
Une vue d’un champ dans le département de Boboye
Le département de Dosso est une zone propice à l’agriculture et à l’élevage. Ces deux secteurs constituent indubitablement l’épine dorsale de l’économie nigérienne. Mieux, l’agriculture et l’élevage sont complémentaires. Mais, dans bien de cas, les acteurs des deux secteurs se chamaillent jusqu’à rendre leur cohabitation difficile. Dans le département de Dosso, la terre constitue une richesse inestimable en raison de la fertilité des sols. Mais, avec l’accroissement naturel de la population, elle est devenue un enjeu majeur. Les terres cultivables semblent insuffisantes pour les agriculteurs qui n’hésitent pas à grignoter dans les aires de pâturage. Et de l’autre côté, les éleveurs se multiplient d’année en année, alors que les espaces de pâturage ne s’accroissent guère.
C’est en effet à cette équation déjà difficile à résoudre que vient s’ajouter la descente d’autres éleveurs transhumants à la recherche de pâturage pour leurs animaux. C’est dans cette cacophonie que vivaient pendant plusieurs années les agriculteurs et les éleveurs de la région. Il fallait inventer un mécanisme, un instrument, un espace de dialogue sincère entre les deux acteurs afin de minimiser les conflits, à défaut de les éradiquer totalement. Car, dit-on, il n’existe pas au monde une cohabitation, un vivre ensemble sans qu’il n’y ait de temps en temps des couacs. L’essentiel est que la raison prévale lorsqu’un malentendu survient dans la vie en société. C’est justement dans ce schéma que le département de Dosso s’est désormais inscrit.
Le résultat sur le terrain est que les agriculteurs et éleveurs entretiennent depuis quelques années, dans cette partie de la région, des rapports de coopération mutuellement bénéfique et non des rapports conflictogènes comme par le passé. En effet, le premier outil ou instrument sur lequel s’appuie l’administration lorsqu’il s’agit de faciliter la cohabitation pacifique entre agriculteurs et éleveurs est sans nul doute la commission foncière départementale. Elle est un dispositif qui émane du Code rural. Ses missions principales sont de : gérer des ressources naturelles, participer activement à la gestion des conflits, organiser les acteurs ruraux et mettre en œuvre la politique nationale du foncier rural.
La particularité de la commission foncière du département de Dosso réside dans le fait que Dosso est une zone à vocation agricole où l’élevage se pratique aussi. On voit d’une part, des agro-pasteurs et, d’autre part, des pasteurs transhumants. Et c’est justement cette cohabitation qui engendre le plus souvent des conflits que la commission foncière est tenue de gérer chaque année. Ainsi, les conflits se manifestent entre agriculteurs, entre éleveurs et agriculteurs et entre éleveurs eux-mêmes, notamment sur la question du partage des ressources naturelles.

Les mobiles qui engendrent les conflits entre les acteurs ruraux peuvent être principalement et fondamentalement la pression exercée sur le domaine foncier du fait de la démographie. Pour le secrétaire permanent de la Commission foncière départementale, M. Tahirou Soumana, la démographie de la population a fait en sorte que les gens ont tendance à agir sur les ressources agricoles. A cela s’ajoute l’appétit vorace des producteurs ou des commerçants ayant les moyens de s’acheter les terres pour la mise en valeur. Cette pression crée aussi des conflits entre agriculteurs. Ce retour spectaculaire à la terre provoque un choc conflictuel entre les acteurs eux-mêmes. En ce qui concerne les conflits entre agriculteurs et éleveurs, ils sont constatés lors des dégâts champêtres. C’est ainsi qu’il a été enregistré beaucoup de conflits par le passé. Mieux, il y a l’accaparement ou le grignotage par les agriculteurs des espaces réservés au pâturage (les couloirs de passage, les aires de pâturage, les enclaves pastorales etc.). La dichotomie entre éleveurs et éleveurs se manifeste principalement au niveau du partage des points d’eau, en raison bien évidemment de l’insuffisance des puits pastoraux pour l’abreuvage des animaux.
