
Lors du Conseil des ministres du jeudi 17 juillet 2025, le gouvernement nigérien a pris une mesure importante en adoptant un décret instituant une baisse de 20 % des frais de scolarité dans les établissements scolaires privés dès la rentrée 2025-2026. Cette nouvelle mesure est bien accueillie par la population nigérienne, notamment les parents d’élèves qui trouvent dans cette décision un moyen d’alléger leurs charges sociales favorisant un large accès aux établissements privés à leurs enfants. Toutefois, du côté des responsables d’établissements secondaires d’enseignement général et de la formation technique et professionnelle, bien que la décision soit respectée, appliquée et saluée, l’inquiétude se manifeste quant aux conséquences à long terme sur les finances des écoles surtout sur leurs capacités à rémunérer les enseignants permanents comme vacataires.
Jusque dans un passé récent, l’on se souvient qu’au Niger, l’éducation de qualité était le propre des écoles publiques qui occupaient une place de choix dans l’éducation et la formation professionnelle. Mais, ces dernières années, avec le phénomène de baisse de niveau et des difficultés que connaît l’école publique, les écoles privées ont émergé en grand nombre. Certaines arrivent à dispenser des enseignements de très bonne qualité, notamment au cycle primaire, tandis que d’autres peinent à remplir les conditions minimales d’un établissement d’enseignement et avec des coûts jugés exorbitants par les parents d’élèves.

Pour le Secrétaire général de l’Association Nationale des Parents d’Élèves et Étudiants (ANPEE), M. Mamadou Baba Touré, la mesure sur la réduction de 20 % des frais de scolarité vient à point nommé vu le contexte du pays et la situation économique des parents qui ont souvent des difficultés à honorer leurs engagements envers les fondateurs des écoles privées. « Pour cela, nous remercions le premier parent d’élève du Niger, le Président de la République, le Général d’Armée Abdourahamane Tiani, et le gouvernement. Vous n’êtes pas sans savoir que l’Association des Parents d’Elèves a longtemps réclamé cette réduction et il y a eu, en ma connaissance, trois comités qui ont siégé en 2021, en 2022, et celui de 2024. Dieu merci, c’est le rapport de 2024 qui a été pris en compte parce que le gouvernement a écouté le cri de cœur des parents et a procédé à la réduction de 20 % à tous les niveaux des établissements privés et sans exception », s’est-il réjoui.
Des astuces malicieuses de compensation envisagées par certains établissements
Annoncée comme une mesure d’allègement pour les parents d’élèves, la réduction des frais de scolarité dans les écoles privées au Niger est, dans la pratique, loin d’être appliquée avec rigueur. Si certaines écoles la respectent, d’autres contournent par des subterfuges cette mesure, au détriment des familles qui sont déjà financièrement éprouvées.
Sur les réseaux sociaux, notamment facebook, les témoignages se multiplient sur des frais réduits, mais compensés par d’autres charges imposées. Dans certaines écoles, la cantine, autrefois optionnelle, devient désormais obligatoire. Les tenues scolaires, auparavant incluses dans les frais annuels, pour certains, sont aujourd’hui facturées à part et très chères, sans possibilité d’aller s’en procurer ailleurs ou sur les différents marchés de la place. D’autres établissements n’hésitent pas à scinder des prestations intégrées dans les anciens tarifs pour mieux les facturer séparément, maintenant ainsi voire augmenter le coût total de la scolarité. Ce que dénonce un parent d’élève sur les réseaux sociaux : « Beaucoup d’écoles proposaient auparavant un forfait tout-en-un pour les frais de scolarité. Mais depuis l’annonce de la réduction de 20 % par l’État, ce système a été éclaté. Certaines écoles ont trouvé un moyen, disons-le clairement, malhonnête, pour contourner la mesure en ne réduisant presque rien, sous prétexte que la baisse ne concerne que les frais de scolarité et non l’ensemble du package ». Avant de citer un exemple : « avant, une école facturait un tarif global de 400 000 FCFA, incluant frais de scolarité, cantine et tenue scolaire. Une réduction de 20 % aurait dû ramener le tout à 320 000 FCFA. Mais voici ce qui se passe aujourd’hui : – Frais de scolarité : 300 000 FCFA donc 240 000 F après réduction ; – Cantine : 90 000 FCFA (désormais obligatoire) ; – Tenue scolaire : 35 000 FCFA (paiement obligatoire à l’école) ; Total : 240 000 + 90 000 + 35 000 = 365 000 FCFA. Résultat : au lieu de payer 320 000 FCFA, les parents se retrouvent à payer plus ». Comme quoi, les écoles auront toujours les moyens de faire payer aux parents ces 20% voire plus, d’une manière ou d’un autre.
