L’artiste Oumarou Issoufou dit Pheno, connu avec la formation Kaidan Gaskia, l’un des groupes précurseurs du Hip-Hop nigérien dans les années 2000, est désormais à la tête de l’Association Nigérienne des Artistes-Compositeurs-Interprètes de la Musique Moderne (ANACIMM), pour un mandat de 4 ans. L’association créée par des grandes figures de la musique nigérienne parmi lesquelles l’illustre Elhadj Taya, feu Maman Garba, et la légende vivante Maman Sani le pianiste, est ainsi reprise par Pheno afin dit-il, de redynamiser le cadre de référence de la musique nigérienne et de contribuer au développement du pays.
Bonjour M. Pheno, vous voilà à la tête d’une grande association culturelle qui doit se remettre d’un dysfonctionnement pour le rayonnement de la musique nigérienne. Comment comptez-vous redynamiser cette structure?
Les défis qui nous attendent sont multiples et multiformes. Mais ils ne sont pas impossibles à relever. Ce n’est pas parce que c’est difficile que c’est impossible. Nous avons fondamentalement l’obligation de nous unir. Si l’ANACIMM a eu 32 ans de vie et qu’il n’y a eu juste que 4 présidents, ça veut dire qu’il y a eu une désunion au sein de la structure. Le premier défi à relever c’est donc l’union de tous les artistes. Amener les artistes à regarder dans la même direction, à se compléter, à composer ensemble au besoin dans la joie et dans un esprit patriotique. C’est un défi, pour nous de marcher ensemble. Tout les nigériens aiment voir les artistes marcher et chanter ensemble. Je pense que c’est beaucoup plus ces éléments que nous allons mettre en avant.
Vous conviendrez avec nous qu’au Niger, il n’y a pratiquement aucune maison de production ou label proprement dit, à même de faire signer les artistes et gérer professionnellement leurs carrières musicales. La plupart de nos artistes s’auto-produisent. Alors, dans ce contexte, peut-on parler d’industrie musicale ou du métier de l’artiste ?
Nous dévons d’abord accepter ce que nous sommes, identifier nos insuffisances, accepter qu’il nous faille de formations continue et d’accompagnement. Nous avons certes des studios pour le minimum de travail mais, nous connaissons des gens de l’extérieur, si réellement nous sommes décidés à industrialiser mieux notre musique. Et pour que l’artiste puisse vivre de son art, les médias ont aussi une partition importante à apporter. Nous ne leur demandons pas de ne pas jouer les musiques d’ailleurs mais, de prioriser les nôtres. Nous avons besoin davantage de visibilité pour que nous ayons une identité, une référence. C’est le problème qui se pose d’ailleurs, nous n’avons pas de référence.
Aussi, avec l’évolution des TIC, certains fans téléchargent gratuitement les albums, d’autres se les transfèrent simplement. Quel en est l’impact sur l’industrie ?
Il y’a à priori la part de responsabilité de l’artiste. Certains, par manque de formation et la non maitrise de l’outil informatique, aussitôt qu’ils finissent leur œuvre, se précipitent à la diffuser banalement. Alors que, lorsqu’on s’organise, nous pouvons avoir des licences avec YouTube par exemple, par l’intermédiaire du « Droit d’auteur ». Et à partir de là, la plate-forme peut commencer à « monétiser »… Malheureusement, beaucoup n’ont pas pris conscience de cette nouvelle forme d’industrie. Les artistes nigériens nous ne sommes pas suffisamment informés et imprégnés des réalités techniques du moment. En effet, l’industrie est désormais plus digitale que physique. Pour vendre sa musique, c’est soit par YouTube, Deezer et plein d’autres plateformes numériques. Au niveau de ANACIMM nous avons maintenant une personne ressource en la matière, Lawan Aboubacar le Chargé à l’extérieur qui s’en charge. C’est sûr qu’il va œuvrer pour structurer et organiser la vente en ligne des musiques nigériennes. Pour ce faire, nous avons besoin de la complicité des artistes.
L’engouement du public nigérien par rapport aux spectacles semble de plus en plus timide. Bien avant cette histoire de la COVID-19, des concerts ont échoué. On parlait des « concert-potos ». Quelle lecture faites-vous de cette tendance qui n’honore pas les artistes ?
