
Entre le stage et les heures de repos, Moussa Ibrahim Sabo, diplômé en science de l’éducation à l’Université Djibo Hamani de Tahoua, avec comme spécialité enseignement de Français-Anglais, ne trouve du loisir que dans l’artisanat. Il s’y est intéressé dès sa première année universitaire et a su acquérir une expérience et un savoir-faire impressionnant. Malgré la régression du secteur, le jeune de 27 ans s’impose et s’en sort exceptionnellement à travers le e-commerce pour l’écoulement de ses œuvres.
Natif de Niamey, il obtint son baccalauréat à Illéla (dans la région de Tahoua), avant de s’inscrire à la fac. Aujourd’hui, titulaire d’une licence, Moussa ne reste pas cloitré, le regard figé sur une carrière incertaine dans l’enseignement. Enseignant-stagiaire dans une école privée de la place, il a son atelier au centre artisanal de Tahoua, où il confectionne des sandales, des babouches et des souliers, à base du cuir local.
Les chaussures en cuir, c’est bien son style personnel. Mais Moussa fut, un jour, étonné d’en trouver à son goût, d’une fabrication 100% locale, dans l’un des plus vieux quartiers de la ville de Tahoua, Wadata. «J’ai trouvé des chaussures très élégantes, et à des prix vraiment abordables. C’est chez Malam Zakaria au quartier ; c’est une référence dans ce travail, tout le monde le connait ici», affirme Moussa. Porté par la curiosité face au chef d’œuvre, le jeune étudiant approche le vieil artisan. D’un client fidèle, à force d’admirer le talent de son cordonnier, il finit par vouloir lui ressembler. «J’étais en première année de la fac quand j’ai commencé à m’intéresser à cette activité. Quand je descends à 13h, je partais directement chez Malam Zakaria. Il m’a bien accueilli, m’a initié et m’a aidé à me perfectionner. Je me suis installé, ensuite, au centre», explique le cordonnier.
«J’ai obtenu ma licence en 2021. Depuis lors j’ai postulé à plusieurs reprises à des offres, mais en vain. Dieu merci, je m’occupe, je m’en sors bien, j’ai ma dignité au moins. J’ai même une attestation dans ce métier», se contente ce cadre de l’éducation. La réalité du pays oblige ! Moussa a su très tôt, que trouver de l’emploi n’est pas une garantie, lui qui dit avoir vu des ainés sombrer dans le chômage. «L’artisanat, c’était déjà mon plan B, si je peux le dire ainsi. Et c’est après la licence que je me suis installé au centre. J’ai déposé pour le service civique, mais dans la vague qui est sortie dernièrement, je n’ai pas vu mon nom, prochainement peut-être. Je garde aussi toujours ma carte de l’ANPE, j’effectue un stage comme enseignant d’anglais à l’école CSP Amama», indique le jeune Moussa. Pour lui, allier stage et activité de cordonnerie n’est qu’une question d’organisation, d’autant que l’école au secondaire c’est dans la matinée entre 8h et 13h30.
Moussa a son atelier chez les cordonniers du centre artisanal de Tahoua mais, l’universitaire s’y prend autrement, aisément au-dessus de la tourmente de la mévente qui hante ses collègues artisans. Ses articles font bon marché. «Il y a des commerçants des prêt-à-porter au marché et en ville qui paient en gros mes chaussures. C’est souvent sur commande d’ailleurs. Aussi à travers les réseaux sociaux, je vends beaucoup. Je n’attends jamais des clients ici. J’ai mon apprenti qui fait la livraison des commandes. Il sillonne la ville avec ce qui reste. J’envoie aussi un peu partout, particulièrement à des fidèles grossistes à Illéla et à Niamey», confie l’artisan.
Ce mercredi 8 mars, il ne lui reste plus rien. Le jeune Moussa, qui fait en moyenne 2 paires de chaussures par jour, après une demi-journée à l’école et avant d’aller dispenser des «cours de maison» en fin d’après-midi, venait de faire livrer en ville sa dernière paire de chaussure en stock. «Je ne suis pas si sûr de pouvoir abandonner ce métier, même après une éventuelle intégration dans la fonction publique. C’est une passion, et pour moi ça paie. Etudiant, je ne sollicitais rien de personne. Cette activité m’a permis de prendre en charge beaucoup d’aspects de mes conditions à la fac. La famille m’a assisté évidemment mais je lui facilitais beaucoup de choses. Pour les fournitures, les modules et autres, je m’en occupais personnellement. Aujourd’hui, vraiment Dieu merci, mes frères et sœurs en savent, je les assiste de fois», confie avec fierté ce jeune artisan.
Ismaël Chékaré, ONEP-Tahoua