Le Niger a célébré cette année la commémoration de l’Independence sous le thème « Lutte contre l’ensablement des cours et plans d’eau : une voie pour le relèvement et la résilience des communautés locales ». Un thème, à tout point de vue pertinent car, d’actualité pour le Niger dans ce contexte de changement climatique obligeant à recourir nécessairement aux eaux de surface et souterraines, non seulement pour s’adapter mais aussi et surtout pour assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations. Selon Pr Ambouta Karimou Jean-Marie, spécialistes des sciences du sol et en agro-éco-pédologie, il y’a une impérieuse nécessité de protéger et restaurer les bassins versants dégradés (par des actions de récupération des terres dégradées) par l’érosion, avec pour conséquence immédiate l’ensablement des bas-fonds, des plans et cours d’eau, dans l’optique de parvenir à une résilience des agroécosystèmes et des communautés qui y vivent.
Aux ressources en eau de surface, dont l’essentiel est temporaire, s’ajoute un gigantesque potentiel en eaux souterraines alluviales et fossiles sur la majeure partie du pays. Afin de traduire ce potentiel en opportunité tangible économique, notamment dans les parties de la vallée du Fleuve Niger disposant de terres irrigables et n’ayant encore bénéficié d’aucun aménagement, les terres aux abords des retenues, des lacs et autres grandes mares permanentes, l’agro-éco-pédologue, Professeur titulaire des Universités du CAMES, suggère de réaliser des aménagements hydroagricoles pour la polyculture selon l’aptitude culturale des sols et les besoins des producteurs (riziculture, cultures fourragères, étangs de pisciculture, cultures maraîchères, cultures fruitières). Aussi, les producteurs, organisés en véritables Organisations ou Groupements d’Intérêt, bénéficieront mieux des facilités d’accès au crédit, d’Appui Conseil et d’une bonne structuration des filières des produits agricoles. « Dans le lit des affluents du fleuve et rivières à écoulements saisonniers, des Dallols, Maggia, Goulbis et Korama, implanter des ouvrages d’épandage et d’infiltration des eaux, créer des ouvrages de captage des eaux de la nappe phréatique, en vue de booster les plaines alluviales, les cultures pluviales en saison d’hivernage, les cultures maraichères en saison sèche et les cultures fruitières en toutes saisons », ajoute Pr Ambouta Karimou Jean-Marie. Dans les zones ne disposant pas d’eau de surface ou d’eau de nappe alluviale, mais où il a été décidé de l’implantation de mini adduction d’Eau Potable, des sites de cultures maraichères et fruitières devraient être aménagés (jardin villageois, jardin scolaire, jardin de Centre de Santé Intégré, etc.), a-t-il poursuivi.
Des initiatives vaines de désensablement du fleuve Niger…
En mars 1985, suite au constat de l’arrêt à Niamey de tout écoulement du fleuve pendant 24 heures, les autorités politiques lancèrent à l’endroit de la population un appel lui demandant de descendre massivement dans le lit du fleuve afin d’en extraire le sable et de le déposer sur les berges. Pr Ambouta Karimou Jean-Marie témoigne avoir assisté, dans sa jeunesse, à cette occasion, à une forte mobilisation de la population. Plus récemment, entre 2006 et 2008, un contrat de désensablement de la partie du fleuve en amont de Niamey jusqu’au village de Farié fut signé avec une entreprise Russe, opération qui s’est soldée par une rupture de contrat et un grand scandale financier. Ensuite depuis environ 2017, la Commune 5 de Niamey (Rive Droite) autorise, chaque année en période d’étiage (mars-avril-mai), les propriétaires de camions bennes d’accéder au lit du fleuve et des grands Koris de rive droite et de prélever le sable pour les constructions moyennant des taxes ; on assiste à cette période à un chassé-croisé de camions chargés de sable sur les ponts de Niamey.
« Le bilan de ces initiatives est globalement mitigé, voire nul pour ce qui me concerne », affirme l’agro-éco-pédologue. En effet, explique Pr Ambouta, le prélèvement de sable dans le lit du fleuve ou à la confluence des koris avec le fleuve crée un abaissement du niveau de base du cours d’eau qui se traduit automatiquement par des écoulements plus violents et qui arrachent du sable sur la partie amont pour le déposer vers l’aval sur les zones ayant fait objet de prélèvement de sable. « Ce mécanisme se produit dès les premières grosses pluies et on se retrouve très rapidement à la situation de départ. A ce mécanisme s’ajoute le retour au fleuve du sable déposé sur les berges sous l’action du ruissellement», constate le chercheur.
