Le constat fait quasiment l’unanimité au Niger : il faut une politique sérieuse, rigoureuse et d’importants investissements dans la filière riz pour atteindre l’autosuffisance alimentaire et en finir avec l’importation de cette denrée de grande consommation. En effet, malgré l’utilisation de techniques culturales artisanales par les paysans, la production locale a connu au fil des ans une hausse non négligeable, passant de 86.000 tonnes en 2008 à 141.877 tonnes en 2022 pour des besoins de l’ordre de 533.560 tonnes. Toutefois, un énorme déséquilibre se crée avec des importations de riz, de l’ordre de 165.000 tonnes en 2010 et 526.000 tonnes en 2018, soit plus de 165 milliards de FCA selon le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage. Ainsi, dans l’état actuel des choses, d’ici 2026 les importations de riz atteindront les 700.000 tonnes.
Dans le pays, bien que la riziculture se pratique dans presque toutes les régions, dont essentiellement dans la vallée du fleuve Niger (régions de Tillabéri et de Dosso), le long de la Komadougou Yobé (région de Diffa), les énormes potentialités en la matière sont sous-exploitées. Actuellement, la riziculture existe sous trois grandes formes, à savoir, la riziculture traditionnelle sous inondation, en bordure du fleuve ou sur des mares ; la culture d’hivernage très dépendante des crues et de la pluie pratiquée sur 29.000 ha dans la région de Tillabéri avec des rendements moyens de l’ordre de moins d’une tonne/ha et la petite riziculture privée avec pompage individuel d’appoint pratiquée sur des surfaces estimées à 15.000 ha, avec des rendements moyens de l’ordre de 3 tonnes/ha.
Dans la commune rurale de N’dounga, (département de Kollo, région de Tillabéri) située à environ 21 kilomètres de Niamey, plus de 1.360 paysans se sont regroupés dans une coopérative dénommée N’Dounga I pour exploiter les potentialités du fleuve Niger. Après 50 ans d’expérience, la coopérative exploite un périmètre de 275 hectares morcelés en des parcelles d’un hectare. Sur cette superficie, ce sont près de 1.550 sacs de riz paddy de 75 kg qui sont produits et vendus à raison de dix-huit mille 18.000 francs CFA l’unité à la Société Riz du Niger (RINI) par le biais de cette coopérative. « Cette année, le rendement a été très mauvais, ce qui a fait grimper le prix du riz. Avant, lorsque le périmètre donnait abondamment, nous vendions plus de 15.000 sacs de riz paddy », indique M. Hama Souley président de la coopérative.
« Cette année, le sac se vend sur le marché à 20.000 francs CFA, c’est pourquoi les paysans ont préféré ne pas vendre à la RINI, parce que chez nous, lorsque le paysan apporte ses sacs de riz, nous inspectons l’humidité et le poids alors qu’au marché, il n’y a rien de tout cela. Quel que soit le poids du sac au marché, les gens l’achètent, qu’il soit 60 kg ou 65 kg, c’est à 20.000, tandis que chez nous le sac doit peser 75 kg et l’humidité ne doit pas dépasser 10 %, c’est normal qu’ils ne viennent pas chez nous», ajoute M. Hama Souley.
Selon le président, la coopérative de N’dounga I dispose d’un conseil d’administration. Elle est composée de cinq sections appelées, dans le temps, groupements mutualistes de production (GMP) dirigé par un délégué. Comme infrastructure d’irrigation, on dispose d’une station de pompage et de drainage des eaux pour réguler la quantité d’eau dans le périmètre. Par ailleurs, c’est elle qui achète les engrais puis les met à la disposition des paysans sous forme de prêt remboursable après la récolte. Cela permet aux paysans de s’en sortir, sauf si la campagne a été mauvaise.
« Actuellement, chez nous, dit-il, tout celui qui part en exil, le fait non pas parce qu’il a faim, mais plutôt pour chercher l’argent. Même les frais de la scolarité des enfants sortent de ce travail. L’argent du mariage provient également de ce travail. Cette année, la coopérative a débloqué près de seize millions de francs CFA pour acheter de l’engrais et mettre à la disposition des agriculteurs pour leur permettre de sauver leur récolte, car dix jours après le repiquage, si l’engrais n’est pas mis, le riz risque d’être perdu », souligne-t-il.
