Un (1) milliards deux cent (200) millions de francs CFA : c’est ce que rapporte par an l’exploitation du périmètre irrigué de Djirataoua aux différents acteurs. Produit sans interruption, le moringa contribue pour une grande part dans ces revenus qu’encaissent les 4.227 membres de l’Union des coopératives Aldaci dont 305 femmes. Le périmètre irrigué de Djirataoua, c’est aussi 170 millions de FCFA en moyenne de facture d’électricité qui sont versés par an à la société nigérienne d’électricité. Mais derrière ces chiffres mirobolants se cachent de grosses difficultés face auxquelles les producteurs font preuve d’une détermination sans faille, d’un courage qui force l’admiration et d’une résilience à toute épreuve. Des attitudes qui font de Djirataoua, la localité où le moringa a valeur d’or.
Situé à une dizaine de kilomètre au sud-ouest de la ville de Maradi, Djirataoua est l’un des plus grands sites de production de moringa au Niger. Situé dans un bas-fond abondamment arrosé par le Goulbi’n Maradi, ce village dispose d’un périmètre irrigué réalisé en 1982.
Si par le passé, la production cotonnière a procuré beaucoup de revenus aux paysans de la zone, depuis quelques années c’est le moringa qui fait la fierté de ces producteurs, les femmes y compris. ‘’Le moringa, c’est de l’or’’ dixit Oumarou Ibrahim, directeur de l’aménagement hydroagricole de Djirataoua. ‘’Dieu nous a bénis ; le moringa est une plante bénite’’ renchérit Rabi Maman Amani, présidente de l’Union Marhaba Kunguiya ta anfani zogala.
Ces deux acteurs représentatifs de la chaine de production savent de quoi ils parlent. En effet, d’après les estimations de l’ONAHA, le périmètre irrigué de Djirataoua rapporte en moyenne environ 1,2 milliards de francs CFA par an aux producteurs. Même si ces revenus concernent aussi d’autres spéculations, le moringa représente la part la plus importante. ‘’Zogala uwa ce’’ autrement ‘’le moringa c’est le top’’ précise M. Mati Ousseini, président de la coopérative Djirataoua Nord.
D’après le directeur régional de l’ONAHA Maradi, la superficie qu’occupe la production du moringa sur le périmètre de Djirataoua est estimée à 65 ha en 2019. «Et cette superficie est en constante progression», précise M. Allassane Abdoul Razak. La même source indique que la production du moringa sur le périmètre correspondrait à 1.143,74 tonnes équivalent céréalier toujours en 2019. Tandis qu’un producteur moyen peut vendre chaque deux semaines sa production à 20.000 FCFA, ce qui donnera des recettes de l’ordre de 520.000 FCFA par an.
A quelques encablures du village, des étendues luxuriantes d’arbustes dominent les champs de cultures vivrières pluviables constituées de mil, de sorgho, de niébé et d’arachide qui sont encore à une stade de développement peu avancé. C’est le périmètre irrigué de Djirataoua. De cette verdure luxuriante les plants de moringa sont les plus nombreux. Bien sûr qu’il y a du maïs, des arbres fruitiers (bananiers, citronniers, manguiers, etc.), mais ce qui saute à l’œil c’est le moringa.
Juste derrière les services de l’ONAHA (Office des aménagements hydroagricoles du Niger) à l’entrée du périmètre, un marché s’anime chaque jour et sur toute l’année. Ici aussi, les sacs de feuilles de moringa dominent les transactions. Producteurs, intermédiaires, acheteurs surtout les femmes provenant souvent de loin s’y retrouvent chaque jour. C’est le cas de Tsahara Adamou qui est, ce vendredi 30 juillet, venue de Soumarana pour se procurer du moringa. Cette femme qui a en charge sept (7) orphelins dont trois (3) fils ne trouve son salut que dans le commerce des feuilles de moringa. Tsahara fait ce trajet. «J’achète le sac ici entre 3.500 et 4.000FCFA. Une fois rentrée chez moi, je fais cuire les feuilles pour les revendre. Je m’en sors avec souvent 1.500 FCFA de bénéfice», confie cette brave femme. Comme tous les jours Tsahara et ses compagnons font la navette entre leur village et ce marché, elles ont loué un ‘’adaidata Sahou’’, un tricycle pour le transport de leurs marchandises.
