
Derrière l’aéroport de Tahoua, à environ 200 mètres, en allant vers l’Université Djibo Hamani, des femmes venues de quelques villages lointains de la région, passent leurs journées entre la marée de déchets qui jonchent des ruelles et une petite carrière artisanale. Munies de dabas, de pelles et de récipients, elles creusent, extraient péniblement et vannent soigneusement du gravier qu’elles entreposent et vendent par petits tas. Armées de courage et attachées à leur dignité, ces vaillantes femmes ont fait le choix de ne pas tendre la main dans les rues, ni de franchir les frontières malgré l’environnement malsain où elles exercent et l’effort physique qu’elles déploient pour des miettes.
Leurs abris faits de pagnes et de sacs usés, au pied des arbres, sont moins visibles que les tas de gravier. Tout passant dans ces ruelles puantes de déchets, très peu empruntées, est pour ces femmes, porteur d’espoir. «Vous voulez du gravier ? Il y’en a par-là, venez !», nous lance une fillette d’à peine dix ans. Vêtue d’une robe blanche-salle, elle se faufile ensuite, en courant les pieds nus, entre les ordures, les creux et les arbres, pour aviser sa maman. Sous le hangar, elles sont deux mères et une grand-mère, assises avec cinq enfants dont quatre petites filles. Il est 12h30 environ, ce vendredi 28 avril 2023. Goggo Rabi, Habsou et Maimouna prennent du souffle à l’abri des rayons ardents du soleil, et servent de la bouillie aux enfants, après une pénible matinée d’extraction de gravier.
«Nous sommes en pause, nous allons reprendre aussitôt que la chaleur diminuera. Maintenant nous allons partir vers là où on enseigne là (Université) payer à manger. A la tombée de la nuit, nous allons rentrer dispersées en ville, nous caser pour la nuit. Le matin nous revenons dès l’aube», témoigne Habsou, pendant que Maimouna allaite sa fille cadette susurre à la vieille Goggo «encore un de ces emmerdeurs qui ne nous apportent rien enfin». Selon Habsou, elles ne passent que les journées sur les lieux. Chacune a son coin de la rue où elle passe la nuit. Et avec l’hivernage qui s’annonce, ces femmes vont bientôt regagner leurs villages respectifs pour les travaux champêtres. «Certaines ont leurs champs familiaux, d’autres travailleront pour être payées», ajoute Maimouna qui accepte enfin de participer aux échanges. Toutes les trois, ont commencé ce métier seulement il y’a quatre ans et partagent le même hangar, bien qu’elles ne soient pas en réalité d’un même village.
A leurs risques et péril…
«C’est quand nous souffrons, quand nous n’avons plus de quoi nous assurer le minimum, quand nous n’avons rien à faire, que nous venons ici», explique Habsou. Ainsi, ces femmes démunies qui nient pourtant la démission de leurs maris et fils valides, arrivent à s’assurer deux repas journaliers et à s’occuper des enfants. Ce métier d’extractrices de gravier n’est pas un quotidien de choix, c’est plutôt le dur ou même le pire des sorts pour elles, au regard notamment des conditions malsaines de l’environnement où les côtoient souvent des fous et des chiens errants, sans compter les risques sanitaires qu’elles ignorent carrément. «Il y a bien sûr des mariées parmi nous, nos maris se cherchent aussi en ville, d’autres sont des veuves, certaines ont laissé leurs maris et enfants aux villages pour venir», ajoute la brave femme.
«Ce travail est très pénible. Tu creuses, tu ramasses avec les mains, tu remplis tes seaux, tu vannes, tu pars entreposer au bord de la route. C’est vraiment très difficile», renchérit Maimouna. Et, de fois, ces femmes sont obligées de céder le fruit de leur labeur à des prix dérisoires pour avoir quelque chose à mettre sous la dent. Mais généralement, «le plein de la charrette asine est vendu à 2.500 FCFA et le tricycle à 4.000 FCFA», a-t-elle précisé. Pour avoir de quoi remplir un tricycle, l’extractrice doit travailler trois à quatre journées sans répit. Et les clients se font rares ces temps-ci. Les tas de graviers, elles en ont chacune au moins deux. «Mais c’est rare de passer une semaine sans gagner 5.000 FCFA à 10.000FCFA», confie Maimouna. En effet, parallèlement à l’extraction de gravier prisé dans les chantiers, les femmes et leurs enfants se jettent sur chaque déversement de nouveau de déchet pour y trier des métaux et autres objets qu’elles vendent également.
Ces femmes disent n’avoir jamais été sensibilisées sur les dangers sanitaires auxquels elles s’exposent avec leurs enfants, ni orientées vers un autre site. «Nous avons eu connaissance de cette activité avec une vieille qui ne vient plus maintenant. C’est elle qui nous a amenées pour la première fois. Et c’est mieux que rien», affirme Habsou. «Chez nous, au village il y a des projets qui viennent apporter de l’aide aux femmes ou leur apprennent des petites activités. Mais, ce sont des femmes qui sont enregistrées, yan koungya (membre d’association)», a laissé entendre Maimouna. Habsou réfute cependant le sérieux de ces projets. «Regarde, nous sommes dans la même maison avec Zeinabou, elle en a bénéficié et moi non. Ils ont demandé uniquement celles qui font déjà quelque chose comme activité», a-t-elle répliqué.
Aujourd’hui, Maimouna et Habsou se retrouvent ainsi à braver d’énormes risques qu’elles ignorent encore en passant leurs journées dans les décombres. «Nous rencontrons beaucoup de dangers, scorpions et autres, surtout dans nos effets. Mais soit on les chasse un peu plus loin ou on les tue», indique Habsou. «Rien qu’hier j’ai tué un scorpion noir», témoigne Maimouna. Contre toute attente, les extractrices se montrent braves et tiennent à gagner leur vie ou plutôt à survivre. L’activité de ces femmes, qui sont en effet, une dizaine sur ce site malsain et dangereux pour elles et leurs enfants, mérite une attention particulière de la part des autorités compétentes afin de les orienter au moins vers un site plus sûr et créer les conditions d’une scolarisation stable pour leurs enfants qui ne connaissent malheureusement pas le chemin de l’école.Par Ismaël Chekaré, ONEP/Tahoua