Depuis quelque temps, un extrait d’un discours prononcé par le président de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP), le Général Mahamadou Abou Tarka qui circule sur les réseaux sociaux donne lieu à des interprétations malsaines. Ce discours tenu lors d’un Forum de dialogue Administration-Population de Ouallam, le 09 Janvier 2021 à Ouallam fait le buzz parce qu’il est extirpé de son contexte par des esprits malveillants qui veulent en faire un usage détourné. Nous vous proposons ici l’intégralité de ce discours tel que prononcé par le général Abou Tarka, cela pour permettre aux citoyens de se démarquer des interprétations malsaines qui en sont faites.
« Excellence Monsieur le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Publique ;
-Honorables députés nationaux ;
-Monsieur le Conseiller Principal du Premier Ministre,
-Monsieur le Haut Commandant de la Gendarmerie Nationale,
-Monsieur le Haut Commandant de la Garde Nationale
– Monsieur le Directeur Général de la Police
– Monsieur le Gouverneur de la région de Tillabéry ;
– Messieurs les préfets des départements de Banibangou et de Ouallam ;
– Messieurs les maires,
– Officiers, Sous-officiers, hommes de rangs, gendarmes, Gardes et Policiers,
– Honorables Chef de Cantons et Chef des Villages et chefs de tribus;
– Mesdames et Messieurs les membres de la Presse
-Honorables Chefs traditionnels, leaders religieux et communautaires ;
– Distingués invités et participants, en vos titres grades et qualités ;
Nous tenons ce Forum ici dans le Zarmaganda à un moment particulièrement critique de notre histoire. Le samedi 27 décembre 2020, alors que sur la plus grande partie du territoire national, nos concitoyens étaient sortis nombreux pour choisir librement leurs dirigeants par les urnes et marquer ainsi une étape importante dans la vie politique de notre nation, une centaine de nos compatriotes civils, sans défense, hommes et jeunes garçons étaient pourchassés, poursuivis, et abattus froidement et lâchement par les terroristes qui écument l’Hinterland entre le Niger et le Mali. Cette zone, nous le avons, est un foyer d’instabilité et d’insécurité et malgré l’action des Forces Armées, des Forces de Sécurité, malgré les efforts de l’administration et des autorités coutumières pour y assurer la paix et ramener la quiétude, chaque jour qui passe vient avec son lot de meurtres et de désolation.
C’est pour discuter de cette situation, écouter les populations, apporter des réponses aux défis posées par la situation, que le Président de la République a ordonné à la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix d’organiser cette rencontre et demandé au Ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité publique de la diriger personnellement.
Mesdames et Messieurs,
Cette rencontre traduit la détermination de l’Etat nigérien à demeurer l’avant-garde de la résolution des problèmes de sécurité qui se posent dans notre pays. Ces problèmes ne peuvent pas être gérés par nos alliés et partenaires malgré leur bonne volonté et leur engagement à nos côtés. Les questions de sécurité et de Défense sont des questions régaliennes et la protection des populations nigériennes relèvent exclusivement de la compétence du Gouvernement du Niger. Ce Forum est un Forum du Gouvernement.
Et le Gouvernement est pleinement engagé dans cette mission. S’il est encore besoin de le démontrer, un simple tour des participants à ce Forum suffit à l’illustrer : Nous avons ici, le Ministre de l’Intérieur chargé de la Sécurité publique et autour de lui les principaux chefs des Forces de Défense et de Sécurité du niveau national, tous membres du Conseil National de Sécurité: le Directeur General de la police, le Haut commandant de la Gendarmerie, le Haut Commandant de la Garde Nationale. Nous avons également le Conseiller Principal du Premier Ministre, chargé de la Cellule de réponse aux crises et nous savons l’importance de ce service de l’Etat dans les premières réponses aux crises pour soutenir les populations victimes, dans une zone où seul l’Etat peut intervenir et où les agences et ONG internationales peinent à opérer du fait des menaces des terroristes. Nous avons aussi le Chef d’Etat-major de l’Opération militaire Al Mahaou qui est déployé dans le Nord de la Région de Tillabéry, qui représente ici le Chef d’Etat-major des Armées. Les hommes de l’opération Al Mahaou payent un lourd tribut en sang et en sueur pour garantir notre sécurité.
Je voudrais ici saluer leur action, leur engagement et les sacrifices qu’ils consentent pour que le Niger vive en paix. Nous avons aussi le Gouverneur de Tillabéry entouré de Son Conseil Régional de Sécurité, nous avons bien évidemment les Préfets et leurs services techniques et de sécurité. Il y’a aussi ici les élus, les députés de la région, ainsi que les maires des cinq communes. Nous avons en face de nous, l’ensemble des chefs coutumiers, chefs de cantons, chefs de villages, chefs de tribus, imams et notabilités régionales.
