
Mme Mariama Chaïbou dite Gaïka, secrétaire de l’union Wangari
La femme rurale joue un rôle majeur dans la sécurité socioéconomique des ménages. Elle mène plusieurs activités pour renforcer son autonomie économique. Lorsqu’elle n’est pas exploitante agricole, elle est commerçante au marché local. Dans la Commune Rurale de Karma, non loin de Niamey, le maraichage n’est plus l’apanage des hommes, beaucoup de femmes s’adonnent à cette activité pour subvenir à leurs besoins. Au bord du fleuve, bon nombre de jardins s’y trouvant appartiennent à des groupements de femmes. Cependant, malgré leur détermination, ces femmes font face à de nombreux défis dans l’exercice de cette activité.
A Karma, les femmes se sont réunies en groupements selon leur affinité pour exploiter des jardins ou pour faire de l’agro-transformation. Dans le quartier Kaba Tché, situé à quelques mètres du fleuve, on y voit, à perte de vue, des femmes qui s’adonnent aux travaux maraîchers.
Trouvée dans son jardin, Mariama Chaibou, une sexagénaire, au verbe facile, confie qu’elle est la secrétaire de l’union Wangari, une association qui regroupe plusieurs groupements comme Alkarim et Dabarikoy. « les membres de l’Union Wangari sont des femmes qui ont décidé de prendre leur destin en main en faisant quelque chose d’utile pour nous-mêmes et pour notre communauté. C’est ainsi que nous avons décidé de nous réunir d’abord en groupements, puis en union. Nous avons investi le peu de moyens financiers que nous avons dans le maraichage. Aujourd’hui, nous produisons pour notre propre consommation mais aussi pour revendre au marché hebdomadaire de karma qui se tient chaque lundi », explique Mariama.
Plus connue par son surnom Gaika, Mariama exploite le jardin avec d’autres femmes. « Nous sommes 4, mais dans d’autres jardins, il est possible d’avoir 15, 20, jusqu’à 40 femmes. Tout dépend de l’envergure de la parcelle exploitée et chaque femme en exploite sa portion en cultivant ce qu’elle pense pouvoir lui rapporter un revenu », précise-t-elle.
Ces femmes, pour la plupart, cultivent des produits comme la tomate, le moringa, l’aubergine, le gombo, la patate douce, le piment et le Senna tora appelé «Oula» ou «Kalhan» en zarma.
Mariama, elle, cultive de l’oignon et du moringa. Avec sa récolte, elle arrive à subvenir à ses besoins. « Je mange ce que je produis et je vends une partie. Avec les revenus générés, je subviens à mes besoins. C’est surtout avec la vente de moringa que j’arrive à épargner et donner ma cotisation pour notre groupement », confie-t-elle. «Nous avons une caisse dans laquelle nous versons chaque mardi au minimum 250F et ce, pendant 12 mois. A la fin de l’année on fait les comptes en fonction de ce que la personne a versé pour lui donner la totalité de son argent. Cela nous aide beaucoup. Je n’ai jamais gagné beaucoup d’argent. Mais grâce à notre groupement, je peux avoir jusqu’à 100.000F, voire 200.000F à la fin des 12 mois. Et chaque année, j’achète un taurillon que j’engraisse pour ensuite le revendre. Présentement, j’en ai deux à la maison », dit-elle avec fierté.
Plus loin, Mme Haoua Hima exploite avec un autre groupe de femmes un vaste jardin où elles cultivent du moringa, de la laitue, du chou, de la courge et du Senna Tora. D’après dame Haoua, elles sont 12 femmes à exploiter une partie du terrain où nous l’avons trouvée. L’autre partie est exploitée par 19 autres femmes.
