Le mardi 24 Aout 2021 au Complexe le Mafé, L’Initiative OASIS Niger, en collaboration avec la Direction de la Planification Familiale, a partagé les résultats de plusieurs travaux réalisés avec le Carolina Population Center (l’Université de Caroline du Nord) et L’Association des Sages-Femmes du Niger (ASFN). L’atelier a rassemblé les acteurs du domaine, aussi bien des services étatiques que de la société civile, des praticiens comme des chercheurs. Ce fut aussi l’occasion pour OASIS Niger de partager les preuves de performance de deux pratiques innovantes visant à améliorer l’offre et la demande des services de planification familiale, à savoir le counseling par segmentation et les consultations pré et post-natales en groupe.
Lors de son allocution d’ouverture, le Directeur de la Planification Familiale, Dr Issoufa Harou, a invité les participants à bien examiner les résultats, à les critiquer et à en tirer le meilleur pour mieux orienter la conception de nouveaux programmes ou la formulation de nouvelles politiques en la matière. En effet, les résultats partagés ont suscité des échanges importants et de nombreuses contributions ont été apportées par les participants. A la fin de l’atelier, le Directeur de L’Initiative OASIS Niger, Dr Nouhou Abdoul Moumouni, a exprimé un sentiment de satisfaction et a souligné l’engagement de L’Initiative OASIS Niger à accompagner le Gouvernement dans la mobilisation des savoirs nouveaux, indispensables pour l’accélérer la transition démographique au Niger.
L’accès des populations aux services de santé de la reproduction reste une préoccupation pour les autorités sanitaires au Niger. C’est non seulement une question de santé comme élément constitutif du bien-être de la personne, mais c’est aussi une question de droits humains. Il s’agit donc de promouvoir la santé de la mère et de l’enfant et de garantir aux couples la réalisation de leurs choix légitimes en matière de procréation.La question se pose avec beaucoup plus d’acuité chez les jeunes et les adolescents. Plusieurs éléments du contexte socioculturel et d’autres liés au fonctionnement des services de santé rendent difficile le libre accès des jeunes aux services de santé sexuelle et reproductive (SSR). L’accès limité des jeunes à une information de qualité entrave leurs connaissances des options disponibles ainsi que les risques qu’ils courent dans le cadre d’une sexualité non protégée.
Une équipe pluridisciplinaire composée des chercheurs de L’Initiative OASIS Niger et du Carolina Population Center (l’Université de Caroline du Nord) a travaillé pendant 4 ans (2018 à 2021) pour élaborer un agenda collaboratif de recherche sur les questions les plus cruciales de santé sexuelle et reproductive pour les adolescents et les jeunes au Niger. Les travaux réalisés ont permis de générer de nouvelles évidences pour mieux orienter les programmes et les politiques visant à élargir l’accès à une gamme élargie de méthodes contraceptives aux jeunes.
Un gap important entre les textes et les pratiques en matière de protection
Les analyses réalisées portent sur le cadre légal actuel en matière de santé reproductive et sa capacité à protéger les prestataires et leurs clients jeunes. Il en ressort une avancée importante en matière de réglementation sur la protection des prestataires des services de santé de la reproduction et leurs clients adolescents et jeunes. Toutefois, le contexte socioculturel très conservateur du pays rend l’application des textes difficile, voire impossible. Il encore subsiste un gap important entre les textes et les pratiques. Surtout pour les jeunes, les imbrications entre la tradition, la religion et la méconnaissance des textes ne laissent aucune marge de recours en cas de violation des droits. La conséquence est une survivance des lacunes des capacités pour les titulaires de droits (prestataires de services de santé, jeunes et adolescents) et les porteurs d’obligations (Etat, parents, familles et leaders d’opinion).
Agents de santé et leaders religieux : quelle influence sur l’acceptation des services de santé sexuelle et reproductive par les jeunes ?
L’étude réalisée sur les jeunes de 15-24 ans au Niger révèle l’important rôle que jouent les agents de santé et les leaders religieux en matière d’acceptation des services de santé sexuelle et reproductive. Les agents de santé jouissent d’une notoriété de spécialiste, détenteur du savoir, ce qui confère un poids à l’influence qu’ils exercent sur les jeunes. Quant aux leaders religieux leur influence passerait par une légitimité conférée par la religion. Les jeunes musulmans s’alignent en général avec les positions religieuses des imams, y compris par rapport à ce qui touche la santé sexuelle.
Ces résultats suggèrent qu’une acceptation accrue des services de santé sexuelle et reproductive par les jeunes passerait par une plus grande implication et un fort engagement de ces deux catégories d’acteurs sociaux dans la promotion de tels services. L’enseignement dans les écoles coraniques des modules sur la santé reproductive, à la lumière des prescriptions islamiques, jouerait un rôle important parmi les jeunes musulmans.
Les jeunes, connaissent-ils vraiment les méthodes contraceptives modernes ?
L’investigation a porté sur la connaissance spontanée (sans proposition d’indices) d’au moins trois méthodes modernes de contraception parmi les jeunes de 15-24 ans au Niger. On parle ainsi de connaissance élargie des méthodes contraceptives modernes. Les résultats indiquent que le niveau de connaissance élargie est relativement bas chez les jeunes. Chez les femmes, la proportion de celles qui connaissent au moins trois méthodes contraceptives est 43%, contre 52% chez les hommes. Toutefois, ce niveau de connaissance élargie s’améliore avec l’âge, le niveau d’éducation et l’accès aux médias. Il est de 63% parmi les femmes de niveau supérieur et de 73% parmi les hommes de 24 ans.
