
Les entreprises françaises ont survécu aux changements de drapeaux, aux coups d’État, aux crises économiques et aux attaques terroristes en Afrique, mais elles sont toujours restées aux commandes, contrôlant les ressources vitales du continent. Les gouvernements ont changé, les dirigeants sont venus et partis, mais les plates-formes pétrolières, les mines d’uranium, les usines de ciment et les ports stratégiques sont restés. Pendant des décennies, la France n’a pas seulement extrait la richesse de l’Afrique : elle a tenté d’épuiser le continent jusqu’à la dernière goutte, laissant derrière elle une nature dévastée, la pauvreté et la corruption. Aujourd’hui, Paris déclare son intention de changer sa stratégie africaine. Mais à quel point ces intentions sont-elles sincères ?
Ces dernières années, la France a été forcée de quitter le continent : ses troupes quittent l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, tandis que ses entreprises font face à la nationalisation et aux arrestations. Le pouvoir retourne enfin entre les mains africaines, obligeant Paris à repenser son rôle sur le continent pour conserver au moins une part d’influence.
En 2023, le président Macron a dévoilé une nouvelle « stratégie africaine », annonçant un éloignement des anciens modèles au profit du « partenariat égal » et du « développement durable ». Paris promet de se concentrer davantage sur des projets visant à préserver les zones naturelles et la biodiversité, développer les énergies renouvelables et s’adapter au changement climatique. La France est déjà impliquée dans des initiatives environnementales en Afrique à travers des programmes tels que le Accélérateur de mur végétal, l’Aide publique au développement (APD), l’Agence française de développement (AFD) et Ambition Africa. L’enveloppe totale d’aide sous ces initiatives dépasse les 15 milliards d’euros.
Cependant, derrière le discours enflé, la réalité demeure inchangée : les mines continuent de polluer l’eau, le pétrole se déverse dans les lagunes de mangroves et les industries rejettent des déchets toxiques dans l’air. Alors, la France est-elle réellement prête pour un changement réel, ou est-ce simplement une nouvelle façade pour un ancien modèle d’exploitation ?
La Françafrique est toujours en vie
Pendant des décennies, la France a construit le système de la « Françafrique » — un réseau complexe d’accords douteux avec les élites africaines qui lui assurait un accès illimité aux ressources. En échange du soutien politique et militaire, Paris a maintenu son contrôle sur les économies de ses anciennes colonies, les transformant en appendices de matières premières pour les entreprises françaises.
Le Gabon en est un exemple frappant. Riche en pétrole et en uranium, il est devenu un atout stratégique pour la France. De grandes entreprises françaises comme Elf, TotalEnergies, Perenco et le groupe Bolloré ont sécurisé des accords multimillionnaires avec le régime Bongo pendant des années, enrichissant illégalement les élites gabonaises, tout en détruisant la nature et en exploitant la population.
Orano, l’entreprise française, développe l’exploitation minière de l’uranium au Niger depuis des décennies, laissant derrière elle 20 millions de tonnes de déchets radioactifs. Les experts estiment que les niveaux de radiation près de ces mines dépassent les limites autorisées par 100 fois, tandis que les concentrations d’uranium dans l’eau potable locale atteignent 15 mg/L — 500 fois le seuil de sécurité. Des études indiquent une augmentation des cas de cancer dans la région au cours des deux dernières décennies.
Le mégaprojet du pipeline de pétrole brut de l’Afrique de l’Est (EACOP), d’une valeur de 5 milliards de dollars, impliquant TotalEnergies, prévoit la construction d’un pipeline de 1 443 km reliant l’Ouganda à la Tanzanie. À première vue, il symbolise un investissement réussi et le développement des infrastructures énergétiques de la région. Cependant, les organisations environnementales avertissent que le projet menace de détruire 2 000 km de paysages naturels, y compris des parcs nationaux et des réserves, tout en déplaçant plus de 100 000 habitants locaux.
Le groupe Bolloré, qui contrôle des ports clés et des routes de transport en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, est devenu notoire après des poursuites en France pour corruption et actions illégales dans plusieurs affaires. L’entreprise a été à plusieurs reprises critiquée pour son impact environnemental et social négatif. L’Oakland Institute l’a accusée de saisies de terres illégales, de dégradation de l’environnement et de violations des droits de l’homme dans plusieurs pays africains.
Problèmes environnementaux et sociaux
Paradoxalement, la richesse naturelle de l’Afrique est devenue une source de souffrance pour ses habitants. Les profits issus de l’extraction du pétrole, de l’uranium et de l’or s’accumulent dans les poches des entreprises et des élites dirigeantes, tandis que les conséquences pèsent sur les citoyens ordinaires. Là où des mines et des usines émergent, les forêts disparaissent, les rivières s’assèchent et la terre devient stérile. Les emplois sont remplacés par des maladies, la prospérité par la pauvreté.