Difficultés d’accès aux équipements de production
Malgré leur détermination, leur volonté de s’autonomiser, ces femmes font face à une et même difficulté : celle de l’accès à l’eau. Pour arroser les jardins, a expliqué Gaika, il faut louer une motopompe. « Nous louons les motopompes pour arroser nos jardins. Chaque mardi, je paye 3000 F CFA pour qu’on arrose mes planches ; soit 2250F pour l’essence et 750 pour la main d’œuvre. Mais en période de crue, nous payons 2000f et tout cela sort de ce que nous gagnons dans la vente de nos produits », martèle-t-elle
A la question de savoir si elles n’ont pas reçu de motopompe de la part des autorités municipales afin de les aider dans leur activité, Mariama a confié qu’elles ont eu jusqu’à trois motopompes. «Mais, avec le comportement des hommes, nous finissons par abandonner ces machines. C’est nous les femmes qui faisons la demande mais c’est aux hommes qu’on remet les motopompes et les tuyaux à chaque fois. Alors, j’ai compris, que notre plus gros problème dans l’exercice de cette activité, c’est notre féminité. Notre condition de femme nous impose certaines limites. Chaque fois qu’on demande une motopompe ou une aide quelconque, c’est à un homme qu’on remet cela et il en fera ce qu’il veut », a-t-elle expliqué. « Et quand la motopompe tombe en panne, ils nous demandent de cotiser pour la réparer. Pour la réparation, un objet qui coûte 1000F va être surfacturé à 2000F et ce qui est à 2500F peut nous être facturé à 10.000F. Et tout cela parce que nous sommes des femmes», accuse Mariama, sans détour.
Avec un rire contagieux, elle confie qu’un jour elle a surpris une conversation entre le jeune qui arrose les plantes pour elle et un de ces amis. « Ce dernier (l’ami) lui proposait de nous escroquer en doublant le prix des outils de rechange d’une des motopompes tombées en panne. Il a insisté sur le fait que nous sommes des femmes et que nous allons payer. C’est depuis ce jour que je suis parvenue à la conclusion qu’être une femme est notre plus grand handicap», affirme avec désolation et tristesse Mariama.
Pour éviter de se faire escroquer, ces femmes préfèrent louer une motopompe ou utiliser des tonneaux d’eau pour arroser leurs plantes. Auparavant, elles ont creusé plusieurs puits dans l’espoir d’avoir de l’eau mais il n’y en avait pas. « Nous avons vraiment besoin d’aide pour avoir de l’eau. Si nous avons de l’eau, nous pouvons produire beaucoup. L’argent destiné à l’arrosage va servir pour l’achat d’engrais et de fumier pour enrichir nos sols et avoir une bonne production», a soutenu Haoua.

Le jardinage rapporte des revenus substantiels à même de permettre à ces femmes de subvenir aux besoins de leurs familles. Cependant, le manque d’eau constitue un problème crucial et ralentit l’élan de ces femmes. En effet, dans la plupart des jardins que nous avons visités, beaucoup de plantes ont jauni, d’autres se sont asséchées par manque d’eau.
« Notre appel, c’est de nous faire don de long tuyaux, d’une bonne motopompe et de songer à former des femmes pour qu’on puisse utiliser le matériel nous-mêmes, sans faire recours à qui que ce soit. Vous avez vu nos plants, certains ont même jauni, et vous avez assi vu la distance qu’il y a entre le fleuve et nos jardins. Tout ce dont nous avons besoin, c’est la motopompe », soutient avec instance Mariama Chaibou.
Un marché local dominé par les femmes
L’itinéraire nous amène au marché hebdomadaire de Karma. Le marché est pratiquement animé par des femmes. De la vendeuse d’oignon, en passant par celle de patate douce ou de moringa, on ne voit que des femmes. Rare sont les hommes qui y vendent quelque chose. L’une des vendeuses a attiré notre attention. Nafissa Hassane, une maraîchère vendant de l’oignon et de la courge produit dans son jardin.
