
Les stocks ne tarissent pas chez certains grossistes à Niamey
A chaque saison pluvieuse, pour des raisons d’infertilité des sols ou un besoin de rentabilité, les agriculteurs accompagnent leurs efforts avec l’engrais. A défaut du naturel ou biologique c’est l’engrais chimique qui est de plus en plus utilisé. Cette substance très prisée par les agriculteurs est importée en raison du manque d’usine locale de production. Son importation et son commerce restent une activité à régime fluctuant. Elle est exercée tantôt par le secteur privé, tantôt par la Centrale d’Approvisionnement en Intrants et Matériels Agricoles (CAIMA) qui est l’organe étatique du secteur ou les deux à la fois. Entre les mains des opérateurs du secteur privé, le produit connaît, ces derniéres années, des hausses de prix, des pénuries, des problèmes de qualité ou des interruptions dans la chaîne d’approvisionnement.
Cette année, malgré la forte demande sur le marché, la disponibilité ne fait pas défaut, jusque-là. En effet, en cette saison pluvieuse, il est difficile de parcourir un marché, à Niamey, sans tomber sur les vendeurs d’engrais, souvent étalant le produit à même le sol et à l’air libre. Toutefois, avec des perturbations qui surgissent concernant les prix, la qualité ou encore la disponibilité, l’accès aux engrais reste une préoccupation majeure pour les paysans, cela malgré le retour de la CAIMA dans la filière. Au marché de Katako tout comme à Harobanda ou encore au petit marché, dans tous les marchés où nous nous sommes rendus, les transactions se font à la norme. La clientèle est présente et le produit disponible. Sur place, nous avons trouvé deux variétés qui sont les plus demandées à savoir l’Urée et le NPK 15-15-15, utilisé en masse dans les différentes cultures maraîchères. Toutefois, on observe quelques variations relativement aux prix. Ainsi, le sac de 50 kg de l’Urée est vendu entre 20.000 FCFA et 22.000 FCFA. Pour le NPK 15-15-15, il y a celui provenant du Benin vendu entre 23.000 FCFA et 25.000 FCFA et d’autres marques NPK provenant du Nigéria qui sont vendues entre 15.000 FCFA et 18.000 FCFA.

Elh Omar Issoufou est un vendeur d’engrais au marché Harobanda, avec plusieurs années d’expérience dans le domaine. Pour la campagne de cette année, il déclare n’avoir enregistré aucun problème, mise à part une légère augmentation du prix de l’urée, dont le sac de 50 kg est passé de 18 000 à 22 000 FCFA. Cette hausse, dit-il, est observée depuis le Bénin.
« Nous sommes en pleine période de forte demande en engrais. Rien qu’aujourd’hui, j’ai vendu plus de six sacs. Le prix a augmenté depuis l’annonce de la saison des pluies. Cette hausse vient des grossistes qui nous expliquent qu’elle provient du pays d’origine », a fait savoir M. Harouna Souley, un autre revendeur.
M. Souleymane Soumana, un revendeur détaillant, vend le kilo entre 500 et 700 FCFA. Cette saison est une période de pointe pour lui. Il a relevé également des hausses sur les prix qu’il répercute à son niveau.
Siddik Boukari, un producteur venu acheter un sac de l’Urée pour son champ, estime que le prix est exorbitant pour des agriculteurs de bourse moyenne comme lui. Par le passé, souligne-t-il, avec la vente à prix modéré de la CAIMA, les agriculteurs avec de petits revenus arrivent à profiter, même la quantité est rationnée. L’agriculteur dit utiliser exclusivement les deux variétés et cela pour deux raisons. Premièrement, elles sont les mieux adaptées pour toutes les formes de culture et la deuxième raison est due à l’accessibilité.
Au magasin de Nafiou Souley, grossiste au petit marché de Niamey, l’on ne compte au total qu’une dizaine de sacs de la variété NPK 15-15-15. Il y a un déficit de disponibilité de l’Urée qui est la plus demandée. Il a passé une commande il y a quelques jours, mais les usines auprès desquelles il s’approvisionne sont en rupture de stock. « Je pense que cela est dû à la crise économique que traversent plusieurs pays actuellement, à quoi s’ajoute la forte demande de cette période », a-t-il indiqué.
Selon M. Nafiou Souley, les seules difficultés qu’il rencontre concernent l’acheminement et la régulation du secteur. Selon lui, une bonne régulation permettrait de mettre en œuvre des réformes bénéfiques pour tous, tout en favorisant un meilleur accompagnement des partenaires.
La CAIMA resurgit pour reprendre le monopole
La Centrale d’Approvisionnement en Intrants et Matériels Agricoles (CAIMA) a fait profil bas, dans son rôle de leader dans la chaîne d’approvisionnement en engrais au Niger, depuis 2022, suite à la libéralisation du secteur qui a vu la mise en place du mécanisme appelé Observatoire des Marchés des Engrais. Ce mécanisme devait alors avoir des soutiens pour permettre au secteur privé d’accéder à des lignes de crédit leur permettant l’approvisionnement du pays en engrais. Malheureusement, ce dispositif a connu des dysfonctionnements et n’arrivait pas à assurer l’accompagnement qu’il est censé apporter au secteur privé.
Sous la Refondation, la CAIMA retrouve son monopole sur la commande et l’importation de l’engrais, ses privilèges d’antan avec l’ordonnance N°2025-3 du 03 février 2025 qui lui donne le pouvoir d’assurer l’approvisionnement régulier du pays en intrants agricoles dont les engrais. La CAIMA, note-t-on, est en contact direct avec les agriculteurs pour ses actions de vente de l’engrais. Elle vend à des prix subventionnés par l’Etat et fixes partout.