Je trouve que les artistes sont souvent pressés d’organiser des concerts, sans tenir compte de certains paramètres importants. Pour réussir un concert, il faut convaincre le public, avoir des fans bien au-delà de ses parents-amis-et-connaissances, participer à des grands concerts en guest star. Aujourd’hui, après deux passages aux plateaux de télés, deux passages à la radio, l’artiste se surestime populaire. Nous, à l’autre époque, bien qu’il n’y’avait pas tellement de médias, on a dû participer à des grands concerts qu’organisait l’Etat et autres grands promoteurs. Nous avons pris le temps de faire les scènes en guest star, convaincre le public et avoir l’expérience des concerts. Je pense qu’aujourd’hui il est beaucoup plus facile de se faire un large public avec la douzaine de chaines de télévision que nous avons. On ne peut pas réussir un concert sans être connu. Tous les artistes qui ont fait les « potos » n’ont pas suffisamment fait leur promotion.
Et, au niveau de l’association comment et par quel moyen comptez-vous amener les artistes nigériens à avoir des carrières professionnelles ?
Nous avons tout un cahier de charge. Il y’a des formations que nous allons initier jusqu’à l’intérieur du pays. Nous allons essayer de fédérer, mettre à niveau toutes les structures d’artistes et avancer ensemble. Mais il faut que les gens acceptent qu’il nous faut apprendre comment faire certaines choses et qu’ils acceptent nous voir collaborer avec les structures des autres pays afin de partager des expériences. C’est ainsi que nous allons développer notre secteur. Dans cette démarche, nous avons le soutien des autorités. Nous sommes en bonne collaboration avec le ministère de la Renaissance Culturelle. Nous avons leur confiance ainsi que leur soutien. Il y’a également le président de la délégation spéciale de la ville de Niamey qui a envie de voir la musique nigérienne s’exprimer en toute aisance qu’il faut. Heureusement jusqu’à la primature, les artistes nigériens sont soutenus. C’est vrai, nous n’avons pas encore pris contact avec le nouveau Bureau de l’ANACIMM mais, ils savent ce que nous faisons. Je suis sûr que les portes nous sont ouvertes et qu’ils vont accompagner davantage cette dynamique.
Le premier moyen que nous avons d’abord, c’est la volonté. Je ne suis pas seul, je suis avec bon nombre d’artistes nigériens qui ont la volonté et la détermination de travailler. Il y a toute une équipe passionnée de faire parler du Niger et de ses artistes. Il y avait huit (8) mois seulement que nous avions décidé de redynamiser cette structure. Nous sommes partis de rien, et avec tous les artistes nous nous sommes réunis pour réfléchir sur comment redynamiser notre cadre organisationnel. Nous nous sommes dits qu’il faut être financièrement posés et stables. En ce sens, nous avons initié des concerts, des animations pour avoir un budget et commencer. Après ce budget, nous avons dépêché une mission conduite par Yacouba Denké-Denké et Ali Maliki pour sillonner toutes les régions du Niger afin d’assister les autres artistes à mettre en place les bureaux régionaux. Après la mise en place de ces bureaux, nous avons travaillé ensemble sur les textes fondamentaux de l’association et décider de la date qui a abouti à l’assemblée générale où j’ai été élu président. Dès au départ j’étais le candidat de tous les artistes du Niger. Certes ça n’a pas été facile pour nous, mais vu qu’il y a la volonté et des hommes qui sont engagés et déterminés nous avons pu relever ce premier défi.
Avez-vous un appel à l’endroit du public et aussi des artistes nigériens ?
Je souhaite que les gens nous (ANACIMM), nous comprennent et nous accompagnent. Nous ne pouvons pas tout de suite être bien, c’est évident qu’on fasse des erreurs, qu’ils n’hésitent pas à nous interpeller et surtout à faire des propositions. Nous en sommes très ouverts. A nos médias, de privilégier la musique nigérienne même s’il faut sélectionner les bonnes œuvres. L’artiste se doit d’être jaloux de lui-même. La musique est une école. Ailleurs les gens vont dans des écoles de musique afin d’avoir une carrière d’artiste. Ici on s’y adonne, généralement par passion. Nous devons donc, reconnaitre nos insuffisances et apprendre comment l’industrie marche.
Entretien réalisé par Abdoul-Aziz Ibrahim Souley et Ismaël Chékaré(onep)