Nafissa est membre du groupement Wafakay. Elle dit s’être lancée dans le maraîchage grâce à un financement reçu du projet Filets Sociaux. « Je ne sais pas si vous avez entendu parler du projet Filets Sociaux. C’est un projet qui nous donne chaque mois dix milles franc pour qu’on puisse débuter un petit commerce. Avec les autres femmes, nous nous sommes réunies en groupement dénommé Wafakay afin de nous entraider. Moi, j’ai emprunté avec le groupement pour acheter des semences et exploiter ma portion de terre. Avec ce que je vais gagner dans la vente de l’oignon, je vais rembourser le prêt et subvenir à mes besoins », dit-elle.
Par ailleurs, tout comme les autres femmes, Nafissa soulève le problème d’eau comme principal obstacle. A cela s’ajoute, a-t-elle confié, l’invasion des exploitations par un ver de terre qui ronge les plants d’oignon. Toutefois, Nafissa a rassuré qu’elle arrive à subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants. «Avec la vente d’une ou deux tasses d’oignons, on peut avoir de l’argent pour acheter du maïs et du mil et même participer à la cotisation de notre groupement », a-t-elle affirmé. Nafissa espère avoir un soutien, un accompagnement pour les femmes de son groupement afin de bien exercer leur activité de maraîchage avec tout le nécessaire à leur disposition.
A côté de l’étal de Nafissa, une mareyeuse, Halima Ali, propose du silure fumé. Chaque jour, elle se rend au fleuve pour pêcher du poisson qu’elle fait fumer pour ensuite le revendre. Les prix du poisson fumé varient de 250F à 3000FCFA. « Grâce à cette activité, j’ai pu acheter du bétail pour l’embouche. Je prends en charge les dépenses liées à la scolarité de mes enfants et nous mangeons à notre faim », dit-elle.
Les transformatrices de Koutoukalé Kada
Autres lieux, autres activités. Dans le village de Koutoukalé Kada, un petit village situé à une vingtaine de kilomètres de Karma, les femmes ont compris l’importance de la solidarité. Elles se sont réunies en groupement pour mener des activités génératrices de revenus. Ici, en plus du maraîchage, elles font la transformation agro-alimentaire.
Selon Mme Amadou Mariama Chaibou présidente de l’union ‘’Bon Nafa’’, le village de Koutoukalé Kada compte 25 groupements tous sexes et tous âges confondus. Parmi, les membres, nous avons rencontré Mme Djama Hassane, une personne en situation de handicap. Mère de 5 enfants, Djama a contracté la poliomyélite dès le jeune âge. Grâce aux activités de l’union, elle a su donner un sens à sa vie. Après avoir passé plusieurs années en retrait à cause de ma condition, j’ai décidé, à la suite des conseils avisés et l’encouragement de notre présidente, que mon handicap ne sera plus un frein pour mon autonomisation. Grâce à l’union, je fais du maraîchage et j’ai appris à faire de la transformation agroalimentaire. Avec les ventes effectuées, j’arrive à subvenir à mes besoins et me sens épanouie », dit-elle avec timidité.
L’union dans laquelle évolue Djama exerce beaucoup d’activités génératrices de revenus. Mais, selon la présidente, Mme Amadou Mariama Chaibou, les femmes sont confrontées à d’énormes difficultés. « Il est bien vrai que nous produisons beaucoup car étant proche du fleuve, mais nous avons besoin d’un accompagnement surtout de matériel, aussi bien pour le maraichage que pour la transformation agroalimentaire», a-t-elle plaidé.
Force est de constater que les femmes, aussi bien dans la Commune Rurale de Karma que dans les villages environnants, sont limitées dans leur quête d’autonomie malgré leur engagement, leur volonté et leur détermination. Toutefois, ces activités qui mettent en relief la mutation des femmes du statut de marginalisées à celui d’autonomes, font reculer un peu plus les barrières auxquelles elles sont confrontées.
Rahila Tagou (ONEP), Envoyée spéciale