Chez les femmes, la connaissance élargie de la contraception est significativement influencée par le niveau de vie, la capacité de la femme à évaluer les risques de tomber enceinte et la connaissance du cycle menstruel. Chez les hommes, l’âge et l’accès aux médias jouent un rôle clé. Ces résultats impliquent que pour être efficaces, la communication et la sensibilisation en matière de planification familiale doivent être conçues en ciblant les besoins spécifiques des jeunes et en déclinant des stratégies différentes en fonction de l’âge et du sexe.
Quelles sont les sources d’information préférées et utilisées par les adolescents et jeunes au Niger ?
L’accès à une information de qualité est plus facile pour les hommes que pour les femmes, plus facile pour les adultes que pour les jeunes (garçons et filles). De façon spécifique, les adolescents et les jeunes dépendent des médias audiovisuels (radio et télévision) et des sources sanitaires (prestataires, agent de terrain, etc.) pour l’obtention des informations sur les méthodes de planification familiale.
Et ce sont également ces deux sources d’information (médias audiovisuels et des sources sanitaires) les plus utilisées que les jeunes et les adolescents préfèrent. Dans une moindre mesure, l’école et les réseaux sociaux sont également mentionnés comme sources préférées par les adolescents et les jeunes.
Ces résultats impliquent la nécessité de former les professionnels de santé sur des approches amis-des-jeunes pour répondre aux besoins de ces jeunes et adolescents sans jugement et de façon confidentielle. De plus, dans un contexte où l’éducation sexuelle est très peu abordée au sein de la famille, l’utilisation des réseaux sociaux pourrait constituer une alternative pour proposer aux jeunes une information de qualité sur la santé sexuelle et reproductive.
Adapter les conseils au profil des clientes et les services à ses besoins : segmenter pour mieux servir
Les femmes en quête des services de planification familiale n’ont pas toujours les conseils et les produits qu’il leur faut. Le respect des sensibilités et des susceptibilités des clientes lors du counseling permettrait d’améliorer la qualité de leur expérience client. Pour offrir des services de planification familiale de haute qualité, Pathfinder International a mis en œuvre, en collaboration avec le Ministère de la Santé Publique, de la Population et des Affaires Sociales, l’approche de counseling ciblé. Cette stratégie consiste à catégoriser les clientes en quête des services de planification familiale sur la base de leurs expériences et de leurs attentes afin d’adapter les services à leurs besoins spécifiques.
Les résultats montrent que l’utilisation de l’outil de segmentation réduit la durée de consultation, améliore la qualité des services offerts au clientes, ce qui implique une meilleure satisfaction des clientes dans les centres de santé où les prestataires de services emploie l’approche par segmentation.
De manière qualitative, les résultats montrent que les prestataires initiés à la stratégie maitrisent bien l’outil de segmentation et consacrent le temps qu’il faut avec la cliente lors du counseling. Cela leur permet de mieux connaitre la cliente, de lui partager plus d’informations et de lui offrir des conseils adaptés à son profil. Avec la stratégie de segmentation, les clientes ont plus de connaissance et de conviction pour utiliser la méthode contraceptive de leur choix.
Bien que l’approche soir performante, il convient de la réévaluer au fil du temps pour surveiller la constance de la meilleure qualité de services qu’elle garantit. Aussi, afin de soutenir la mise à l’échelle de l’approche, il faudrait l’intégrer dans la norme des prestations de services de santé reproductive.
«Kula Da Juna»: preuves d’un modèle de consultations pré et postnatales en groupe
L’accès aux soins de santé modernes est limité pour les femmes au Niger. Seulement 33% des femmes effectuent le nombre recommandé de visites prénatales et seulement 22% effectuent leur première visite prénatale à un stade précoce de la grossesse. Pour améliorer la fréquence de ces visites, réduire davantage les risques liés à la maternité et promouvoir la planification familiale du postpartum, L’initiative OASIS Niger et L’Association des Sages-Femmes du Niger ont testé un modèle de consultations pré et postnatales en groupe. Le modèle est mis en œuvre sous l’appellation de « Kula Da Juna» (KDJ), un terme Hausa qui signifie “se prendre soin les uns des autres”.L’intervention a duré 12 mois dans 6 centres de santé intégrés (CSI) de la région de Maradi et a touché 911 femmes enceintes de 15 à 49 ans organisées en 62 groupes.
Les résultats de l’évaluation du modèle montrent que les niveaux des indicateurs suivis sont excellents. La proportion des femmes utilisant la planification familiale du postpartum (PFPP) est de 71%, contre une valeur attendue de 50%. Cette valeur est également largement au-dessus du taux national de PFPP qui est de 22% (EDS 2012). La couverture de la consultation prénatale atteint 93% (CSI Tibiri), le taux d’accouchements assistés atteint 98% (CSI Tibiri) et la prévalence de la PFPP varie de 56% (CSI Safo) à 93% (CSI Tibiri).
Le modèle KDJ présente plusieurs avantages pour les femmes et les agents de santé. Il promeut le partage d’expériences entre les femmes et renforce leur participation active aux séances de consultations. Il met les femmes au centre des activités dans un climat de convivialité entre elles et avec les agents de santé. Le modèle KDJ permet aussi d’alléger les charges de travail des agents de santé tout en améliorant davantage la santé des femmes et de leurs enfants.