Ces derniers temps, élections obligent, le débat politique national semble dominé par l’épineuse question juridique autour de l’éligibilité ou l’inéligibilité de certains acteurs politiques nigériens qui ont subi des condamnations pénales devenues définitives. Comme vous le savez, certaines condamnations pénales se doublent également d’autres sanctions qui peuvent atteindre la personne du condamné dans certains de ses droits civiques, civils et de famille.
Mais ce qui nous intéresse ici dans cet article de réflexion, c’est la matière électorale, notamment la question de l’inéligibilité comme peine complémentaire encourue après la peine principale. Il s’agit, d’une manière plus simple, de savoir dans quelles circonstances un individu condamné pour un crime ou un délit, après la peine principale, peut encourir la déchéance de ses droits civiques, c’est-à-dire être électeur ou être éligible. Mais pour aborder un tel sujet, il serait judicieux de procéder à quelques développements succincts afin de mieux cerner la notion de peines complémentaires, celle qui nourrit aujourd’hui tous les débats au Niger.
La peine complémentaire ou le principe de personnalisation de la sanction
Un principe général domine tout le Droit pénal général : le principe de la légalité des peines. Aux termes de ce principe, toutes les incriminations contenues dans le Code pénal ainsi que leurs sanctions doivent être prévues dans les textes en vigueur ; autrement, il n’y a pas de condamnation pénale sans texte. Ainsi, à côté des peines principales, peines assortissant les incriminations du Code pénal, il existe deux autres peines qu’on pourrait appeler des peines secondaires.
En premier lieu des peines secondaires, on peut mentionner les peines complémentaires qui, comme leur nom l’indique, viennent s’ajouter à la peine principale. Toujours au titre des peines secondaires, on peut aussi citer les peines accessoires qui sont des sanctions automatiques qui n’ont point besoin d’être prononcées par le juge.
Quelle différence alors entre peines complémentaires et peines accessoires ? La différence, comme on peut l’imaginer, réside dans l’office du juge qui, en cas de peines complémentaires, a la possibilité de l’infliger au condamné, tandis qu’en cas de peines accessoires, la sanction est … automatique car découlant de la nature de l’infraction commise.
En réalité, ces deux peines participent d’une philosophie pénale que tout oppose. S’agissant de la peine complémentaire, elle répond avant tout au principe d’individualisation de la sanction pénale, c’est-à-dire de la prise en compte de la personne du condamné dans la prise de la sanction. Pour ce qui est de la peine accessoire, elle s’inscrit davantage dans une logique répressive pure, d’où aujourd’hui son déclin à la lumière de la philosophie des droits de l’homme qui veut donner la latitude au juge de prononcer la sanction secondaire. Vous n’avez toujours pas compris ? Peut-on confier la gestion d’une banque à une personne qui a déjà fait l’objet d’une condamnation pour détournement de deniers publics ? Evidemment que non, et c’est le rôle de la peine accessoire de le dire ! Peut-on élire à un mandat électif un individu condamné par le passé pour une infraction de faux et usage de faux, faux en écriture publique et privée ? La peine complémentaire vous en donne la réponse…
Voilà, de manière résumée la problématique posée par les peines secondaires, c’est-à-dire les peines complémentaires et accessoires ! Qu’en est-il alors de la peine complémentaire d’inéligibilité qui fait tant couler d’encre et de salive au Niger ?
L’automaticité de l’inéligibilité en Droit pénal nigérien
Le Code pénal nigérien en vigueur est issu, pour l’essentiel de la Loi du 15 juillet 1961 portant institution d’un Code pénal au Niger, modifiée et complétée par la Loi du 13 juin 2003, modifiée et complétée elle aussi par la Loi du 07 mai 2020. Dans ses grandes lignes, ce Code pénal nigérien est une reprise du Code pénal Napoléon de 1810, appelé Code d’instruction criminelle. Si en France, ce Code Napoléon a été profondément remanié au terme de la grande réforme de 1992, chez nous au Niger, le Code pénal d’inspiration napoléonienne est demeuré le même, notamment en matière d’automaticité de la peine complémentaire. En effet, dans le Code pénal napoléonien de 1810, les déchéances des droits civiques, civils et de famille qui frappent certains condamnés sont encourues de plein droit, c’est-à-dire qu’elles sont au-to-ma-ti-que-ment applicables et n’ont absolument pas besoin d’être prononcées par le juge pénal. Cependant, en France, cette automaticité des peines complémentaires a été abolie et dorénavant, pour qu’elles opèrent, il faut qu’elles aient été prononcées par le juge pénal et être limitées dans le temps. Cette évolution du Droit pénal français est sans doute due à l’uniformisation avec le Droit communautaire européen davantage préoccupé par l’amélioration du sort des condamnés. Ainsi, aux termes de l’article 132-17, alinéa 1er du Code pénal entré en vigueur au 1er mars 1994, il est énoncé que : « Aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l’a pas expressément prononcée », ce qui signifie l’interdiction des peines accessoires.
Plus spécifiquement, l’inéligibilité appartient au bloc des droits civiques, civils et de famille auquel l’article 132-17 du même code confère une protection particulière : « L’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l’article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein-droit d’une condamnation pénale ». On comprend, dès lors, à la lecture de ces dispositions pénales, que l’inéligibilité ne peut être que la conséquence d’une peine complémentaire et non plus d’une peine accessoire.
Mais chez nous au Niger, cette automaticité de l’application des peines complémentaires a survécu à toutes les réformes qui ont concerné notre Code pénal. Ainsi donc, les peines complémentaires d’inéligibilité, même si elles n’ont point été prononcées par le juge de la sanction pénale, opéreront de plein droit. En termes plus prosaïques, lorsqu’un condamné d’une peine complémentaire voudrait exercer ses droits civiques, c’est-à-dire être électeur ou éligible, il se heurterait indubitablement à cet obstacle dirimant (rédhibitoire) par la combinaison des dispositions du Code pénal, de la Constitution et du Code électoral.
Pour illustrer ce cas-ci, un président d’un parti politique de la place avait été déchu de sa qualité de président de parti, au nom du principe selon lequel, il était devenu juridiquement inapte à l’exercice de cette fonction pour avoir été condamné par une décision judiciaire devenue définitive. Depuis cette décision, l’intéressé a fait sans doute le deuil de ses ambitions politiques et a sagement disparu de la scène politique nationale.
Comme on le voit, le Droit pénal français et le Droit pénal nigérien ne sont pas sur la même longueur d’onde sur cette question d’inéligibilité encourue en cas de peines complémentaires.
Voilà, aujourd’hui, les tenants et aboutissants de cette question juridique, pourtant claire et nette dans son principe et son expression, que certains tentent d’instrumentaliser par une lecture diagonale du Droit, le tout dans le sombre dessein d’infantiliser une partie de nos concitoyens ! Le Droit est une science claire et logique et reflète à cet égard les aspirations et la maturité d’une société à un moment donné de son histoire.
La preuve, le Code pénal, pour s’adapter aux exigences des temps présents, a dû être réformé pour prendre en compte en 2020 les infractions liées au terrorisme et à la cybercriminalité. Toute autre lecture ou interprétation sur cette question donnée qui ne s’inscrirait pas dans une démarche sociétale globale, ne relèverait, en fin de compte, au mieux, que de la diversion, au pire, de la pure démagogie.
Quand on commet un impair, il faut toujours s’attendre à la réparation pénale, car nul n’est censé ignorer la loi, dit-on souvent !
Par Zakari Alzouma Coulibaly et Ayouba Karimou