Au Niger, de nombreuses personnes en situation de handicap sont confrontées à des difficultés d’accès à l’emploi. « Nous avons besoin de bras valides, une personne au physique solide et apte », « C’est vous ? vous n’êtes pas la bonne personne que nous recherchons » : telles sont, la plupart du temps, les réponses données aux personnes en situation de handicap lors des entretiens d’embauche. Et pourtant, ces personnes dites invalides ou inaptes peuvent disposer de compétences et apporter, de la valeur ajoutée et du savoir-faire aux sociétés et aux entreprises.
C’est le cas de Balla Mohamed, un pensionnaire du centre privé de l’enseignement technique et de la formation professionnelle en haute couture. Balla Mohamed a un corps frêle, les cheveux grisonnants avec des yeux marrons. Né le 25 Octobre 1971, il est l’une de ces personnes en situation de handicap qui ne font pas de leur état une excuse pour quémander. Frappé par la poliomyélite à l’âge d’un (1) an, Mohamed Balla a eu une enfance complexe, voire difficile. Ses parents se sont dépensés pendant des années et ont tapé aux portes de toutes les structures de santé et de tous les marabouts. En vain !
Il fit des études et parvint même à obtenir le BEPC. Mais, pour des raisons qu’il a préféré taire, il a abandonné les bancs en classe de seconde. « Mon parcours scolaire a été tumultueux. J’ai eu du mal à me faire accepter par les autres », a-t-il dit. En effet, a expliqué le quinquagénaire, à cette époque (en 1986), la poliomyélite était peu connue. « Elle était plus considérée comme étant une attaque mystique ; une affaire de ‘’dogoua’’ (un génie). Du coup, les enfants me fuyaient. J’ai quand même tenu jusqu’en classe de seconde où j’ai décidé d’abandonner les études », a-t-il confié le regard vide et sur un ton triste.
Malgré ces difficultés, Mohamed Balla a décidé de se rendre utile à sa nation. Ainsi, il a eu à faire plusieurs formations dont notamment celle en informatique bureautique. Cette formation, nous apprend-t-il, devait lui permettre de réaliser son rêve en servant son pays. Malheureusement, les événements du 18 Février 2010 ont changé le cours des choses. « Je devais intégrer la Fonction Publique au temps du Président Tandja Mamadou qui avait décidé de recruter les personnes en situation de handicap à la Fonction Publique sans passer par un concours. Cela s’est déroulé en trois phases, moi je faisais partie de la troisième. Mes autres confrères ont eu la chance d’accéder à la Fonction Publique. Nous étions de la troisième phase et lorsque le coup d’état d’Etat était survenu, c’était tombé à l’eau. On devait même donner le matricule au Conseil des Ministres. Donc j’étais malheureux pour ça », a raconté avec regret Mohamed Balla.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Balla Mohamed a décidé d’apprendre un métier, celui de la couture. C’est ainsi qu’il s’est inscrit au centre privé de l’enseignement technique et de la formation professionnelle en haute couture (CPET-FPHC) en 2022, soit à l’âge de 51 ans. Le 15 Août 2024, Balla Mohamed a reçu des mains des autorités son diplôme de couturier.
Père de quatre (4) enfants, Balla Mohamed force l’admiration. Il est apprécié de ses formateurs, dont notamment le directeur du CPET-FPHC qui a salué son courage et sa détermination à atteindre ses objectifs.
‘’J’ai perdu beaucoup de temps mais je ne perds pas espoir’’.
Balla Mohamed a raté plusieurs opportunités de stage et d’emploi à cause de sa condition. Il se souvient avoir été explicitement rejeté à cause de son handicap. « Pendant 20 ans j’étais assis, je ne faisais rien. Un voisin m’a dit un jour qu’il va me trouver du travail. Ce dernier m’a demandé de me présenter à un service de sa part. Je me suis rendu à l’adresse indiquée. Une fois sur place, le monsieur me dit : Ah c’est toi ? J’ai répondu oui. Sans délicatesse, il me dit : si je savais que vous étiez comme ça, je n’allais pas vous faire déplacer, parce que nous voulons des bras valides. Je lui ai dit il n’y a aucun problème et j’ai quitté », a raconté avec désolation et déception M. Balla.
Optimiste et très déterminé, le quinquagénaire a des projets et compte se faire un nom dans le domaine de la couture. « Je ne compte pas m’arrêter à ce niveau. Par le passé, j’ai certes été déçu. J’ai perdu beaucoup de temps mais je ne perds pas espoir. Le verbe décourager n’existe plus dans mon vocabulaire, sinon je ne me serais pas inscrit dans ce centre avec des jeunes qui peuvent être mes enfants. J’ai des objectifs à atteindre », a- déclaré sans ambages M. Balla.
Pour ces personnes en situation de handicap qui se terrent dans le mutisme, Balla Mohamed leur conseille de prendre en main leur destin et de songer à faire quelque chose de leur vie. L’invalidité, c’est dans la tête, a-t-il dit. « Avec l’évolution de la technologie, nous sommes capables de faire tout ce qu’on nous demandera de faire comme boulot. Si j’avais tenu compte des fois où j’ai été marginalisé, discriminé, je ne serais pas ici », a-t-il expliqué. Mohamed Balla espère qu’un jour les autorités vont appliquer le quota donné aux personnes en situation de handicap afin que ces dernières puissent démontrer leur savoir-faire et contribuer ainsi au développement et à l’essor économique du pays.
Rahila Tagou (ONEP)