, à découvrir la culture nigérienne. En effet, le cahier de charges du Ministre en charge de la Culture inclut ce qu’on appelle une mobilisation individuelle et collective pour un changement social, comportemental et un changement de mentalité. Pour cela, il faudra nécessairement passer par les artistes et les médias pour que la vision du Niger soit comprise par la population, qu’elle s’engage à accompagner les autorités. C’est de cette façon qu’on est en train de promouvoir notre identité culturelle mais aussi notre sens de responsabilité pour la reconquête de notre souveraineté.
Quelles sont les voies à suivre pour que la musique nigérienne retrouve ses lettres de noblesses et reflète les réalités sociales et culturelles du pays ?
La promotion de nos valeurs culturelles est une affaire de tous, surtout que nous sommes dans un contexte de changement social, comportemental et de mentalité. Toute chose qui ne laisse personne à l’écart. Chacun doit se mobiliser pour faire de notre Niger, un pays émergent. Nous devons tous nous mettre autour de la culture, faire en sorte que chacun en ce qui le concerne essaie de promouvoir cette culture soit en la consommant, soit en la partageant. Il faudrait que nos artistes essaient de produire des chansons qui contiennent des messages qui vont conscientiser les populations, leur permettre de changer des comportements et de se sentir des patriotes dignes, de faire d’eux des citoyens responsables et qui vont nous amener à vraiment entreprendre une démarche patriotique. Ils doivent fouiller dans notre tradition, dans notre culture pour prendre des messages forts et les transmettre à leur manière car, on ne se réveille pas un bon matin pour dire qu’on est chanteur. On devient chanteur, on se forme, on apprend. Il y a des professionnels qui peuvent les aider avec le peu de moyens ou même gratuitement à enrichir leur texte et leur musique pour qu’ils puissent produire des œuvres de qualité qui vont permettre à nos médias de faire de larges diffusions et à la population de savourer nos musiques ou nos œuvres. C’est juste une question d’approche.
Par le passé, les artistes font des tournées pour aller à la rencontre des gardiens de la tradition pour se former et collecter des informations avant d’arranger leurs chansons. Ce qui fait qu’ils mettent sur le marché des chansons pleines de sens du début à la fin. Aussi, la population doit soutenir les acteurs et les professionnels de la culture en participant à leur concert, en achetant leurs œuvres et en consommant ce qu’ils sont en train de faire. Aux médias de voir dans quelle condition ils vont faire la sélection des œuvres nigériennes pour qu’ils les mettent en avant dans leur diffusion pour promouvoir la consommation locale de nos produits.
Aïchatou Hamma Wakasso (ONEP)