Un autre témoignage anonyme recueilli à Niamey souligne une tentative similaire. « Dans l’école de mon enfant, ils ont voulu retirer les cours de langues et d’arts plastiques qui étaient pourtant inclus dans le programme les années précédentes, pour les facturer séparément cette fois-ci. Heureusement, face aux multiples réactions sans doute, ils sont revenus sur leur décision. Ils ont fini par publier une nouvelle grille tarifaire conforme aux anciens tarifs, respectant ainsi la réduction de 20 % recommandée par l’Etat».
Un autre témoin rapporte que, dans l’école de sa petite sœur à Dosso, les frais annuels s’élevaient à 185 000 F CFA. « Les parents s’attendaient donc à une réduction sur ce montant, conformément à la mesure des 20 %. Mais, à leur grande surprise, l’école leur a annoncé que seulement 115 000 F concernaient réellement les frais de scolarité, et que les 70 000 F restants étaient en réalité destinés à la cantine » a-t-il dit avec déception.
Ces pratiques dénoncées par de nombreuses personnes soulèvent une question de transparence et de respect des décisions publiques. Les responsables des écoles concernées semblent vouloir prouver qu’ils ont des astuces pour contourner la décision des autorités. Pour cela, un contrôle très strict s’impose pour garantir l’effectivité de cette mesure sociale et protéger les droits des parents.
Le SG de l’ANPEE appelle les parents d’élève à signaler les cas de non-respect de la mesure
Pour le Secrétaire général de l’ANPEE, l’État et l’association ont joué leur partition et il incombe désormais aux parents qui inscrivent leurs enfants au niveau des écoles de signaler les abus et les cas de non-respect. « Dieu merci, nous avons constaté que beaucoup de fondateurs ont respecté ces mesures et ont appliqué la réduction des 20 %. Certes, il y a des petits malins, qui font la réduction et créent une autre rubrique ; les frais d’inscription. Or, les frais d’inscription n’existent même pas au niveau du secondaire et du primaire. Ce sont des tricheries, ça n’existe pas. C’est au niveau supérieur seulement qu’il y a les frais d’inscription. Maintenant, c’est un autre débat aussi qu’il faut qu’on ouvre parce que les frais d’inscription sont énormes. Parfois, vous allez voir ils sont de cinq (5000) mille FCFA, dix (10 000) mille FCFA voire quinze (15 000) mille FCFA dans certains établissements. Donc, nous pensons que les parents doivent veiller pour que vraiment ce décret soit respecté par tous les acteurs », exhorte-t-il. Il a enfin rappelé les parents à prendre en compte la réduction en fonction de la somme qu’ils ont versée pour l’année académique 2024-2025 conformément au contenu du décret, car, dit-il, s’ils acceptent à ce que les fondateurs des écoles modifient le montant d’inscription pour leur appliquer les 20 %, et qu’ils se taisent sans dénoncer, ils deviendront des complices directs de cette forfaiture.

Selon le Directeur des Études à l’Institut africain de Technologie (IAT), M. Seyni Magagi, la réduction des frais de scolarité, particulièrement dans les écoles de formation professionnelle et technique, peut avoir des effets contrastés ; positif comme négatif. En termes de possibilité, il y a une accessibilité accrue, en ce sens que plus de jeunes issus de familles modestes peuvent intégrer ces écoles, ce qui favorise l’égalité des chances. Les autres effets positifs, a ajouté M. Seyni Magagi, sont, entre autres, la réduction du décrochage scolaire qui va permettre de réduire la déscolarisation parce que les frais sont moins lourds ; le renforcement du capital humain. « Il faut le souligner, on aura davantage de diplômés qualifiés dans les métiers techniques et professionnels. Ce qui peut quand même stimuler l’économie nationale. Les parents participent à la formation en finançant les formations de leurs enfants, donc c’est un soulagement, surtout dans les pays où les frais étaient jugés exorbitants par les décideurs », souligne-t-il.

Par rapport à ces frais de formation, soutient M. Seyni Magagi, il ne faut pas percevoir cette mesure comme beaucoup de risques, mais plutôt la considérer avec beaucoup de philosophie, parce qu’en tant qu’acteurs de développement, ils doivent participer au développement du pays. « Qui dit développement d’un pays, dit sacrifice de tous ses fils, mais il faut que ce sacrifice soit équilibré», dit-il.
« … les écoles privées risquent de ne plus couvrir leurs coûts »
L’une des vocations des écoles privées au Niger est et demeure la recherche de profit à travers l’enseignement. Ces véritables entreprises éducatives risquent à court et long termes de voir leurs rentes se réduire et pire certaines pourraient fermer boutique, des conséquences liées aux charges de fonctionnement dont le coût en termes de salaires des enseignants, des équipements et des infrastructures.