Le Professeur pense que, de manière pratique et réaliste, le désensablement mécanique du lit du fleuve et du cône de déjection de certains grands koris doit être précédé d’une stabilisation et fixation préalables du sol, des bassins versants contributeurs par des aménagements de protection et de lutte contre l’érosion en commençant de la partie amont (généralement la surface des plateaux) pour aménager progressivement les unités de paysage vers l’aval de chaque bassin versant contributif. Ces aménagements auront pour fonctions de: « couvrir la surface avec de la végétation toutes les parties où le sol est nu (plantation d’arbres ou ensemencement d’herbacées, promotion du retour de l’arbre dans les champs, etc.) afin de limiter l’impact des gouttes de pluie et du ruissellement qui causent l’érosion (arrachage et déplacement des particules dont principalement le sable qui domine dans ces sols) », indique Pr Ambouta Karimou Jean Marie. Cela, permettra également de « constituer des obstacles régulièrement disposés sur le versant et dans le lit des koris, afin de briser la vitesse du ruissellement qui vient de la partie haute et d’étaler la lame d’eau à l’amont de l’obstacle ».
Par ailleurs, à la place des ouvrages de ralentissement du ruissellement, « on peut creuser des fossés qui capturent l’eau et l’infiltrent au profit des végétaux plantés dans le fossé, l’excédent étant évacué lentement vers l’aval avant de tomber dans l’ouvrage situé plus bas et ainsi de suite (demi-lunes, banquettes, etc.) », apprend-on. Ainsi, ces particules de sable, au lieu d’être entrainées dans les eaux de ruissellement et déposées dans les parties les plus basses des koris à leur confluence avec le fleuve, sont arrêtées derrière ou dans chaque ouvrage et restent sur le bassin où elles seront définitivement fixées par le retour de la végétation ainsi favorisé.
Du défi de la stabilisation des sables sur les bassins dépendrait l’efficacité du désensablement du fleuve
Actuellement, faut-il le noter, d’importants aménagements ont été réalisés par de nombreux Projets (Programme de Lutte contre l’Ensablement du fleuve Niger, Programme Spécial du Présent de la République, etc.) et ONG sur la majorité des bassins versants des koris de rive droite les plus contributeurs à l’ensablement du fleuve. Cependant, s’ils n’ont pas permis la stabilisation des sables sur ces bassins afin que l’on puisse procéder à un désensablement efficace du fleuve, ce serait selon moi dû principalement au fait que ces aménagements ont été réalisés seulement sur certaines parties du bassin sans tenir compte de la dynamique érosive sur les autres unités du même bassin. « Ce type d’aménagement limite fortement l’érosion sur la partie traitée alors qu’elle reste très active sur les parties non traitées qui continuent à délivrer du sable au fleuve », prévient l’agro-éco-pédologue Ambouta Karimou.
En effet, ces aménagements n’ont ciblé que la surface nue des plateaux (demi-lunes, cordons pierreux, banquettes, etc.) et parfois certaines parties du talus (murets de pierres) alors que, sur un bassin donné, des aménagements spécifiques à chaque unité de paysage auraient dû être réalisés en cascade du haut vers le bas (plateau, talus, glacis, ravins, lit du kori principal), déplore l’enseignant-chercheur à la Retraite. C’est donc cette cohérence dans la lutte contre l’érosion sur toute la surface du bassin de chaque kori contributeur à travers des aménagements spécifiques de l’amont vers l’aval qui pourrait garantir le maintien du sable sur le bassin, préalable à un désensablement efficace du fleuve.
Pour ainsi dire, dans ce contexte de changement climatique et de dégradation poussée des terres, la résilience des populations vivant quasi exclusivement des ressources issues du fleuve Niger et autres cours et plans d’eau ne peut être assurée durablement qu’à travers des actions cohérentes visant la pérennité de la ressource. « Ces actions consisteront, d’une part à lutter contre l’érosion sur les bassins versants immédiats du cours ou plan d’eau à travers des aménagements adéquats de stabilisation des sols de ces bassins et, d’autre part à assurer la disponibilité de l’eau d’irrigation pendant les périodes d’étiage ou de retrait des eaux en réalisant des ouvrages de captage de la nappe alluviale », notifie le Professeur Ambouta Karimou Jean Marie qui trouve là donc; les mesures à même d’assurer la disponibilité et la pérennité de la ressource, gage d’une résilience durable des communautés riveraines.
Par Ali Maman et Ismaël Chékaré(onep)