Après la décision de la direction de la société de Brasserie et des boissons gazeuses du Niger BRANIGER de fermer les portes de ladite entité industrielle et celle de UNILEVER, de licencier environ 70% du personnel, notre équipe est allée à la rencontre du ministre de l’industrie, M. Mallam Zaneidou Amirou pour comprendre les contours de ces deux décisions au coût social important. Dans l’entretien accordé à Sahel Dimanche, le ministre de l’industrie s’est appesanti sur les péripéties ayant conduit à cette situation et sur les mesures envisagées par le gouvernement pour, à défaut d’éviter la fermeture ou le licenciement, permettre de mettre le personnel dans ses droits conformément aux textes en vigueur.
- le ministre, ces derniers jours, on parle d’une éventuelle fermeture de la société BRANIGER mais aussi de UNILEVER, toute chose qui mettrait au chômage des dizaines voire des centaines des personnes. Est-il vrai que ces deux sociétés envisagent de mettre la clé sous le paillasson ? Qu’en est-il exactement ?
Je remercie Sahel Dimanche de me donner l’occasion de m’adresser à l’opinion nationale sur ce qui se passe dans ces deux sociétés privées que vous avez citées tantôt. En effet, depuis quelques temps, ces deux entités industrielles traversent des situations pas assez reluisantes et cela est une source de préoccupation pour nous autorités de tutelle et le gouvernement. Permettez-moi de rappeler que ces sociétés ont un encrage historique dans notre pays. En effet, la BRANIGER (société de brasserie et boisson gazeuse du Niger) est une société anonyme nationale créée en 1967, donc vieille de plus de 50 ans, que nombre de nigériens connaissent. Elle avait un capital de 3,965 milliards F CFA avec son siège à Niamey. Elle est passée sous le contrôle privé avec la libéralisation de l’économie nigérienne. Elle est une société importante qui employait jusqu’en 2017 une centaine d’agents. Après sa reprise par les capitaux privés, la BRANIGER, dans le souci d’accroitre sa production et satisfaire sa clientèle, a initié un programme pour moderniser son outil de production de 2007 à 2012 et s’engageait par conséquent à investir 6,113milliards. Toute chose que l’Etat a accompagnée en lui octroyant les avantages du code des investissements. Les droits d’accise lui ont été allégés de 2013 à 2014. Dans le même cadre, la société a bénéficié d’une convention d’allègement des droits d’accise sur une période de 5 ans à compter du 1er janvier 2016. En contrepartie de cet allègement fiscal, la BRANIGER s’était engagée à accroitre l’emploi de 15% entre janvier 2016 et décembre 2020, accroitre les recettes de l’Etat, investir pour la même période la somme de 2,5 milliards pour maintenir l’outil de production. Vous voyez que la volonté de sauver la BRANIGER était prônée par l’Etat du Niger. Pour permettre la bonne continuation des activités de ladite entreprise, les deux parties étaient convenues du respect des engagements contenus dans la convention d’allègement des droits d’accise.
Malgré toutes ces mesures incitatives voire ces sacrifices, en fin de l’année 2017, le conseil d’administration de la société avait envisagé de mettre en veille la production de la BRANIGER et de procéder au licenciement de l’ensemble du personnel de la production et de s’orienter vers une activité de négoce pour raison de pertes cumulées depuis 2014. Sur proposition du comité de direction, la ligne PET avait été supprimée pour préserver une partie des emplois. Déjà en 2007, cette suppression d’emplois avait engendré le licenciement de 40% du personnel. Il ne reste actuellement que 79 emplois directs.
Le marché étant devenu très concurrentiel du fait des importations frauduleuses et le marché informel, la tendance de vente de la BRANIGER a continué d’être à la baisse. C’est dans ce contexte que le directeur général nous a saisi pour intercéder auprès du gouvernement aux fins de pérenniser ce fleuron de l’industrie du Niger, faute de quoi les conséquences socioéconomiques qui en découleront seraient désastreuses.
J’en viens au cas de la société UNILEVER, l’héritier de la SPCN créée en 1964 qui avait pour mission de produire notamment du savon, des parfums et autres dérivés chimiques destinés à la consommation des ménages et petites industries. Je dirais qu’elle subit des conséquences de ce que j’avais décrit ci-haut. La direction générale a adressé une correspondance aux représentants du personnel le 29 mai dernier pour l’informer sur un licenciement collectif pour motif économique. Là, il ne s’agit pas de fermer UNILEVER. Mais je crains fort qu’on emprunte une voie qui risque de nous amener au même cas que la BRANIGER. Cette correspondance a convoqué une réunion avec le personnel ce jeudi 13 juin pour notifier un licenciement collectif pour motif économique. Les textes en vigueur permettent cela. Il s’agira de licencier 19 personnes sur 26. Ce qui veut dire qu’il ne restera que neuf (9) agents. Ce n’est pas la fermeture qui est envisagée pour UNILEVER
La BRANIGER va fermer et UNILEVER va licencier. Est-ce que toutes les dispositions sont prises pour mettre les employés dans leurs droits ?