Pour M. Seyni, l’autre risque est celui de la baisse de la qualité de la formation, car faute de moyens, certaines écoles pourraient réduire la qualité de la formation parce qu’elles auraient moins de matériel et des enseignants moins bien rémunérés. « Du coup, l’enseignant qui a un certain niveau de qualification ne choisira pas ce genre d’école et des classes seront surchargées pour pouvoir réduire le coût. Donc, tout ça, ce sont des effets négatifs et aussi il y aura certainement des fermetures des écoles. Il y a des écoles qui ne peuvent pas tenir ces coups et les plus fragiles financièrement pourraient ne pas survivre à la réduction de ces frais », note-t-il.
Du côté des établissements d’enseignement général, dans les multiples écoles de la ville de Niamey que nous avons sillonnées, les responsables d’établissement ont affiché des brochures sur lesquelles figurent les anciens et les nouveaux prix pour marquer le changement opéré avec la réduction des 20% conformément au décret du gouvernement.

Au collège Yasmina, M. Abass Dango, proviseur dudit établissement, souligne que son école appliquait déjà un certain mécanisme de réduction des frais de scolarité de l’ordre de 50 % pour les enfants des FDS au regard de leur proximité des camps de la gendarmerie et de la garde nationale. « Nous avons eu quelques flottements avec certains d’entre eux. Des parents à qui on prend 50 % des frais de scolarité viennent nous dire que cette mesure de l’État les concerne, donc finalement ça va être 70 %. Quand même ! Alors rapidement, on les a rappelés à l’ordre en leur disant qu’on pourrait bien les inclure dans cette même fourchette au même titre que tout le monde et de bénéficier de la réduction des 20 % du gouvernement et là ils se sont calmés », indique-t-il.
Les conséquences, selon le responsable de cet établissement, se feront ressentir au niveau des salaires des enseignants qu’ils arrivent tant bien que mal à payer, notamment à cause de certains parents d’élèves qui n’honorent pas leurs engagements. « Il y a la DGI qui nous amène des taxes de plusieurs millions comme c’était le cas l’année dernière. Nous, l’aspect commercial, on n’en parle pas. S’ils disent que les établissements scolaires sont des entreprises commerciales, chez nous, il n’y a plus cet aspect, c’est vraiment du social. La taxe de la DGI a été introduite par l’État ces dernières années, il n’y avait pas ça dans le temps, on recevait même des subventions. Maintenant, au lieu de nous appuyer, on puise encore dans le peu qu’on gagne », dénonce-t-il.
Une décision salutaire, mais qui déséquilibrerait le rapport entre les établissements publics et privés
Il y a un déséquilibre, souligne M. Seyni Magagi, parce que, dit-il, les écoles publiques bénéficient déjà de subventions et d’appuis de l’État en termes d’infrastructures, de coût d’énergie, de l’eau et autres. « Donc, à court terme, il faut retenir qu’il y aura un soulagement pour les familles et meilleures accessibilité et, à long terme, on risquera de fragiliser la qualité et la viabilité des écoles, si l’État n’accompagne pas la mesure par des subventions ou des investissements. La clé pour régler le problème, il faut aller vers l’équilibre, réduire les frais tout en garantissant des financements alternatifs pour maintenir la qualité de la formation », a-t-il indiqué.
Selon Seyni Magagi, pour garantir la qualité de l’éducation en réduisant les frais, il faut avoir des innovations, car réduire les frais de scolarité est une mesure sociale forte, mais pour que la qualité de l’éducation ne s’effondre pas, dit-il, il faut mettre en place des mécanismes d’accompagnement. Ces mécanismes sont, entre autres, des leviers efficaces sur lesquels tous les acteurs comme les promoteurs d’écoles, l’État, les syndicalistes, les parents d’élèves et la société civile peuvent réfléchir pour maintenir ou améliorer la qualité.
Parmi ces stratégies, préconise le Directeur d’études, il faut parler de la subvention publique ciblée pour que l’État puisse compenser la baisse des revenus des écoles par des financements directs surtout pour les filières techniques qui nécessitent du matériel coûteux. « L’État peut quand même accompagner ces écoles avec des matériels de dernière génération ou bien de les accompagner pour créer des laboratoires académiques qui permettent de faire la pratique. Il faut aller vers une innovation pédagogique. Aujourd’hui, la baisse des frais, je ne dirai pas que ça nous a surpris, mais ça nécessite une innovation pédagogique en intégrant le numérique, c’est-à-dire les cours en ligne, des simulateurs techniques, des plates-formes collaboratives, ça permet quand même de pousser l’apprenant lui-même à s’investir dans l’apprentissage », suggère-t-il.
Il en appelle à l’État pour créer un fonds de solidarité éducative. « Dans les grands pays développés comme le Canada ou d’autres pays de l’Amérique du Nord, c’est le capital humain qui est au centre du développement, ils ont mis un fonds de solidarité éducative. Surtout à l’ère de cette refondation, il faut qu’on s’assume », dixit le Directeur des études de l’IAT.
Hamissou Yahaya (ONEP)