L’approche du département de Dosso pour endiguer les conflits des acteurs ruraux
La charpente de l’approche du département de Dosso sur les conflits entre les acteurs ruraux repose sur la communication à travers une sensibilisation accrue de l’ensemble des acteurs. C’est ainsi que la commission foncière s’évertue à agir sur la base d’une gestion concertée et consensuelle des espaces pastoraux. Il n’y a pas mieux que le dialogue pour gérer les différends qui opposent les acteurs appelés à vivre ensemble, à cohabiter pour le bonheur de l’ensemble de la population. Dès qu’un conflit est déclaré, la commission foncière départementale appuie les autorités administratives, coutumières et judiciaires pour un dénouement heureux de l’affaire. Toute chose qui permet de faciliter la conciliation entre les deux positions le plus vite possible. L’expertise de la commission est toujours sollicitée pour régler les conflits entre les acteurs ruraux. Cependant, il faut préciser que la conciliation n’est pas dévolue à la commission foncière départementale. L’autorité coutumière, administrative et celle dite judiciaire sont les seules habilitées à concilier les acteurs en cas de conflit. Ce sont ces trois pouvoirs qui sont chargés du règlement des conflits.

Lorsqu’on prend par exemple le cas d’un dégât champêtre, il est recommandé aux deux parties une conciliation à l’amiable. Si cette conciliation n’a pas abouti, le différend est porté chez le chef du village qui créé une commission paritaire pour tenter une conciliation. Si toutefois le problème n’est pas réglé à cette étape, l’affaire poursuit son chemin et le dossier atterrit dans les mains du chef secteur qui est un démembrement du sultanat. Au cas où les parties ne se sont pas entendues, le dossier sera déposé sur la table du sultan pour un règlement. L’autorité judiciaire ne reçoit l’affaire que lorsque le sultanat n’a pas pu concilier les antagonistes. A toutes ces étapes, il est dressé un procès-verbal de non conciliation pour montrer qu’il n’y a pas eu entente entre les deux parties en présence. Si la conciliation a abouti, un procès-verbal est minutieusement élaboré et signé par les antagonistes ainsi que les représentants des autorités ayant facilité le règlement de l’affaire.
Par ailleurs, le secrétaire permanent de la commission foncière explique que les statistiques montrent une tendance à la baisse des conflits entre les acteurs ruraux dans le département de Dosso. Et pour cause, près de 91 % des villages administratifs du département possèdent des commissions foncières de base. Les 9% qui n’en possèdent pas sont les nouveaux hameaux érigés en villages administratifs. En effet, de 2016 à 2023, les statistiques liées aux conflits entre agriculteurs et éleveurs sont en régression. Cette dernière s’explique, selon le secrétaire permanent de la commission foncière, par l’existence des espaces pastoraux, la sensibilisation de la société civile pastorale et la fonctionnalité des commissions de base qui prennent en charge à bras le corps la question. Pour étayer ses arguments, M. Tahirou Soumana dit que chaque année, on constate une régression de 15% des conflits entre agriculteurs et éleveurs. En termes de perspectives, le département de Dosso dispose d’une politique foncière régionale appelée schéma d’aménagement foncier. La région de Dosso, a affirmé le SP de la Commission foncière départementale, est la première au Niger à disposer d’un document de schéma d’aménagement foncier dans lequel toutes les ressources pastorales et agricoles sont répertoriées.