Oui. En tant qu’autorités soucieuses du devenir de nos compatriotes, nous suivons cette question avec beaucoup d’attention et de minutie. Nous y veillons. UNILEVER a notifié son licenciement pour motif économique. Il se fera dans le cadre de la réglementation en vigueur au Niger. Et nous y veillerons, rassurez-vous. La BRANIGER, dois-je le rappeler, a déjà procédé à un licenciement en 2018 pour fermer la ligne PET et ce temps-là, nous avons veillé. Toutes les personnes concernées sont rentrées dans leurs droits. Nous n’avons permis la fermeture de cette ligne PET qu’après que cela soit fait. Pour le cas de la BRANIGER qui fermera bientôt et ce malgré nos efforts pour que cela ne soit pas, je vous confirme qu’elle le fera dans le cadre strict de la réglementation en vigueur. Donc, tout le personnel sera effectivement mis dans ses droits.
On parle aussi d’une éventuelle délocalisation des activités de UNILEVER ; qu’en est-il ?
Pour le moment, nous n’avons pas officiellement reçu ou entendu une information de ce genre, en dehors du licenciement collectif qui nous a été formellement et officiellement notifié. Néanmoins, nous restons sur nos gardes quand même. Mais officiellement, je sais que nous sommes détenteurs de la copie adressée au personnel pour le licenciement collectif que nous allons bien suivre de près avec toute la rigueur nécessaire pour faire respecter les droits de ceux qui seront licenciés.
Un communiqué qui avait circulé sur les réseaux sociaux émanant de votre cabinet rassurait que le gouvernement prendrait des mesures pour éviter que la BRANIGER ne ferme pas : quelles sont ces mesures ?
Tantôt, je disais que la direction générale de BRANIGER nous a saisi le 18 mars passé des difficultés qu’elle traverse. Et nous lui avions demandé de nous faire des propositions à même de leur permettre de continuer, de se redresser. Elle nous a envoyé une proposition des mesures qui, pense-t-elle, si elles sont mises en œuvre, peuvent sauver la boite. Tout disposé comme tout préoccupé qu’il est par la situation, le gouvernement au plus haut niveau des conséquences désastreuses d’une telle fermeture. On voulait éviter de mettre 79 agents, pères de familles et connexes au chômage. Dites-vous qu’il y a 79 emplois directs et 300 emplois indirects qui seront automatiquement touchés, sans compter les autres clients de la BRANIGER qui sont des centaines voire des milliers. Alors, la proposition faite au gouvernement, telle que demandée, était de leur accorder un régime fiscal d’exception pendant une période de cinq (5) ans, de lutter contre la fraude, de taxer les emballages polluants et soutenir ceux non polluants. Le gouvernement était donc disposé à s’asseoir pour discuter de ces mesures proposées. Je vous rappelle qu’il y avait une convention entre la BRANIGER et l’Etat du Niger à travers le ministère des finances pour ramener les droits d’accises sur la bière de 45% à 25%, sur les boissons gazeuses de 15% à 10% contre des engagements d’augmenter de 15% l’emploi et de faire des investissements de l’ordre de 2 milliards. Le gouvernement a tenu son engagement. Mais la société a diminué son personnel de 40% entre temps au lieu de l’augmenter de 15 %. Nous avons compris qu’effectivement, elle n’a pas pu honorer ses engagements parce qu’il y avait des problèmes. Le gouvernement le reconnait et est disposé à faire ce qui doit l’être pour sauver la BRANIGER et ses emplois avec. Dans sa proposition des mesures, elle nous demande cette fois-ci de lui accorder une autre exonération de 10% sur les droits d’accises sur la bière. On était d’accord pour cela, de supprimer complètement ceux relatifs aux boissons gazeuses. Le gouvernement était disposé à regarder cela aussi pour sauver la boite. Ils ont demandé de supprimer la taxe douanière et de revenir à 0%. Là aussi, le gouvernement ne dit pas niet, mais reste prêt à y jeter un regard pour faire ce qui est faisable afin que BRANIGER ne ferme pas boutique. Malgré cette prédisposition du gouvernement, les propriétaires de cette société qui sont en France ont rappelé le directeur général avant d’entamer les discussions pour lui notifier leur décision de fermer BRANIGER. Parce que la volonté du gouvernement de sauver la société est clairement affichée même après le retour du directeur général et la décision