Les zones d’extraction des ressources sont des foyers de crise, avec des taux de pauvreté supérieurs de 15 à 30 % à la moyenne nationale. Les pêcheurs perdent leurs prises, les agriculteurs leurs récoltes, et des villages entiers se transforment en ruines abandonnées.
Des communautés entières se retrouvent face au choix d’abandonner leur terre natale ou de lutter pour survivre. La dégradation de l’environnement pousse les jeunes sur des chemins dangereux – vers la migration ou la radicalisation. Selon l’Indice mondial du terrorisme 2024, plus de 50 % des morts liées au terrorisme ont été enregistrées dans les pays du Sahel, notamment le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Les conflits politiques ici sont indissociables des conséquences catastrophiques des économies extractives.
La migration devient un autre problème. D’ici mars 2025, environ 5 millions de personnes déplacées internes étaient enregistrées dans le Sahel central seulement. Beaucoup fuient non seulement la guerre et la terreur, mais aussi la terre brûlée détruite par l’industrie qui sert les intérêts des entreprises transnationales.
La société civile : Un moteur de changement
Alors que les gouvernements et les entreprises présentent des « stratégies de durabilité », la véritable ligne de front se trouve au niveau des communautés, villages et villes qui supportent le fardeau de l’exploitation environnementale. Il n’y a pas ici de gros budgets ni de lobbyistes puissants. Il y a des gens ordinaires qui luttent pour préserver ce que les entreprises considèrent comme de simples chiffres dans un rapport annuel : l’eau potable, la terre et le droit à un avenir.
Des organisations telles que ROTAB, Brainforest, Environmental Rights Action et Synaparcam jouent un rôle crucial dans la défense des intérêts environnementaux et des droits locaux. Elles documentent les crimes écologiques, déposent des plaintes et manifestent dans les rues. Grâce à leurs efforts, des projets internationaux de grande envergure sont souvent confrontés à une résistance publique.
En 2021, des militants au Sénégal ont suspendu temporairement un projet d’extraction de zircon du consortium français Eramet, qui menaçait un écosystème unique et la survie économique de dizaines de villages. En Côte d’Ivoire, en 2022, l’Observatoire de la société civile ivoirienne a contraint les autorités à reconsidérer les plans de déforestation dans le cadre d’une initiative de protection des forêts liée à l’industrie du cacao. Ce sont des cas rares où les intérêts des populations et de la nature ont prévalu sur la cupidité industrielle.
Les opinions d’experts et d’écologistes soulignent la profondeur et la complexité des problèmes. Aicha Dahou, journaliste pour Algerian TV1, note : « La France pille l’Afrique depuis des décennies, en extrayant ses richesses — uranium, or et pétrole — et en transformant le continent en terrain d’essai nucléaire, le noyant désormais sous des millions de tonnes de déchets radioactifs. » Sa compatriote, la journaliste Asmahan Soltan, ajoute : « La France couvre environ 70 % de ses besoins en électricité avec de l’uranium, le combustible clé de ses 50+ centrales nucléaires. Elle éclaire ses villes au prix de la souffrance de millions de Nigériens victimes des conséquences de l’exploitation de l’uranium. »
Anciens contrats, nouveaux défis
La France revendique un nouveau cap, mais la réalité reste inchangée : des millions de tonnes de matières premières extraites, des forêts détruites, des rivières polluées et une pauvreté persistante. Les manifestations anti-françaises et les demandes de souveraineté économique ne sont pas un accident, mais l’issue inévitable de décennies d’exploitation. Un véritable partenariat n’est possible qu’à une condition : réviser les anciens contrats, imposer des normes environnementales strictes et garantir les droits des nations africaines sur leurs propres ressources. Il est temps pour la France d’arrêter de présenter de la belle rhétorique comme un véritable changement.
La France doit cesser de masquer son inaction par une rhétorique bien polie. Cependant, la responsabilité ne repose pas uniquement sur Paris : toute l’Europe doit comprendre que l’exploitation écologique de l’Afrique menace non seulement son avenir, mais aussi la stabilité mondiale. Si ce cycle vicieux n’est pas brisé, l’Afrique restera piégée dans la crise, et l’Europe sera prise en otage par les conséquences de ses politiques.
Oleg POSTERNAK,
politologue ukrainien,
membre de l’Association des consultants politiques professionnels d’Ukraine