Après l’ère du coton et du blé, celle du moringa
Aux premières années du périmètre irrigué de Djirataoua, c’était le coton. Mais après la ‘’mort’’ de la filière cotonnière, les producteurs se sont ensuite tournés vers le blé. Cette filière finit aussi par s’effondrer avec la fermeture des Moulins du Sahel et les producteurs se sont investis dans la production du moringa et d’autres cultures vivrières et de rente comme le maïs, le niébé, les légumes, et les épices (anis et le piment vert). Et le moringa remplit toutes les promesses attendues de lui. «Au minimum, un producteur peut chaque période de trois semaines récolter pour 80.000 FCFA», explique le directeur du périmètre. «Il y’en a même qui font des recettes de l’ordre de 300.000 FCFA», appuie Harouna Bara, animateur à la radio Anfani et fin connaisseur des questions agricoles locales.
Et la production du moringa s’étend sur toute l’année sans interruption, alors que le maïs est produit trois fois (3) dans l’année, le blé et l’anis une fois, le niébé et l’arachide deux fois.
C’est dire que la contribution du moringa à l’économie locale est incomparable surtout quand on sait que ce périmètre est exploité par 4.227 producteurs dont 305 femmes bénéficiaires de parcelles propres à elles. Entre 2005-2008, le périmètre a été agrandi de 400 ha supplémentaires. Et ce sont les producteurs qui ont personnellement contribué pour débuter la mise en valeur de cette extension. Mais, ce dont les responsables du périmètre sont fiers, c’est surtout la régularité des exploitants en termes de règlement de leurs créances. «Actuellement, nous sommes à un taux de recouvrement des redevances de 99,34%. C’est dire que sur les 4.227 exploitants seuls quelques uns n’ont pas encore fait leurs versement. En fait, chaque fois nous réalisons au niveau de Djirataoua, un taux de recouvrement moyen de l’ordre de 99,74%», précise M. Omar Ibrahim. On ne peut pas dire autant des autres AHA du pays.
Une inestimable contribution à la sécurité alimentaire
Outre les revenus que procurent la production du moringa aux exploitants du périmètre, cette activité apporte aussi une contribution inestimable à la sécurité alimentaire. En effet, comme on le sait, les feuilles cuites et préparées de cette plante sont devenues une véritable spécialité culinaire nigérienne très prisée par les Nigériens lors des cérémonies de baptême et de mariage ou pendant le mois de ramadan. Cet attrait pour les feuilles de “Kopto” est plus marqué à Niamey où cette spécialité est servie dans les hôtels les plus chics de la capitale à l’occasion de grande réception.
En outre, le moringa possèderait aussi des vertus nutritionnelles et même médicinales. En effet, plusieurs études font ressortir les effets nutritionnels du moringa dont la consommation est fortement encouragée y compris par les services de santé. Quand on sait que la région de Maradi est la région qui a le plus fort taux démographique et le plus grand nombre d’enfants par femme du pays, la question de la sécurité alimentaire est une préoccupation.
A Djirataoua, le moringa a contribué à atténuer ce problème. «Depuis que nous avons compris l’importance de cette plante, nous avons moins d’enfants qui souffrent de kwashiorkor», confie Rabi, mère au foyer. Par ailleurs, les jeunes de Djirataoua sont moins enclins à l’exode rural. L’essentiel d’entre eux s’investissent dans la production agricole. «Nous sommes même devenus ‘’le Ghana’’ de la zone parce que les jeunes des autres contrées viennent ici pour y travailler et gagner leur pain quotidien», soutient avec fierté et non sans un grain d’humour la présidente de l’Union Marhaba. Mais l’autre aspect très positif de cette activité à Djiratawa est la solidarité avec les autres villages. «En période de soudure, nous autorisons les gens des villages environnants à venir cueillir gratuitement les fleurs de moringa qui sont aussi consommés. C’est grâce à ça que beaucoup de foyers arrivent à se nourrir pendant cette période difficile», précise-t-elle.
