
Séance de sensibilisation organisée par le CVPE
Dans la région de Maradi, où le mariage des enfants demeure une pratique persistante, des villages s’organisent pour protéger leurs filles. Grâce à l’appui financier du Ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ), dans le cadre du projet Renforcement de la résilience au Sahel, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et le Programme alimentaire mondial (PAM), en collaboration avec le gouvernement, luttent contre le mariage des enfants à travers les Comités villageois de protection de l’enfant (CVPE) et les programmes de bourses scolaires. Les familles prennent ainsi conscience des dangers du mariage précoce et offrent aux jeunes filles la possibilité de poursuivre leur scolarité. Entre sensibilisation, accompagnement communautaire et soutien financier, un changement de mentalité s’amorce, ouvrant la voie à un avenir plus prometteur pour les enfants.
Le changement se fait sentir dans les villages
Le soleil de l’après-midi brûle encore lorsque nous arrivons à Jaja, ce mercredi 30 juillet 2025, un petit village de la commune rurale de Kornaka. Il est 15 h 30. Des enfants courent pieds nus sur la route bitumée traversant le village, poursuivant des chèvres qui avancent lentement dans la cour du chef, en face d’une mosquée située au bord de la route. Sous l’ombre d’un hangar, des femmes en pagnes colorés, des notables en boubous clairs et des jeunes filles se sont rassemblés. L’atmosphère est à la fois solennelle et pleine d’espérance : il s’agit de débattre de la protection de l’enfant et de la lutte contre le mariage précoce.
Le comité qui veille sur les enfants
Au centre de la cour, le Comité villageois de protection de l’enfant (CVPE) s’est réuni. Il compte douze membres : le chef du village, l’imam, le directeur de l’école, le major du centre de santé, ainsi que des femmes, des jeunes filles et des garçons. Leur rôle est clair : protéger les enfants, encourager la scolarisation et prévenir les mariages précoces.
Sanoussi Inoussa est le point focal du comité. « Nous sensibilisons les enseignants sur les comportements qui peuvent pousser les enfants à abandonner l’école. Nous parlons aux parents, maison par maison, pour leur expliquer que leurs filles doivent disposer de temps pour étudier et se reposer. Nous insistons également sur les risques liés au mariage précoce : décès maternels et infantiles, déscolarisation, pauvreté. Aujourd’hui, la communauté a compris », affirme-t-il avec conviction.
L’imam du village, pour sa part, ne cesse d’attirer l’attention des parents sur la scolarisation des enfants, en particulier des filles. Il se remémore un cas : « En 2023, une famille souhaitait marier une fille de 14 ans. Avec le comité, nous avons discuté avec elle. Nous lui avons demandé d’attendre. Deux ans plus tard, la fille était plus mûre et en meilleure santé. La religion nous commande aussi de protéger nos enfants », déclare-t-il, sourire aux lèvres.
Rakia Mahamadou, une mère avertie, témoigne également que la pratique tend à reculer : « Autrefois, nous mariions nos filles à 13 ou 14 ans. Aujourd’hui, grâce au comité, on attend 17 ou 18 ans. Et même lorsqu’elles atteignent l’âge, si elles sont encore scolarisées, elles poursuivent leurs études, avec l’accord de leurs futurs époux. Elles choisissent elles-mêmes leurs maris. Ce n’est plus comme avant », explique-t-elle, soulignant que, dans leur village, le mariage précoce n’est plus une fatalité mais un sujet ouvertement débattu par la communauté.
Quand la scolarité devient une arme contre le mariage des enfants
À Guidan Gamaou Karama, un village du département de Mayahi, la lutte prend la forme du soutien scolaire. Un programme de bourses, financé par l’UNICEF et le PAM, permet aux familles de couvrir les frais liés à l’école et aux fournitures, empêchant ainsi que les filles abandonnent leurs études pour se marier. « Autrefois, je ne pouvais pas payer toutes les fournitures. Les bourses prennent en charge le COGES, les cahiers, les uniformes, etc. Sans elles, mes filles auraient depuis longtemps quitté l’école. Aujourd’hui, elles poursuivent leurs études, et même leur petite sœur de cinq ans veut y aller pour bénéficier du même soutien », confie M. Abdoulrazak Magagi, père de deux filles boursières.
Depuis l’instauration de ce programme à Guidan Gamaou Karama, le taux de réussite aux examens a considérablement augmenté selon Mabarouka Kalla, élève au lycée de Mayahi. « Après chaque session du BEPC, le village enregistre plus de vingt admis, dont une majorité de filles, alors qu’auparavant seuls deux à quatre élèves réussissaient. J’ai bénéficié de la bourse depuis le CM1. Elle m’a permis d’acheter mes cahiers, mes uniformes et de poursuivre ma scolarité jusqu’au BEPC. Beaucoup de mes camarades, faute de ce soutien, ont dû abandonner. Aujourd’hui, nous sommes nombreuses à réussir, et cela change tout », témoigne-t-elle avec émotion.
Un avenir qui change peu à peu
Selon le chef du village, M. Illa Moussa, l’installation du programme a profondément transformé la communauté : « Autrefois, nos filles s’arrêtaient toutes après le primaire. Aujourd’hui, nous comptons des collégiennes et même des lycéennes. Cela change notre village et les mentalités des parents. La cantine scolaire et l’achat de fournitures ont véritablement amélioré la situation », se réjouit-il, tout en appelant à la pérennisation du projet.
Le soleil décline, colorant le ciel de reflets orangés. Nous quittons le village, tandis que les rires des enfants se mêlent aux discussions des parents et des comités. Les habitants espèrent désormais que le mariage des enfants reculera peu à peu. Les filles demeurent à l’école, les familles réfléchissent, les mentalités évoluent. Chaque succès, chaque bourse accordée, chaque mariage différé constitue une victoire. L’avenir se dessine autrement : plus de cahiers que de parures de mariée, plus de diplômes que de dots, et l’espoir que chaque enfant puisse choisir librement son destin.
Seini Seydou Zakaria (ONEP), Envoyé spécial