
Pour certains Nigériens, la polygamie se transforme en cauchemar
Dans le contexte nigérien, la polygamie représente une tradition historique, comparable à certaines pratiques observées dans divers pays musulmans. Un homme peut épouser une, deux, trois, jusqu’à quatre femmes, selon les préceptes islamiques. Cette pratique religieuse qui était perçue dans le temps comme étant une manière d’agrandir la famille est aujourd’hui souvent associée à des conflits interminables et des déséquilibres au sein des familles.
Vivre dans une famille polygame est une situation indésirable pour Mariatou Issoufou. Cette jeune dame raconte les moments difficiles qu’elle a vécus lors de l’annonce du mariage de son mari. « Le mariage est certes une question de temps et de destin, mais je n’ai pas aimé qu’on me fasse une coépouse à moins de trois ans de mariage. Quand il m’a annoncé son mariage, j’ai juré qu’il ne m’a jamais aimée, j’ai pleuré à chaudes larmes ce jour-là. J’étais inconsolable jusqu’à demander le divorce », a-t-elle confié.
Querelles, disputes nocturnes, scènes de jalousie sont autant de problèmes rencontrés dans les foyers polygames, selon Sanoussi Adam. Ce polygame explique que, depuis son deuxième mariage, il n’a pas la tranquillité dans son foyer. « J’ai épousé une autre femme pour résoudre certains problèmes dans mon foyer mais, je vous assure que souvent j’ai l’impression que la terre se retourne sur moi. Dès que je sors de la maison, elles se permettent pour un rien du tout de se chamailler jusqu’à ce qu’on les sépare. Cela me touche profondément, psychologiquement et financièrement », a-t-il confié d’un air complètement épuisé.
Si, pour certaines personnes, la polygamie est considérée comme un phénomène porteur d’instabilité, pour d’autres, c’est une occasion de consolider la paix et la convivialité de la famille. « Avoir une coépouse n’est pas la fin du monde, il suffit juste d’avoir un esprit compréhensif et d’être quelqu’un de très patient. J’ai grandi dans une famille polygame et actuellement je suis la deuxième femme de mon mari. Je n’ai jamais vu là où ma mère et ses coépouses se disputent et même si elles le font, c’est à notre insu. Maintenant, elles sont devenues un exemple pour la bonne conduite de mon foyer », a souligné Mme Issa Abdou Ramatou.
Diverses causes
La polygamie peut être également liée à des obligations communautaires, notamment envers les veuves et les orphelins. Selon l’avis de M. Rabiou Gado, un étudiant inscrit en Sociologie, épouser une seconde femme permet non seulement de contribuer à ce que chaque fille ait un foyer, mais aussi pour avoir beaucoup d’enfants. « Vous savez que les femmes, de nos jours, ne veulent pas beaucoup procréer. Donc, si on prend plusieurs femmes, on a la chance d’avoir beaucoup d’enfants. Moi, je trouve vraiment que la polygamie est une chose merveilleuse car je suis issu d’une famille polygame et je compte suivre les pas de mon père », affirme le jeune étudiant.
Dans notre société, la polygamie est considérée comme une sorte d’institution très reconnue. Elle a un certain ancrage socioculturel assez fort et qui fait qu’à la limite, elle devient une grande responsabilité vis-à-vis de la communauté. Le sociologue, communicateur Alou Aye, a expliqué que cette pratique est beaucoup plus vue sous l’angle de la prise en charge financière. « Dès que tu es financièrement posé, la société te pousse à prendre une deuxième femme. Il y a aussi cette soif d’avoir beaucoup d’enfants. Les études ont démontré que le désir d’avoir des enfants chez le Nigérien en moyenne tourne au tour de neuf (9) enfants. Et donc l’idée de famille pléthorique, c’est une fierté aussi bien pour la femme que pour l’homme. Ensuite, le mauvais comportement de certaines femmes vis-à-vis de leur époux fait partie des premières causes de la polygamie », a-t-il fait savoir. Le sociologue ne relève que le manque d’équité et de patience conduit à une instabilité au sein de la famille polygame.

« Malheureusement, la polygamie, qui est mal gérée, évolue dans l’injustice et dans l’inégalité. Elle engendre une division à l’intérieur d’une cellule familiale qui évolue dans des situation de combats, de conflits et de guerres en permanence », a notifié M. Alou Ayé. Pour une procréation responsable, il appelle à une prise de conscience à travers des campagnes de sensibilisation, des prêches et surtout l’implication des leaders d’opinion dans cette grande dynamique. « Lorsqu’on sait qu’on ne peut pas prendre soin de plusieurs enfants, pourquoi épouser plusieurs femmes ? Avec une seule femme, vous pouvez avoir deux, trois enfants et prendre bien soin d’eux sans aucun problème », a-t-il souligné.
Les conditions musulmanes pour prendre une autre épouse
Selon le livre saint de l’Islam (le Coran), il est autorisé aux hommes la pratique de la polygamie, mais cela est conditionné par la capacité à traiter chaque épouse de manière juste et équitable. Le prédicateur Alarama Abdoul Aziz a précisé que la polygamie en Islam est une pratique réglementée qui vise à garantir la justice sociale.
Parlant des conditions de la polygamie, Alarama Abdoul Aziz a souligné qu’il faudrait d’abord rappeler le fondement même du mariage en islam. « L’homme ne peut prendre une femme en mariage que quand il va pouvoir s’acquitter de son devoir conjugal. C’est pour cela le messager d’Allah PSL a dit : ‘’Oh vous les jeunes, quiconque peut être en mesure de remplir son devoir conjugal, de pouvoir prendre la femme en charge, de pouvoir prendre toutes les dépenses de la femme, alors qu’il se marie’’ », a-t-il expliqué.
Ainsi, poursuit-il, pour augmenter une autre épouse, il est indispensable de prendre en compte les bases du mariage. L’islam qui a établi ces règles-là a mis un certain nombre de conditions pour un foyer polygame, parce qu’il existe une nette différence entre le foyer polygame et le foyer monogame. « Par exemple, pour celui qui se retrouve avec deux ou trois femmes, la charge lui revient de prendre bien soin de toutes ses femmes en même temps sans tricher. On ne peut pas accorder deux nuits à une et une nuit aux autres, c’est contraire aux règles de l’islam et cela peut même conduire la personne dans le feu de l’enfer », a expliqué Alarama Abdoul Aziz.

Par ailleurs, le prédicateur attire l’attention des femmes qui sont contre la polygamie de considérer la coépouse comme étant une sœur qui est là pour partager les tâches ménagères. « Les hommes polygames aussi doivent prendre en charge leurs différentes épouses de façon équitable, sans discrimination. C’est cela qui pourrait véritablement amener la paix et la stabilité dans le foyer », a-t-il exhorté.
Salima H. Mounkaila (ONEP)