
À Téra, chef-lieu du département du même nom, dans la région de Tillabéri, les structures sanitaires sont en première ligne pour répondre aux besoins d’une population de plus en plus vulnérable. Dans un contexte marqué par une insécurité persistante et un afflux croissant de populations déplacées, les structures sanitaires de Téra font preuve d’une résilience remarquable. Animés par un personnel déterminé, l’Hôpital de District et le Centre de Santé Intégré (CSI) Urbain de Téra, offrent, malgré de nombreux défis, des services et soins de santé aux patients de plus en plus nombreux. Avec le soutien des partenaires humanitaires qui accompagnent leurs efforts sur le terrain, les structures autant que les populations font preuve d’adaptation face à la dure réalité.
Quelque part dans la ville emblématique de Téra, à l’entrée d’une structure de santé publique, en cette matinée du mois de juin, les réverbérations des pleurs d’enfants résonnent. Dans les couloirs qui mènent au cœur du pavillon, l’on entend aussi des gémissements de certains patients dont les corps fragiles luttent pour retrouver leur vitalité. Au milieu de cette atmosphère chargée d’émotion, un personnel médical dévoué s’active avec sérénité et détermination, passant de lit en lit, rassurant les mères, ajustant les perfusions, contrôlant les patients. Nous sommes au Centre de Récupération Nutritionnelle Intensive (CRENI) pédiatrique, une structure dédiée aux enfants souffrant de malnutrition et de pathologies associées. C’est par ce service dont M. Issoufou Hassan Boulkassou a la responsabilité que commence notre immersion au cœur du district sanitaire de Téra.
Le CRENI, là où renaît le sourire …
Dans une grande salle aux murs blancs, parmi d’autres femmes, nous avons rencontré Mme Farila Oumarou. Elle vient de Haousanké (Gorouol). Assise sur un lit, la dame tient dans ses bras sa fille Ramatou, âgée de 14 mois. Cette mère au regard épuisé, vient de retrouver le sourire. « Ma fille souffrait d’une anémie. Sa vie était en danger. Elle a été référée ici, à l’hôpital de Téra. À notre arrivée, les responsables ont tout de suite pris le relais. L’enfant a reçu une transfusion sanguine, c’est son père qui a donné son sang. Les infirmiers sont formidables, ils prennent soin de nous avec beaucoup d’humanité. On ne paie absolument rien. Aujourd’hui, Ramatou va beaucoup mieux. Je ne peux que remercier Dieu pour cette chance », raconte-t-elle avec émotion, visiblement contente de la qualité du service.

À quelques mètres de là, dans une autre salle du CRENI, l’ambiance semble un peu plus détendue. Les pleurs ont laissé place à quelques rires d’enfants. Mme Fatouma Mamoudou, une autre mère est assise sur le lit avec un regard tendre posé sur son fils Amadou Hamadou, âgé de 10 ans. Elle vient de Firokoira (Gounday). « Quand nous sommes arrivés ici, Amadou avait une forte fièvre, il toussait beaucoup et se plaignait de douleurs aux côtes. Il refusait de manger, il était très faible mais, depuis notre prise en charge ici, tout a changé. Il a retrouvé l’appétit, il tousse moins et a retrouvé le sourire. Le personnel soignant est attentif, professionnel. Tout a été fait gratuitement, personne ne m’a demandé un seul franc. Nous sommes vraiment reconnaissants », confie-t-elle.
Le Centre de Récupération et d’Education Nutritionnelle Intensive (CRENI) n’est en réalité qu’une des composantes de l’Hôpital de District de Téra.
L’hôpital de district, une référence locale
Malgré les défis, l’hôpital de District de Téra joue son rôle de centre de référence dans la zone. Le médecin-chef adjoint du district sanitaire de Téra, Dr Techi Alio, indique que la structure dispose de pratiquement tous les services que l’on retrouve dans un hôpital de district. Aussi bien sur le plan médical que sur le plan administratif. Du point de vue médical, l’hôpital est équipé de plusieurs unités spécialisées, dont un service d’aiguillage, scindé en deux, l’un dédié aux adultes, l’autre aux enfants ; un service de pédiatrie ; un Centre de Récupération et d’Education Nutritionnelle Intensive (CRENI) ; un service de médecine générale ; un service des urgences chirurgicales ; un bloc opératoire avec une unité post-opératoire ; un service de maternité structuré en deux parties (hospitalisation et urgences obstétricales), comprenant une salle d’accouchement et une salle de soins intensifs ; des services d’échographie, de radiologie, de vaccination, de prise en charge de la tuberculose, d’hygiène et d’assainissement, ainsi qu’un laboratoire moderne.