D’après le Directeur Commercial et de la Communication de la CAIMA, M. Abdou Amadou, le retour de cette centrale est une réponse aux cris de cœur des producteurs, qui « exprimaient le besoin de la qualité des produits de la CAIMA ». Or avant, dit-t-il, les producteurs se plaignaient de la qualité et des prix, car ils étaient habitués à des tarifs très bas, en plus des problèmes d’accessibilité. « A la CAIMA, il n’y a pas de différence sur les prix de Niamey jusqu’à l’intérieur du pays. Nous avons un dispositif permettant d’avoir des points de vente dans toutes les communes du Niger et même les villages où il y a un grand besoin ; où quand un producteur d’un village éloigné se lève, il achètera le sac au même prix que celui qui est à Niamey, sans besoin de dépenser des coûts de transport pour s’approvisionner, » a expliqué M. Abdou Amadou.
Après la décision prise par les autorités de la Refondation, la CAIMA a, selon M. Abdou Amadou, automatiquement lancé le processus d’acquisition pour s’approvisionner le plus tôt possible et reprendre pleinement son rôle. Mais « compte tenu de certaines exigences et procédures à suivre parmi lesquelles la révision du budget, il fallait le réviser, le soumettre à l’approbation de la tutelle financière avant qu’il ne soit exécutoire. On a attendu jusqu’à juin pour que cette approbation soit obtenue. De là, on a enclenché la procédure de l’acquisition de ce produit tant attendu par les producteurs. La procédure aussi d’acquisition exige un respect des réglementations en vigueur au Niger. Notamment la procédure de passation des marchés qui prend du temps », a-t-il expliqué. Le Directeur commercial et de la Communication de la CAIMA a exprimé l’espoir que la commande vienne avant la fin de la campagne agricole 2025, afin que les agriculteurs l’utilisent en cette saison pluvieuse ou, à défaut, dès le début de la saison sèche pour les maraîchers.
Les importateurs et distributeurs d’engrais souhaitent continuer librement leurs activités malgré le retour de la CAIMA
Face au retour de la CAIMA dans la chaîne d’approvisionnement de l’engrais, l’Association Nigérienne des Importateurs et Distributeurs d’Engrais (ANIDE) demande l’instauration d’une collaboration qui, selon elle, profiterait à l’ensemble des acteurs. M. Abdoul Aziz Amadou Tahirou, trésorier national de l’ANIDE affirme que leur plus grande attente vis-à-visde des autorités est de ne pas mettre des limites aux commerçants sur la quantité à importer. Si cela devrait arriver, ce serait, estime-t-il, un obstacle pour le secteur privé. « Parce que les clients se sentent plus à l’aise avec nous » a-t-il indiqué. « Ce sont les commerçants qui arrivent jusque-là à couvrir tout le pays. Ce sont également les commerçants qui donnent leur produit à crédit souvent jusqu’après la récolte », a ajouté M. Abdoul Aziz Amadou Tahirou.