Ce type de rencontres est devenu la norme dans notre pays, du fait des missions que le Président de la République a confié à la Haute autorité à la Consolidation de la Paix, missions qui visent à apporter une réponse intégrée, concerté et multidimensionnelles aux crises sécuritaires. Nous sommes bien armés pour nous pencher sur la situation, mettre en évidence les insuffisances de nos réponses, recueillir l’avis des populations, confronter nos idées et déboucher sur des recommandations à même de nous permettre de remédier à la dégradation de la situation sécuritaire que nous observons.
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Mesdames et Messieurs,
Les difficultés de garantir la paix dans une zone comme celle du nord Tillabéry vient du fait que c’est une zone frontalière ouverte sur le Mali ou l’Etat a malheureusement disparu. Il suffit aux terroristes, une fois leur forfait accompli, de s’enfuir dans les grands espaces du Nord Mali et d’attendre une prochaine occasion pour frapper fort au lieu et au moment de leur choix. Aucun pays au monde ne peut prévenir de manière certaine la commission d’un acte terroriste. Un acte terroriste est par définition un acte aléatoire toujours commis sur le plus faible, le plus vulnérable. Aucun pays n’est à l’abri d’un tel phénomène.
Dans le cas de notre pays, les foyers d’instabilité où ces actes sont commis ont tendance à se concentrer dans les zones périphériques et frontalières, où l’Etat est faible et peine à satisfaire aux besoins sociaux de base des populations, mais aussi à leur besoin de paix, de justice et de protection. Ces zones sont propices au développement de l’extrémisme violent, d’origine identitaire, idéologique ou religieuse. Cet extrémisme violent aggrave les défis auxquels ces zones sont confrontées, conduit à une détérioration rapide de la situation sécuritaire et provoque des véritables catastrophes humanitaires en entrainant le déplacement des populations et la désorganisation de l’économie.
La région de Nord Tillabéry est un de ces foyers d’instabilité. Les mouvements extrémistes et identitaires qui écument le Nord du Mali ont rapidement étendu leurs activités dans le Nord et l’Ouest de la région de Tillabéry au Niger mais aussi dans le Nord et l’Est du Burkina Faso. Cette extension est facilitée par la présence de chaque côté de la frontière des mêmes communautés. Les conflits entre l’Etat malien et les groupes armés Djihadistes ou identitaires se sont ainsi déplacé dans notre pays et les groupes armés se sont attaqués aux forces Armées et aux Forces de Sécurité et aux représentants de l’Etat que sont les chefs coutumiers. C’est ainsi que les chefs de villages sont systématiquement ciblés avec comme objectifs de les assassiner, de les chasser. Ceux qui restent n’ont d’autres choix que de se soumettre. Le but ultime de ces groupes est de devenir l’autorité de fait dans la campagne. Cette autorité se traduit par la main mise sur le cheptel des nomades et l’extorsion de l’impôt, la dime, appelée cyniquement Zakat qui n’est en vérité qu’un racket sur des villageois sans défense.
Depuis la réaction vigoureuse des Forces Armées, les attaques se sont raréfiées sur les militaires, mais elles ont redoublé sur les civils. Cette situation a provoqué une catastrophe humanitaire avec le déplacement des populations, et désorganisé de manière durable les rapports sociaux dans les communautés affectées.
Quelle est la situation aujourd’hui et quels sont les défis de la zone ? C’est à ces questions que nous allons essayer de répondre. Permettez-moi de faire mon diagnostic rapide.
Le premier défi qui découle de cette situation est la protection des populations. C’est un défi immense qui demande de notre côté une réflexion approfondie pour trouver des solutions originales. Car on ne peut pas mettre un militaire dans chaque village. Ensuite les moyens militaires lourds sont de peu d’efficacité par rapport à des petits groupes de moto qui surgissent de nulle part et qui se dispersent rapidement, se fondent dans la brousse ou se déguisent cyniquement en civil innocent avec l’objectif de provoquer une réaction violente et indiscriminés des Forces de l’Ordre contre les populations. Car le but des terroristes est de décrédibiliser l’Etat et ses démembrements. De provoquer des accusations d’exactions pour lier les mains des Forces de Sécurité, les neutraliser et ainsi les opposer aux communautés. Leur but est également de montrer aux populations par des actes de terreurs permanents que l’Etat et les militaires ne peuvent pas les protéger. De faire en sorte que la seule garantie de sécurité est une soumission à leur volonté. Cette stratégie leur permet de recruter facilement les jeunes de toutes les communautés.