Côté administratif, l’hôpital est structuré autour de plusieurs services essentiels dont la surveillance épidémiologique, la communication, la gestion des ressources humaines et matérielles, l’ensemble coordonné par le médecin-chef de district, assisté par son adjoint.
Dr Alio rassure que le personnel médical est suffisant et compétent pour une prise en charge efficace des patients. « Nous disposons d’un personnel suffisant pour répondre aux besoins de la population. Une dizaine de médecins sont en service, avec le soutien de partenaires tels que Médecins Sans Frontières (MSF) et Help, qui appuient également en ressources humaines », explique-t-il. L’équipe compte aussi plusieurs spécialistes, un chirurgien général, le médecin-chef qui est gynécologue, ainsi que Dr Alio lui-même, spécialisé en santé publique et chirurgie de district. «Nous avons pratiquement tout ce qu’il faut pour offrir une prise en charge de qualité », assure-t-il.

L’un des défis majeurs pour l’établissement est l’affluence massive de déplacés fuyant l’insécurité aux alentours. Cette situation, dit-il, fait que la demande en soins dépasse largement l’offre initialement prévue. Sur le plan financier, l’accès aux soins reste relativement abordable à cause des récentes mesures gouvernementales, dont le système de «ticket modérateur» qui permettait déjà à certains patients de payer un tarif réduit. « Aujourd’hui, les prix ont été revus à la baisse de moitié. Par exemple, un soin qui coûtait 5 000 francs se fait désormais à 2 000 francs CFA », indique Dr Alio.
Des mécanismes bien rodés, pour faire face à toute situation
Pour l’approvisionnement en médicaments et équipements, l’hôpital s’appuie selon ses explications sur un comité de gestion composé de représentants de la population. Chaque service évalue ses besoins, les transmet au comité qui assure les achats avec les fonds collectés via le ticket modérateur. « Nous exprimons les besoins techniques et ils se chargent de l’approvisionnement. Quelques partenaires locaux nous appuient également », précise-t-il.
En cas de nécessité, pour répondre aux urgences et épidémies, Dr Techi Alio indique que l’hôpital de Téra dispose de mécanismes bien rodés pour faire face à la situation car le Comité de gestion des épidémies (COGEPI), regroupant autorités sanitaires, administration locale et partenaires, se réunit à chaque alerte pour coordonner la réponse et répartir les tâches.
En termes d’accessibilité géographique, l’hôpital est, dit-il bien situé. Toutefois, l’insécurité limite les déplacements des ambulances. « En temps normal, elles sont postées dans les centres de santé intégrés (CSI), mais aujourd’hui, elles doivent être sécurisées dans l’enceinte de l’hôpital », déplore Dr Alio.
« Plusieurs partenaires soutiennent l’hôpital dans la prise en charge des patients en fonction du protocole d’accord signé avec le gouvernement ; MSF Espagne est particulièrement actif, surtout en pédiatrie et en maternité, tout comme Help au niveau du CRENI. D’autres organisations comme ACF, le PAM et l’UNICEF interviennent ponctuellement, notamment en nutrition et en médicaments », précise Dr Alio. Mais, estime-t-il, le principal défi réside dans la pérennisation des acquis. «Les projets des partenaires ont une durée de vie limitée. Il est donc crucial de renforcer nos capacités internes pour garantir la continuité des soins, même en cas de retrait de ces partenaires », recommande le médecin-chef adjoint du district sanitaire de Téra.
Une forte affluence au CSI urbain
La responsable du Centre de Santé Intégré (CSI) urbain de Téra, Mme Issoufou Biba, dresse un état des lieux des services offerts par la structure et aussi des défis auxquels le personnel fait face pour mieux répondre aux besoins sanitaires de la population de Téra, sans oublier les perspectives pour une amélioration de la situation. Le centre de santé propose plusieurs services essentiels dont les soins curatifs, la Consultation Prénatale Recentrée (CPNR), la Consultation Nourrisson (CN), la Planification Familiale (PF), le Programme Élargi de Vaccination (PEV), la prise en charge de la malnutrition et la Maternité.