L’autorité coutumière : pilier central de la cohabitation pacifique
Dans la société nigérienne, l’autorité coutumière est dépositaire d’un pouvoir légitime reconnu par tous. Elle règle les interactions conflictuelles entre les individus et les communautés par rapport à la gestion des ressources pastorales. Elle prône la cohabitation pacifique et le vivre ensemble entre les communautés. Cette fonction n’a pas échappé au sultanat de Dosso qui gère avec tact et autorité les conflits portés à son appréciation. Ces dernières années, elles sont rares les affaires qui ne trouvent pas de conciliation au sultanat de Dosso. La responsabilité et la pédagogie avec lesquelles les conflits sont gérés dans cette entité coutumière doivent faire école. En effet, à notre passage chez le representant du sultan de Dosso, en l’occurrence M. Abdoulaye Hima Adamou, un cas pratique de dégât champêtre s’est présenté. Autrement dit, il s’agit d’un agriculteur X (plaignant) et d’un éleveur Y (accusé) pour avoir fait entrer ses animaux dans le champ X. Les deux acteurs ruraux se présentent chez le représentant du sultan de Dosso pour une conciliation après que l’affaire n’a pas pu trouver de solution au niveau du Chef de village où le différend devait être réglé. L’audience de la conciliation s’est déroulée en présence de la commission paritaire. La parole a été donnée à l’agriculteur X et l’éleveur Y pour que chacun expose sa version des faits sous l’écoute et le regard attentifs du représentant du sultan. Dans un premier temps, le plaignant, assis sur une natte, recommande qu’il soit dédommagé pour un montant de 300.000 FCFA. Lorsque l’accusé entend la somme, celui-ci sursaute sur la natte qu’il partageait avec son vis-à-vis avant de faire sa proposition de dédommagement. 25.000FCFA, c’est le montant qu’il propose, le cœur serré. Le représentant du sultan détend l’atmosphère avec des anecdotes et rappelle aux deux parties le principe immuable auquel ils sont tous soumis : la cohabitation pacifique et le vivre ensemble. Les échanges reprennent avec une réelle volonté de part et d’autre d’aller vers une conciliation. Au finish, les deux acteurs ruraux ont trouvé un terrain d’entente sur la somme de 125.000 FCFA. C’est ainsi qu’un procès de conciliation a été établi. L’éleveur Y a pris l’engagement de payer la somme dans les deux semaines qui suivent la conciliation. Le représentant du sultan a également rappelé que la promesse est une dette. Par conséquent, il a conseillé l’éleveur Y de respecter son engagement. « Si vous avez des difficultés à honorer cet engagement, il faut le signaler avant la date butoire », ajoute M. Abdoulaye Hima Adamou, précisant que le problème majeur que l’autorité coutumière rencontre dans le règlement des conflits champêtres, c’est le manque de sincérité des deux côtés.

L’instauration d’un dialogue permanent entre les agriculteurs et les éleveurs
Le département de Dosso a réussi à instaurer un dialogue permanent entre les acteurs ruraux, notamment les agriculteurs et les éleveurs qui partagent les ressources naturelles. Selon l’administrateur de base régionale AREN Dosso (l’association pour la redynamisation de l’Elevage au Niger), M. Oumarou Boubacar, la région de Dosso est une région a deux vocations essentielles : l’agriculture et l’élevage. De ce fait, elle dispose d’espaces agricoles et pastoraux. « Et nous nous sommes dit, qu’il ne saurait y avoir de développement de la région sans cohésion sociale. Et entre l’agriculture et l’élevage, il doit y avoir une interconnexion. L’outil d’opérationnalisation de cette interconnexion est bien évidemment le schéma d’aménagement foncier qui permet aux acteurs ruraux de s’assoir pour échanger sur les questions d’intérêt commun », dit-il.

