Diassibo, musicien et peintre, posant devant son tableau : kanouri band
On le connaît surtout reggae-man, artiste chanteur, peu savent qu’en peinture aussi, il figure parmi les grands noms au Niger. En effet, pour ceux qui se le demandent encore, Diassibo Tchiombiano, c’est celui-là même que tout le monde appelle Dias. Dias qui a chanté « Lundi Fanta mana go, i né a koy zaley, Mardi Oumou man na go, i né a koy zaley ». Peu de Nigériens savent que Dias a aussi du talent et une passion folle pour les arts-plastiques, notamment la peinture. Dessinateur et caricaturiste avant même de devenir célèbre en musique, il est aussi peintre, un art que Tchiombiano a toujours pratiqué parallèlement à son reggae : « c’est la peinture qui me permet de me prendre en charge financièrement et de produire la musique que j’aime », confie-t-il souvent dans les entretiens qu’il n’a jamais refusé d’accorder aux journalistes, aux chercheurs et autres.
Dans kanouri band, Dias propose une peinture conceptuelle, un art rare au Niger que lui-même doit à ses nombreux voyages en tant que musicien chanteur-reggae. Les arts font bon ménage chez celui que les gens du quartier Kombo appellent affectueusement ‘‘Gourmantchizo’’. Le reggae et la peinture se nourrissent mutuellement et nourrissent l’artiste.
Le tableau, lui, quand il est exposé, s’impose par sa facture comme un témoin expressif de la culture kanouri : sur une toile, à la taille quelque peu démesurée, Dias a usé de techniques mixtes pour mettre en images, dans une intéressante harmonie de couleurs plutôt froides, trois musiciens kanouri en boubou et bonnet du terroir avec un joueur d’Algayta caractéristique de la culture kanouri, leur musique ; « qui dit Algayta, dit baré-bari » et vice versa. Les deux autres musiciens jouent l’un à la flute, l’autre au tam-tam. Dans cette composition, le conceptuel qui est, par définition, un art qui ne représente pas vraiment mais fait référence ou renvoie à une réflexion, le conceptuel donc, ce sont les formes juste esquissées : des personnages en bâtonnet, des accessoires ébauchés à plat, le tout dans un bazar de couleurs qui sert de fond, comme en bande dessinée.
Finalement, le kanouri dans ce tableau, c’est l’habillement des musiciens et la musique. Oui, avec ces formes peu concrètes, Dias a réussi une musique de peinture qui, elle, apparait très concrète : la musique kanouri semble tellement apparente dans la composition qu’on a l’impression d’entre les personnages jouer rien que par la contemplation. N’est-ce pas d’ailleurs cela l’art conceptuel ; un art ou c’est le concept, c’est-à-dire l’idée, qui donne le ton à l’objet ? Dias ne représente pas les Kanouris, il peint l’idée d’un pan important de leur culture : la musique. En témoigne également le substantif « band » synonyme de groupe de musique. On se souvient des Boys band, ces groupes musicaux de jeunes garçons qui, dans les années 1990, ont fait la tendance en France et en Angleterre et ont fait danser les jeunes à travers le monde : 2be3, Backstreet boys, East 17, Alliage ou encore Poétic lover avec leur tube planétaire « Qu’il en soit ainsi ». Au Niger, un orchestre très connu de Zinder s’appelait Ja Garaya band.
Mais, c’est du rapport entre l’ethnie de l’artiste et celle à la culture de laquelle il fait allusion que jaillit le concept majeur de cette proposition. En fait, le peintre lève le voile sur une vérité aussi peu connue du public que sa pratique plastique. En effet, combien au Niger savent que les Gourmantchés (ethnie de Dias) sont parents avec les Kanouris ? Les Gourmantchés, qui occupent l’ouest du Niger et s’étendent au Burkina Faso, pays de leur principal pouvoir coutumier à savoir Fadan Gourma, mais que l’ont retrouve aussi au Benin, au Togo… seraient venus du Kanem, à l’extrême est du Niger, espace historique et actuel des populations kanouris riveraines du lac Tchad, populations que se partagent donc les pays bordés par ce lac : Cameroun, Tchad, Nigéria et bien sûr Niger. Par Kanouri band, Dias met en lumière la parenté entre Gourmantchés et Kanouris, deux groupes ethniques situés aux antipodes l’un de l’autre ; deux peuples qui se ressemblent pourtant à bien d’égards, ils sont tous deux jardiniers, bosseurs avec un esprit de noblesse frappant. La musique renvoyant surtout à la fête, on a l’impression que le peintre se délecte de parler de ses cousins, comme pour dire : « je vous présente la musique de nos cousins kanouris, c’est notre culture commune, les Gourmantchés la revendiquent aussi ».
Au-delà de l’esthétique qui dénote du large éventail de choix dont disposent les artistes – aujourd’hui, point besoin de savoir bien dessiner pour créer et faire de l’art grand, il suffit d’avoir des idées, les mettre en forme selon une démarche maitrisée – les créations qui mettent la culture au centre de leurs portées sont à saluer. Éminemment didactiques, elles constituent, ces œuvres, de véritables écoles d’enseignement ou de rappel de nos valeurs les plus chères aux plus jeunes, surtout des villes et scolarisés, très souvent coupés de leurs cultures. Des œuvres comme Kanouri band ont, en outre, le mérite de faire connaitre ici et dans le monde les us et coutumes de nos différentes communautés caractérisées par la proximité de nos cultures, la tolérance et le vivre ensemble dans le contexte actuel marqué par d’absurdes conflits éleveurs-agriculteurs, inter-religieux et inter-ethniques, des rebellions aussi idiotes que sans revendications valables voire le terrorisme, qui dressent injustement les unes de ces communautés contre les autres. Par leurs créations sur le thème de nos traditions, les artistes du Niger et du continent rappellent avec force et beauté que, nonobstant les clivages nourris par l’impérialisme qui, seul, a l’usufruit des intérêts mesquins, les différentes communautés du Niger, de notre espace commun de l’AES, celles de la sous-région ouest africaine, de l’Afrique tout entière, forment un seul et même peuple.
Kanouri band, un tableau de Diassibo Tchiombiano dit Dias, musicien, chanteur- reggae et plasticien. Une œuvre picturale conceptuelle sur la parenté entre les Gourmantchés et leurs cousins Kanouris. La preuve que Dias est un artiste complet ; le symbole de la sagesse du vieux reggae-man promoteur de la Galerie Taweydo où, au sommet de son art, il accompagne les artistes en cinéma, théâtre, arts-plastiques… Kanouri band, un tableau conceptuel que Dias plaque à la face du monde comme l’image d’une Afrique où toutes les communautés constituent un seul et même peuple.
Hamidou