Une équipe d’infirmières dynamiques œuvre sans relâche au service du curatif, un service central dédié au diagnostic et au traitement des pathologies courantes. Dans une salle aux murs vert clair, les infirmières s’activent avec professionnalisme, procédant aux auscultations et aux prescriptions. « C’est ici que les patients reçoivent les premiers soins visant à restaurer leur état de santé, grâce à différentes méthodes diagnostiques et thérapeutiques », explique Mme Biba, visiblement fière de son équipe.
Nous avons rencontré dans cette salle, Mme Safoura Hamadou, une jeune mère venue du quartier Carré. Elle tient tendrement son enfant fiévreux dans les bras. « J’ai quitté la maison dès les premières heures parce que mon enfant ne se sentait pas bien. Dès mon arrivée, j’ai été très bien accueillie. Les infirmières ont tout de suite pris mon enfant en charge. Elles m’ont prescrit les médicaments que je m’apprête à aller acheter », raconte-t-elle le regard rassuré, témoignant du soulagement que procure un service de santé accessible et efficace.
Des infirmières « promptes, compétentes et respectueuses »
La visite guidée avec Mme Biba s’est poursuivie vers une autre salle, dédiée cette fois à la Consultation Nourrisson (CN), l‘espace réservé au suivi régulier des bébés. L’ambiance y est plus animée, rythmée par les pleurs des nourrissons, les murmures des mères et les gestes précis des agents de santé. Mme Salamatou Samsou est venue du quartier Zongo situé à près de 4 kilomètres du centre. Cette maman porte dans ses bras ses jumelles, qu’elles a amenées pour la pesée et la vaccination. « À chaque visite, je suis bien accueillie. Les infirmières sont promptes, compétentes et respectueuses. Je rends grâce à Dieu pour la qualité des soins que nous recevons ici », se réjouit-elle.

Mme Issoufou Biba signale aussi que le CSI est très sollicité, précisant que chaque jour, entre 50 et 63 patients y sont accueillis. Face à cet afflux important, le personnel travaille sans relâche, jour et nuit. « À tout moment, des malades arrivent, 24 heures sur 24 », témoigne la responsable du Centre.
Malgré cette forte pression, Mme Issoufou Biba estime que le personnel disponible est globalement suffisant pour assurer les soins, à l’exception du médecin. « Il nous manque juste un médecin, bien que le reste du personnel en majorité des bénévoles, chacun fait de son mieux », relève-t-elle.
S’agissant des principales difficultés, Mme Biba évoque la pauvreté des patients qui empêche certains d’acheter les médicaments prescrits. Elle pointe également l’absence de régularité dans l’approvisionnement des médicaments qui peuvent prendre entre 3 à 5 mois avant d’arriver. « Nous passons nos commandes en fin de mois, mais la réception n’est pas régulière », précise-t-elle. Aussi, l’insécurité persistante constitue un autre obstacle majeur, affectant les populations ainsi que le fonctionnement du centre qui connaît une plus grande fréquentation du fait de l’afflux de populations déplacées des zones rurales vers Téra.
Bien que situé en périphérie de la ville, le CSI reste accessible à la majorité des habitants. D’autre part, pour faire face aux situations d’urgence, un petit stock de produits essentiels a été constitué afin d’administrer les premiers soins avant de référer les cas critiques vers des structures hospitalières plus équipées.
Pour les perspectives, Mme Biba appelle à un renforcement des compétences du personnel de santé. « Le CSI de Téra est un grand centre qui reçoit beaucoup de patients. Il est crucial de former davantage nos agents sur les maladies fréquentes et sur la gestion des équipements », fait-elle savoir. Par ailleurs, des formations de premiers secours sont dispensées aux relais communautaires dans plusieurs villages. Mme Biba propose d’étendre ces initiatives aux agents de santé et lance un appel aux autorités pour un recrutement massif dans le secteur de la santé. « Nous sommes une quinzaine d’agents ici, dont je suis la seule titulaire. Il y a cinq contractuels et neuf bénévoles. Certains contractuels sont là depuis plus de huit ans. Mon souhait est qu’on procède à leur recrutement afin que les bénévoles puissent eux aussi obtenir un statut plus stable. Cela permettrait de soulager considérablement notre personnel », souhaite-t-elle.
Assad Hamadou (ONEP), De retour de Téra