Selon l’ANIDE, lorsque l’Etat avait retiré l’autorisation d’importation d’engrais à la CAIMA en 2022, les commerçants arrivaient à assurer pleinement l’approvisionnement et satisfaisaient les agriculteurs. « Nous n’avions enregistré de pénurie qu’à un seul moment, et c’était lors de la fermeture des frontières suite aux sanctions contre le pays», explique Abdoul Aziz Amadou Tahirou.
« Comparativement à l’année passée, cette année, nous avons eu des difficultés dans l’approvisionnement. Une légère rupture est constatée de temps à autre. Quand le stock du commerçant finit, avant qu’il n’ait un autre, il lui faudra attendre des jours pour pouvoir s’approvisionner », a expliqué M. Abdoul Aziz Amadou Tahirou. « Nous ne pouvons pas établir trop rapidement un lien avec l’arrivée de la CAIMA, car cela vient des usines de production », a-t-il précisé.
La plus grande préoccupation des importateurs et distributeurs est une décision qui viendrait leur mettre des limites ou les exclure totalement de la vente de l’engrais. « Ce que nous souhaitons, c’est de nous laisser pratiquer librement cette activité qui est une activité de survie pour beaucoup d’entre nous, sans nous poser des limites sur la quantité à importer. Nous sommes sûrs qu’ils accepteront de travailler avec nous, secteur privé, » a souhaité M. Abdoul Aziz.
La Plateforme Paysanne plaide pour la mise en place d’usines de production d’engrais
La plateforme paysanne du Niger, une association représentative des agriculteurs et éleveurs, joue un rôle fondamental dans le développement rural, la défense des intérêts des producteurs et la transformation des systèmes agroalimentaires.
En cette période de campagne agricole 2025, la plateforme estime que la question de l’engrais revêt un caractère particulier pour le Niger du fait de la remise, entre les mains de la CAIMA, de l’approvisionnement du pays en engrais, sur décision de l’Etat.
M. Bagna Djibo, Président du Conseil d’Administration de la Plateforme paysanne, note une cherté des engrais pour les petits exploitants. Il a relevé que, sans soutien de l’Etat, il sera difficile pour les producteurs de se procurer ce produit si important pour leur activité, d’autant plus que « le sol nigérien s’appauvrit de jour en jour, réduisant le rendement des producteurs ».

Selon le Président du Conseil d’Administration de la Plateforme paysanne, la viabilité de l’approvisionnement de la CAIMA, tout comme celui du secteur privé, dépend de l’Etat. L’un ou l’autre conviendra à l’agriculteur. « Si l’Etat ne crée pas les conditions d’accompagnement que ce soit pour la CAIMA ou pour le secteur privé, il va être extrêmement difficile de pouvoir ravitailler le pays en engrais. Mais l’avantage de la CAIMA, c’est son personnel qualifié et ses infrastructures installées à l’intérieur du pays. L’autre avantage, c’est l’utilisation de l’Etat pour avoir des prix rémunérateurs acceptables et des mécanismes avec beaucoup de transparence », a-t-il fait savoir. « C’est ce qui a certainement conduit l’Etat du Niger, dans le cadre de la Refondation, à remettre la CAIMA dans le dispositif de ravitaillement du pays en intrants », a estimé M. Bagna Djibo.
Ce à quoi la Plateforme aspire avec ferveur est de voir le Niger se doter d’infrastructures de production de ses propres engrais. Selon le PCA de la Plateforme paysanne, le Niger dispose de cette capacité, puisque détenant non seulement la matière première qui permet de produire l’engrais mais également des techniciens qui, s’ils sont dotés de moyens, pourront aider à créer des unités de transformation. Suite à des négociations, il rappelle que certains partenaires se sont manifestés à aider le Niger à avoir d’abord des petites unités de transformation.

« Les ressources que nous avons permettent au Niger de produire pour sa propre consommation et au-delà exporter vers les pays voisins. C’est cette option que nous soutenons et nous pensons que l’Etat, selon sa programmation, prendra cette direction qui est durable, » a-t-il assuré.
Bachir Djibo (ONEP)