
Mahir Mamaki ...
Dans les amphis de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, Hama Amadou, alias Mahir Mamaki, mène une double vie. Étudiant en lettres modernes le jour, artiste engagé à la nuit tombée, il est l’un de ces jeunes nigériens qui portent en eux l’espoir d’une culture renouvelée et d’un art au service des causes nobles. Slameur avant tout, il est aussi acteur, humoriste et flûtiste, disciple du célèbre Mamar Kasseye. Un artiste complet, mais dont l’âme s’est définitivement liée au Slam, ce langage de l’oralité, de la rythmique et de la revendication.
L’histoire artistique de Mahir Mamaki commence très tôt, sur les bancs du collège. «Lors de ma première scène, j’étais le seul élève parmi des professionnels. J’avais peur, je me posais mille et une questions sur ma place dans cet univers », se souvient l’artiste. Ce fut pourtant le début d’une aventure qui allait façonner son identité. Avant le slam, il explore la comédie, qu’il qualifie de «mère de tous les arts». Mais lorsque son groupe se dissout, il s’interroge : que faire seul, sans troupe, sans filet ? La réponse surgit comme une évidence : le slam.
« Je l’ai dragué, le slam m’a accepté », cette formule imagée traduit l’intimité que Mahir entretient avec cet art oratoire. Il y trouve une forme d’expression qui lui correspond, un espace de liberté où il peut manier la langue, jouer avec la rime et transmettre ses messages. Loin de renier ses premiers amours, il reconnaît que le slam a été plus généreux avec lui que tous les autres arts. « Le slam m’a tout donné. Il m’a ouvert des portes »,dit-il.
L’amour de l’oralité et le choix des langues locales
Ce qui anime profondément Mahir Mamaki, c’est son amour pour l’oralité et la rhétorique. Il se plaît à écouter, observer, comprendre la parole qui transforme et qui impacte. Pour lui, le slam, c’est l’art de la rhétorique moderne, que ce soit dans la langue de Molière ou dans les langues locales. Et c’est précisément dans ces dernières qu’il ancre sa particularité.
Fier de ses origines, Mahir milite pour la promotion des langues locales, notamment le peulh et le zarma. « Il faut être fier de ce qu’on est. La langue, c’est notre identité, c’est ce qui nous valorise et nous vend », affirme-t-il. Loin de vouloir impressionner les publics étrangers avec des langues empruntées, il choisit de rayonner en restant fidèle à sa culture. « Quand je pars ailleurs et que je parle ma langue, c’est ce qui impressionne », se rejouit l’artiste.

Mahir Mamaki ne se contente pas de faire de l’art pour l’art. Il utilise sa voix pour aborder les sujets sensibles qui traversent la société nigérienne et africaine : droits des femmes et des enfants, protection de l’environnement, justice sociale, paix… « Je suis étudiant et artiste. J’ai une mission : défendre les causes nobles de la société », dixit Mahir Mamaki.
Cette posture militante se traduit dans son parcours artistique. Dès 2016, il multiplie les scènes, notamment au Centre Culturel Franco-Nigérien (CCFN), où il se produit chaque fin de mois, une régularité rare dans le paysage culturel local. Par la suite, il participe à plusieurs festivals internationaux : au Burkina Faso, au Mali, au Togo, au Bénin. Des expériences qui forgent son identité d’artiste panafricain.
Des collaborations africaines et des projets d’envergure
Fort de sa reconnaissance sur la scène nationale et régionale, Mahir Mamaki s’illustre dans des projets collaboratifs à grande échelle. Il participe notamment au projet United of Africa, réunissant 11 pays du continent autour de la thématique de la protection de l’environnement. Il représente fièrement le Niger, prêtant sa voix à cette œuvre collective où les frontières s’effacent au profit d’un combat commun.
Dans un autre projet intitulé Cinq nations, une voix, il collabore avec des artistes de cinq pays africains pour rendre hommage aux femmes et défendre leurs droits. « Nous avons rendu hommage à toutes les mères du monde entier », confie-t-il. Ces projets confirment son engagement et sa capacité à faire entendre sa voix bien au-delà des frontières du Niger.
«Wuro Amine» : l’Afrique comme elle est
Parmi ses réalisations les plus marquantes, on retient le clip «Wuro Amine» qui veut dire «chez moi» en peulh une œuvre dans laquelle il célèbre les richesses de l’Afrique, loin des images misérabilistes. « J’ai voulu montrer que l’Afrique, ce n’est pas que la misère. C’est la joie, la beauté, la richesse matérielle et immatérielle », a-t-il indiqué .
Un message d’amour et de fierté, porté par une imagerie forte, une parole sincère, un rythme ancré dans la tradition et la modernité.
Avec un clip et un son officiellement lancés, Mahir prépare la suite avec ambition : multiplier les productions, élargir sa visibilité, faire des tournées à travers les régions du Niger, puis à l’international. Il rêve de faire rayonner la culture nigérienne à travers le continent et au-delà.
Mais au-delà de la reconnaissance artistique, Mahir Mamaki a un message à adresser à ses concitoyens : un appel à la paix. «Sans la paix, on ne peut rien faire. Aujourd’hui on parle d’art, mais sans la paix, à qui allons-nous présenter cet art », s’interroge le artiste.
Sa parole, nourrie par une conscience sociale aiguë, se veut un vecteur de rassemblement, de sensibilisation et de transformation. «Il faut qu’on revienne dans le bon sens. Il faut qu’on parle ensemble, qu’on œuvre dans une même direction.» Pour lui, l’art est indissociable de la paix, et la paix est indispensable à toute expression artistique.
Une voix, un espoir
Mahir Mamaki est de cette génération d’artistes qui ne se contentent pas de divertir. Il questionne, dénonce, valorise et inspire. Son parcours, de la scène du CCFN aux plateaux internationaux, en passant par les studios et les festivals, témoigne d’un engagement sincère et constant. Il incarne une jeunesse consciente, créative et déterminée à faire entendre sa voix.
Aïchatou H. Wakasso (ONEP)