Certes, et cela est indéniable, les principaux lieutenants de Abou Walid Al Sahraoui sont des nigériens issus d’une seule communauté, ce sont des Peuls Tolebé, et ce n’est un secret pour personne. Ils s’appellent Adam Dalo, Gorel Dji, Doundou Cheffou, Petit Chaffori, Issa Barey, Boubacar Bello et j’en passe. Mais aujourd’hui, grâce à la terreur exercée sur les villages des centaines de jeunes d’autres communautés les ont rejoints. Les nouveaux chefs des terroristes s’appellent Hamida Hamma dit Maytouwo (qui aura dirigé le massacre de Tchoma Bangou et de Zaroum Darey) et son frère Tondi Hama Wasakoyze, tous de Tingara ; ou encore ceux originaires de Tongo Tongo comme Dela Anabo, Salifou Maman ou Kadafi Gniazey, Lasso Saley, Djibo Karimou, Bouba Abblo, Hama Djibo, Yaou Ali. Tous sont des Djermas. Ce sont des terroristes recherchés. Au Niger donc, la guerre qui se déroule est une guerre entre les terroristes et le gouvernement, ce n’est ni une guerre entre des communautés ni une guerre dans laquelle le Gouvernement défend une communauté et en opprime une autre.
Que cela soit clair. Dans notre République la stigmatisation des communautés n’a pas de place. La République est inclusive, elle est aveugle à l’origine ethnique des individus. La responsabilité des terroristes est et demeure individuelle. Elle ne s’étend pas à leur ethnie.
Le deuxième défi, lié au premier est de permettre aux populations de regagner leurs villages, leurs campements et leur lieu de culture et leur pâturage afin de se soustraire à la dépendance humanitaire et de reprendre leur sort en main, bref, de développer leur résilience. Car l’expérience de la région de Diffa nous montre que les camps de réfugiés deviennent très vite des repères de terroristes, de bandits et de voleurs. Nous ne voulons pas rééditer dans la zone de Tillabéry l’erreur de la région de Diffa. Certes, nous avons besoin de l’appui des humanitaires, mais notre objectif et de reconquérir le territoire vidé par les populations, de les y protéger et de les aider sur place par des projets de développement à améliorer leur sort et à faire reculer la pauvreté. Ceux qui font commerce de la misère des déplacés ne nous rendent pas service. Pour relever ce défi de sécuriser les populations et la protection des villages, il convient de réfléchir aux types de missions que l’on doit donner aux forces de sécurité intérieure et les distinguer des actions d’envergure guerrière que l’on demande aux Forces Armées qui doivent affronter l’ennemi et le traquer dans ses derniers retranchements.
Le troisième défi est de lancer rapidement, malgré la situation, j’allais dire à cause de la situation, les projets de développement dans la zone en commençant par réhabiliter sans délai les services sociaux de base, accompagner la réouverture des écoles, reconstruire les infrastructures, redémarrer les activités économiques bref faire revivre les communautés. Ce troisième défi est bien compris par nos partenaires de l’alliance Sahel et le Projet de Forages financé par l’AFD que la HACP mène conjointement avec les Forces de l’Opération Al MAHAOU en est un exemple concret.
Il faut commencer à répondre à ces trois défis tout en combattant les groupes armés terroristes. Il faut les rechercher, les poursuivre sans relâche dans leur base au Mali, les annihiler, leur interdire le terrain. Pour ce faire il faut renforcer la coordination entre l’administration et l’armée, entre les Forces de Sécurité départementale et l’armée. L’administration peut beaucoup dans cette guerre. Elle est en relation avec les chefs coutumiers, elle est en relation avec les populations. Les Forces Armées ont besoin de la connaissance que l’administration a des communautés. La consultation entre les militaires et le Gouverneur, entre les militaires et les préfets doit être permanente. Cette guerre se déroule au sein des populations. Comme nous disons dans le jargon militaire, ce sont les populations qui sont le centre de gravité de cette guerre.
Les terroristes ne cherchent donc pas seulement à tuer des militaires. Ils cherchent surtout à contrôler les populations. Ils cherchent à instrumentaliser les frustrations de certaines communautés qui sont vues comme négligées par l’Etat. C’est dans ces communautés fragiles que les terroristes recrutent et cherchent à creuser un fossé encore plus grand entre ces communautés et l’Etat, entre ces communautés et l’Armée. Nous sommes en compétition contre les terroristes pour gagner les cœurs et les esprits des populations. Nous sommes en lutte pour garder leur loyauté. Cette loyauté ira à celui qui est capable de les protéger, de leur garantir la quiétude et la sécurité. L’histoire nous enseigne que les guerres dans lesquelles des populations sont impliquées peuvent être longues et difficiles. Ces luttes ne se réduisent pas seulement à la dimension militaire. Elles revêtent toujours un caractère global et multidimensionnel. C’est un combat dans lequel, l’amélioration du sort de la population contribue à la victoire. Au contraire, la précarisation des populations, ou leur installation trop longtemps dans des camps de réfugiés favorise le développement de la criminalité, affaiblit les capacités de résilience des communautés et rend les individus vulnérables.
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Mesdames et Messieurs,
Je ne souhaite pas que la présence des autorités soit un obstacle à la parole libre. Nous avons invités les représentants de la population dans toutes ses composantes afin que nous puissions conduire des discussions franches, sans peur ni préjugés et personne ne sera inquiété pour ses opinions. Dites-nous vos problèmes, proposez nous des solutions. Aidez-nous à comprendre encore mieux la situation, aidez-nous à vous aider.
Je vous remercie de votre aimable attention. ».