C’est ainsi que la région de Dosso s’est lancée depuis 2012 dans le processus d’élaboration de ce schéma d’aménagement foncier dont l’aboutissement est intervenu en septembre 2018 avec le document y afférant. Ce document clarifie de façon nette et précise les enclaves pastorales et agricoles. Bref, a expliqué l’administrateur de base régionale de AREN, à l’état actuel, on connait la vocation de chaque mètre carré de la région de Dosso. Et grâce à la mise en œuvre de cet outil de référence, force est de constater qu’il y a une tendance à la baisse des conflits entre agriculteurs et éleveurs. « Forts de ce dispositif, nous nous sommes dit pour politiser tous les aspects de la question, il faut assoir un dialogue permanent entre les associations d’éleveurs et les associations d’agriculteurs. Ce qui fait que nous avons une plateforme d’échanges réguliers pour résoudre l’ensemble des problèmes auxquels on fait face. Chaque problème est résolu en s’inspirant des textes règlementaires régissant le foncier rural», a-t-il expliqué. L’instauration du dialogue permanent, d’une communication entre les agriculteurs et éleveurs crée un climat de confiance mutuelle entre les acteurs ruraux. Chaque acteur de la chaine de responsabilité doit jouer le rôle qui lui est dévolu. On ne peut pas parler d’une société sans conflit, sans difficulté dans la collaboration. Mais ce qui est intéressant, c’est comment s’y prendre lorsqu’un conflit intervient. Mieux, M. Oumarou Boubacar estime que les conflits participent même de la dynamique sociale.
Aujourd’hui, les acteurs ruraux œuvrent inlassablement pour déconstruire le narratif qui confine les agriculteurs et les éleveurs dans une position conflictuelle ou dichotomique. Il faut désormais inscrire les deux acteurs ruraux dans une dynamique d’intégration, d’interdépendance et de complémentarité résolument tournée vers la cohabitation pacifique et le vivre ensemble, gage d’une prospérité partagée. La réorientation du narratif permet effectivement aux deux acteurs d’aller vers un contrat de fumure qui est une bonne pratique héritée par les agriculteurs et les éleveurs. Ce faisant, les acteurs donnent sens au vivre ensemble dans la mesure où chacun profite de son prochain et vis-versa. C’est pourquoi, au niveau de la région de Dosso, l’association pour la redynamisation de l’Elevage au Niger est en train d’élaborer une stratégie régionale de l’alimentation du cheptel. Cette stratégie va consister à faire en sorte qu’il y ait une disponibilité d’aliments bétail pendant les périodes de soudure. L’objectif est de faire un « élevage utile » où l’éleveur va jouir véritablement de son métier.

L’agriculture et l’élevage sont deux secteurs complémentaires. Il est inadmissible que les deux acteurs ne puissent se comprendre dans la mesure où ils sont condamnés à vivre ensemble. Telle est la vision du président de l’Association pour la Promotion de l’Agriculture (APA) Kaïnibonga, M. Kadri Dodo, par ailleurs ambassadeur pour la fédération universelle de la paix. En effet, traditionnellement les gens perçoivent les rapports agriculteurs-éleveurs sous forme de conflit. « A mon sens, il ne s’agit pas de conflit, mais plutôt d’une cohabitation entre les communautés. Et lorsqu’on vit ensemble, c’est tout à fait naturel qu’il y ait des malentendus, des conflits. Cela est inhérent à la vie parce qu’il n’existe pas une société sans conflit. C’est pourquoi, nous avons choisi la voie de la sensibilisation et du dialogue permanent pour faciliter le vivre ensemble. Nous avons quitté la posture de conflit pour inscrire nos actions sur la communication comme arme essentielle pour la cohabitation pacifique. Nous avons toujours des échanges réguliers entre les acteurs de la société civile pastorale. Chaque fois qu’il y a un problème, nous nous investissons à le régler de manière pacifique. C’est dans cette dynamique que nous avons travaillé ces dernières années. C’est ainsi que l’année dernière, nous avons évité toute judiciarisation de nos problèmes. Nous avons décidé de ne faire aucun recours à une autorité pour résoudre nos problèmes. Cela a été constaté à tous les niveaux de la chaine administrative qui a d’ailleurs salué notre approche novatrice. Ce qui fait que dans la région de Dosso, il y a moins de tensions », relate Kadri Dodo. Les outils qui ont permis d’inverser la tendance liée aux conflits entre agriculteurs et éleveurs reposent sur la confiance mutuelle, la sensibilisation des acteurs et l’application stricte des textes sur la gestion des ressources pastorales.
Hassane Daouda (ONEP), Envoyé spécial