Le coût de l’énergie et l’accès à l’engrais : des équations insolubles pour les producteurs
Le périmètre irrigué de Djirataoua doit ces performances au moringa. Mais derrière ces succès, les producteurs fournissent un effort gigantesque pour surmonter les énormes difficultés qui les assaillent. Le président de la coopérative nord Djirataoua donne une explication qui glace même les plus téméraires d’entre eux. «Sur neuf (9) millions de recettes par exemple, sept (7) millions vont dans le règlement des factures d’électricité. C’est donc dans les deux millions restants que nous payons les redevances, les engrais, les outils, les travailleurs, etc.», explique Mati Ousseini. Selon, les statistiques de l’ONAHA, le périmètre verse chaque année en moyenne 170 millions de FCFA à la Nigelec (la nigérienne d’électricité), une société publique.
L’autre grosse difficulté qui annihile les efforts des producteurs, c’est l’accès aux intrants notamment les engrais. Une situation qui s’est détériorée avec la réforme des engrais entreprises par l’Etat. Même si au plan macro, on chante les louanges d’une telle réforme, sur le terrain c’est l’effet contraire. En effet, depuis cette réforme, les producteurs broient le noir ici à Djirataoua. A titre illustratif, le sac d’engrais urée coûte aujourd’hui entre 15.000 et 16.000 FCFA, celui du 15/15 est à 18.000 FCFA tandis que le sac du DAP lui est vendu à 24.000 FCFA. «Avant, cette réforme la CAIMA nous vendait le sac à 13.500 FCFA quelle qu’en soit la nature de l’engrais», confie avec amertume le président de la coopérative Djirataoua Nord. C’est dire que présentement les producteurs sont livrés à la merci des commerçants et de leurs spéculations. En effet, les trois magasins du périmètre sont désespérément vides. «Depuis l’adoption de cette réforme, on ne nous a pas livré un seul kilogramme d’engrais. Dans le temps de la CAIMA, nos magasins étaient régulièrement approvisionnés. Et chaque semaine après la vente nous faisons les versements à la CAIMA qui nous réapprovisionne aussitôt», explique le directeur du périmètre.
D’autres difficultés structurelles,
L’une des plus grandes difficultés est la vétusté des installations. Le périmètre est vieux de 40 ans. Les forages tombent en pannes, d’autres voient leurs débits drastiquement baissés. A cela s’ajoutent le morcellement des espaces dû à la démographie, le développement des ennemies de culture, la surexploitation du potentiel productif, la baisse de la nappe surtout pendant les mois de mai, juin et juillet. Ces difficultés doivent être prises en charge par les pouvoirs publics.
Pour les exploitants qui arrivent à produire malgré ces contraintes, ils sont confrontés au problème non moins préjudiciable à la survie de leur activité à savoir le problème de commercialisation. En effet, il n’existe pas circuit formel de commercialisation qui permette une bonne rémunération des producteurs. «Tout se passe entre producteurs. Il y’en a qui achètent pour revendre. Il n’y a pas d’intervenants extérieurs», explique le directeur du périmètre. Une autre difficulté qui se pose aux producteurs et surtout aux transformatrices, c’est le manque d’équipements modernes de transformation et de conservation. Une situation qu’exploitent les commerçants pour tirer la couverture de leur côté, sachant pertinemment que l’impossibilité pour les producteurs de conserver les produits frais les forcerait à les brader aux prix imposés par les commerçants. Cette situation est valable pour le moringa et pour les autres spéculations produites à Djirataoua.
Quelques femmes dont la dynamique et influente Rabi Maman Amani qui, en plus de la production s’adonnent à la transformation, du moringa. Avec ses camarades Rabi transforme les feuilles de moringa en savons, en épice ; elle produit également de l’huile de moringa très prisée par les industries cosmétiques et celles pharmaceutiques. Elle prépare et fait sècher également le moringa pour une longue conservation et pour l’expédition dans les autres régions du pays. Rien que pour son propre compte, Rabi emploie 10 femmes pour la cueillette, 5 autres femmes pour la cuisson et deux jeunes ; un personnel qu’elle rémunère quotidiennement à 10.000 FCFA en moyenne.
Le travail est harassant surtout en cette saison de pluies où une tornade peut en un clin d’œil anéantir le travail de plusieurs jours. Sur sa plateforme de travail, Rabi et ses amies étalent les feuilles de moringa pour les sécher. Elle dit rester sur place toute la journée parce qu’il faut régulièrement tourner les feuilles étalées pour obtenir un séchage homogène et surtout il faut guetter le moindre signe de pluies imminente pour sécuriser les feuilles en transformation.