des administrateurs de fermer, nous avons cru et donc continué les contacts avec lui pour voir qu’est-ce qu’il faut offrir à la BRANIGER et en faire part aux décideurs. Mais lorsqu’il y a des discussions, il faut bien qu’on ait des interlocuteurs en face. Ce que le directeur général, qui est un employé de la société, n’était pas. Le gouvernement a tout mis en œuvre, était prêt aux concessions et compromis mais en face, il n’y a pas d’interlocuteurs. Et finalement, l’assemblée générale des administrateurs, en date du 10 juin 2019, a entériné la décision de fermeture. Mais malgré cela, le gouvernement n’a pas baissé les bras et a convoqué le directeur général pour lui dire : malgré le fait que vous n’êtes pas un interlocuteur, comment peut-on entrer en contact avec les administrateurs ? Il nous a dit qu’il peut servir de relais et nous avons adressé une correspondance le 27 mai 2019 au PCA BRANIGER pour lui réitérer la position du gouvernement de s’asseoir avec les administrateurs pour analyser tous les problèmes avant que la décision ne soit mise en application. Quelle ne fut notre surprise de voir le contenu de la réponse parvenue le 3 juin, soit une semaine avant la décision. Le PCA rappelle qu’il perdait de l’argent depuis des années et demande des mesures telles que l’application immédiate des mesures fiscales en vigueur à toutes les importations des boissons sur la totalité du territoire et la mise en place des brigades pour suivre la mise en œuvre. Il demande aussi un contrôle fiscal sur chacun des acteurs du domaine des boissons au Niger suivi de la publication des contributions fiscales de chacun d’entre eux. Il demande en outre une exonération des droits de douanes, de TVA et de droits d’accises pendant dix (10) ans, s’il vous plait, pour résorber les pertes. Et pour vous dire que le PCA savait lui-même d’avance que ce qu’il propose n’est pas applicable, il conclut en disant ceci : «nous comprenons que la mise en place et le suivi de telles mesures ne puissent être garanties, d’où notre décision de fermer ». Vous voyez bien qu’avec les actuels partenaires, nous ne pouvons pas continuer. Et nous avons rendu compte à qui de droit pour dire qu’avec le partenaire actuel, on ne peut rien faire et qu’il faille envisager une autre alternative.
Justement, M. le ministre, comment envisagez-vous l’avenir de la société dans un contexte de forte concurrence des produits importés qui envahissent nos marchés quand on sait que ces produits sont souvent moins chers?
Nous envisageons de ne pas laisser le terrain vierge, puisque si la BRANIGER ferme et qu’il n’y aura pas de production locale, les spéculations vont commencer. Et comme tout le monde le sait maintenant, la politique industrielle du Niger telle qu’inspirée par le Président de la République, c’est de produire nous-même car, le président est convaincu et l’a toujours dit que « celui qui importe s’appauvrit alors que celui qui exporte s’enrichit ». Au moins même si on exporte, il faut réduire l’importation. C’est fort de cette politique présidentielle que nous allons à la conquête des partenaires investisseurs pour que la BRANIGER, qui va fermer bientôt, soit reprise. Tout milite en faveur de cela car le marché y est, le personnel qualifié aussi. Nous sommes en train de nous concerter avec des acteurs du domaine et nous avons bon espoir qu’on va reprendre les activités sous d’autres formes. Pour en venir au second volet de votre question, s’agissant de la concurrence, je reconnais qu’elle est rude, difficile, puisque nos produits ne sont pas très compétitifs. Et il va falloir s’adapter pour arriver à minimiser nos coûts de production et être compétitif. Le gouvernement est conscient et même préoccupé et envisage beaucoup de mesures pour soutenir les investisseurs. Pour une recherche globale de solution au secteur industriel, le ministère a mis en place un comité pour identifier, analyser et hiérarchiser les problèmes. Il est parvenu à élaborer un document contenant des propositions pour le sauvetage des industries du Niger à court et moyen termes que nous allons soumettre au gouvernement pour qu’il prenne les décisions, les mesures et booster l’industrie du pays, surtout que nous allons bientôt entrer dans la phase de mise en œuvre de la ZLECAf à partir de Niamey.
Par Zabeirou Moussa(onep)