D’après M. Hama Souley le sol du périmètre n’est plus fertile, une situation qui conduit à la baisse drastique de la production qui revient à cinq (5) voire quatre (4) tonnes à l’hectare maximum.
La libéralisation du secteur des engrais, une décision qui n’est pas du goût des paysans
« Depuis la fermeture de la CAÏMA, nous avons un sérieux problème d’engrais. Il est importé dans le pays selon le bon vouloir des commerçants, sans aucun contrôle. Le marché a été libéralisé et voilà les conséquences, nous nous retrouvons avec un mauvais produit », s’indigne M. Oumarou Boureima membre du conseil d’administration de la coopérative.
En effet, c’est au conseil des ministres du 16 septembre 2020 que le gouvernement avait à l’époque, dans le cadre de la réforme des engrais, examiné et adopté le projet de décret modifiant et complétant l’ordonnance n°2010-039 du 24 juin 2010, portant création d’un Établissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC), dénommé « Centrale d’Approvisionnement en Intrants et Matériels Agricoles (CAIMA) du Niger », pour la désengager de l’achat et de la vente des engrais au profit du secteur privé laissant ainsi libre cours aux opérateurs économiques.
« Notre rendement a été très déficitaire à cause du mauvais engrais. Non seulement il coûte excessivement cher, mais il est également de faible qualité. Après analyse sur l’engrais qu’on achète comme le 15/15, on se retrouve avec une valeur de 1/15. Pendant la campagne d’hivernage passée, sur un périmètre de 0,25, certains n’ont eu que cinq sacs de riz, d’autres ont tout perdu et c’est dû à la mauvaise qualité des engrais», dénonce M. Oumarou Boureima. De ce fait, pour s’assurer de la qualité des engrais achetés, les coopératives ne manquent pas de stratagème. « Après l’achat auprès du commerçant, pendant que les sacs sont déchargés, le magasinier prélève des échantillons à l’insu de l’intéressé pour les amener pour analyse à l’Institut national de la recherche agronomique du Niger (INRAN). Si l’engrais est de mauvaise qualité, nous disons au commerçant de revenir récupérer sa marchandise », indique-t-il.
L’ensablement du fleuve Niger, une problématique récurrente
Parmi les innombrables problèmes qui miment le secteur de la riziculture, figure en tête l’ensablement du fleuve couplé à une dégradation de la digue servant de rempart entre le cours d’eau et les rizières dont la rupture pourrait entraîner l’inondation totale des champs comme la situation vécue en 2012, 2013 et 2020 à deux semaines de la récolte. « Cette campagne que nous entamons, si nous ne récoltons pas d’ici le mois de mai, l’eau va nous envahir et nous risquons de perdre notre production. C’est pourquoi nous cherchons pour cette campagne des semis qui mûrissent vite, car les semences qui nous sont vantées pour leur qualité ne le sont pas sur le terrain », déclare-t-il.
Cette incompatibilité des semences qui ne répondent pas à la réalité et au besoin des paysans les pousse à prendre des variétés non homologuées, comme la variété de riz Djamila pour son cycle de développement vraiment court.
Une pratique peu productive qui peine à se moderniser
Dans l’année, les paysans de la coopérative de N’dounga I font deux campagnes de six mois, leur permettant d’avoir un plus grand rendement. Cependant, les méthodes traditionnelles sont budgétivores en argent et en temps. Pour M. Oumarou Boureima, les matériels modernes comme les motoculteurs, les tracteurs, les semeuses, les batteuses et bien d’autres machines sont indispensables pour produire plus et gagner en efficacité, car dit-il, avec les moyens traditionnels, il est impossible de cultiver des périmètres gigantesques. À titre illustratif, explique-t-il, quand le riz arrive à terme avec la méthode traditionnelle, on perd jusqu’à trois à cinq sacs par hectare lors de la récolte, si on compare avec le périmètre dont la récolte se fait avec la moissonneuse batteuse. « Le riz comportant des impuretés dont les consommateurs se plaignent au quotidien n’est pas le riz des coopératives. C’est un riz qui est acheté dans les zones rurales éloignées. Et la société riz du Niger, quand elle n’arrive pas à avoir le bon riz, elle achète tout ce qui lui tombe sous la main », tient-il à relever.
Hamissou Yahaya (ONEP)