Malgré ces difficultés évidentes Rabi ne renonce jamais. «Cette activité m’a tout donné ; j’ai acheté et construits des parcelles, j’ai payé la scolarité de mon enfant pour plus d’un million de francs CFA, j’ai acheté des animaux d’embouche, j’ai voyagé un peu partout au Niger. Je devais même aller à l’extérieur n’eut été la pandémie ce la COVID, qui a tout chamboulé», confie-t-elle. «Elle a même acheté un moulin à son mari», ajoute une de ses amies avec visiblement une dose d’admiration. Les retombées auraient été plus importantes si les femmes disposaient de moyens modernes de travail et aussi d’un circuit de commercialisation.
Quid du marché de demi gros ?
Un marché de demi-gros a été réalisé avec l’appui financier des partenaires. Malheureusement, l’infrastructure moderne et imposante est restée inoccupée. Aussitôt mise en service, l’incompréhension entre les acteurs a stoppé net la fonctionnalité du marché. Le nœud de la discorde est que les bailleurs veulent que l’infrastructure soit exclusivement utilisée pour la traite des produits de la culture irriguée du périmètre alors que les populations elles, veulent que le marché soit ouvert à tous les produits y compris le bétail ainsi que les autres transactions commerciales. Une grosse incompréhension qui jusqu’à l’heure n’a pas pu être solutionnée. Du coup, les producteurs et les populations ont boudé ce marché de demi gros et sont retournés dans le marché traditionnel situé dans le bas-fond à Djirataoua.
Un véritable casse-tête pour les autorités locales. «Nous avons mené des séances de sensibilisation et tenté des conciliations. Malheureusement jusqu’à présent, les producteurs refusent de revenir dans ce marché. Nous allons poursuivre les discussions avec tous les acteurs concernés», explique M. Bassirou Idi Mahaman, maire de la commune rurale de Djirataoua, un peu gêné par cette situation.
Parmi les raisons avancées par les bailleurs pour refuser l’ouverture du marché aux autres produits notamment le bétail, il y a les questions d’hygiène. En effet, il n’est pas raisonnable de créer une grande proximité entre les produits alimentaires particulièrement les fruits et légumes avec du bétail en ces temps où des virus qui touchent les animaux se mutent et s’attaquent à l’espèce humaine créant des pandémies mal connues de la médecine humaine et difficilement contrôlables, comme c’est le cas de la pandémie actuelle du coronavirus.
Toutefois, il est aussi légitime de se demander sur la pertinence des tels investissements réalisés à coût de milliards de FCFA, si les infrastructures construites devront demeurer inoccupées et inexploitées par les bénéficiaires, bref ‘’des ruines neuves’’.
D’où la nécessité pour les autorités administratives de résoudre cette incompréhension. La solution pourrait venir peut être de la construction d’un marché à bétail non loin du celui du demi-gros.
Quoiqu’il en soit, l’absence d’un circuit formel et organisé de la commercialisation des produits issus du périmètre cause d’énormes manque à gagner d’abord pour les producteurs eux-mêmes obligés de brader leur production par manque d’infrastructures de conservation. Elle n’arrange pas non plus la collectivité qui n’arrive pas à mettre un mécanisme de perception des taxes adéquat.
A propos du périmètre irrigué de Djirataoua
Le périmètre irrigué de Djirataoua a été réalisé grâce un financement de la Banque Mondiale et du FMI pour un coût de 1,5 milliard de FCFA. Initialement ce périmètre couvre une superficie totale aménagée de 532 ha (dont 512,36 ha exploitables». En 1982 le périmètre était exploité par 716 familles et aujourd’hui par 1.734 familles. De 0,32ha en 1982, la superficie parcellaire est aujourd’hui de 0,16 ha. Les exploitants sont regroupés en coopératives (qui sont au nombre de 6) elles mêmes regroupées en Union. L’union Adalci de Djiratoua compte six (6) coopératives totalisant 4.227 membres dont 305 femmes.
Siradji Sanda, Envoyé spécial (onep)