Monsieur le Conseiller, le Président du CNSP, Chef de l’Etat a dans son message à la nation du 25 Juillet 2024 annoncé l’adoption très prochaine d’une Ordonnance sur le ‘’Contenu Local‘’ ; ce qui fut d’ailleurs fait dès le 02 Août 2024. Mais avant d’aborder ce cas spécifique du Niger, qu’est-ce que nous pouvons retenir de ce concept ?
Le ‘’Contenu Local‘’ ou ‘’Local Content‘’ qui tire son origine du ‘’Buy American Act’’ du gouvernement américain de 1933 est la plus ancienne et sans doute la plus connue des diverses lois concernant les marchés publics fédéraux de produits nationaux. Historiquement, les exigences en matière de ‘’Contenu Local‘’ ont été principalement associées aux marchés publics et aux mandats imposés aux projets financés par l’État et c’est après la 2nde guerre mondiale, que les pays riches en ressources minières ont souhaité diversifier leur secteur productif par le biais de cette politique. Mais le concept de ‘’Contenu Local‘’ dans sa compréhension actuelle, est apparu dans les années 1970 en Grande Bretagne, alors fortement dépendante d’investissements américains pour exploiter ses gisements pétroliers situés en Mer du Nord. L’application de ‘’Contenu Local‘’ a permis à la Grande Bretagne de valoriser son tissu d’entreprises parapétrolières, qui sont progressivement montées en compétence pour fabriquer l’ensemble des matériels nécessaires au développement des champs pétroliers. Depuis lors, ce concept s’est diffusé dans de nombreux pays miniers et producteurs de pétrole, d’abord en Amérique du Sud, puis sur le continent africain. Le ‘’Contenu Local‘’ est donc un concept chargé de valeurs et qui fait aujourd’hui l’objet de plusieurs définitions ; et pour le dire simplement, ‘’c’est le développement du tissu industriel local et des compétences locales en les faisant participer aux activités industrielles et commerciales dans le secteur extractif (mines, hydrocarbures)‘’. Notons qu’en raison de l’indivisibilité du territoire consacrée par la Constitution, le terme ‘’local‘’ est utilisé pour désigner la contrepartie nationale dans les industries extractives. Il n’empêche cependant qu’il fasse allusion aux citoyens et entreprises d’un pays tout entier et non forcément à ceux des zones d’exploitation minière ou pétrolière. Ceci est en dualité avec les prestataires extérieurs qu’ils soient des entreprises étrangères ou le personnel expatrié. Pour sa part, le terme ‘’contenu‘’ fait référence à l’origine des intrants ou des ressources utilisées. Il peut ainsi s’appliquer à l’emploi, à l’approvisionnement, au transfert de technologie, à la recherche/ développement, au capital utilisé, à la valorisation ou la transformation locale des ressources du sous-sol, au renforcement des capacités nationales, etc. Il arrive qu’on parle aussi de ‘’Contenu Communautaire‘’, quand ce sont les communautés riveraines, proches des zones d’activités extractives qui sont concernées. Toutefois, que ce soit au niveau communautaire, local, régional ou national, c’est le terme ‘’Contenu Local‘’ qui est universellement utilisé. Aussi, nous pouvons nous accorder à le définir comme la fraction des coûts miniers et pétroliers réalisés localement par l’utilisation prioritairement sinon exclusivement des ressources humaines nationales (cadres, techniciens, agents de maîtrise, ouvriers, employés non qualifiés,…) à tous les niveaux hiérarchiques dans les entreprises extractives, l’augmentation des retombées des investissements extractifs dans les secteurs non extractifs, l’augmentation de la transformation locale (enrichissement) des produits des opérations extractives, l’augmentation des capacités des acteurs locaux (Micros et PME-PMI) en tant qu’acteurs des secteurs extractifs, l’acquisition des biens et services fournis par les entreprises locales dans l’exploration, le développement, l’exploitation, le transport, la vente des ressources extractives et la réalisation des projets sociaux (eau, électricité, éducation, santé, routes, etc…).
Y’a-t-il des cas concrets de mise en œuvre du ‘’Contenu Local‘’ en Afrique ?
Il y a bien des pays africains qui disposent de lois sur le ‘’Contenu Local‘’ et certains sont même très avancés dans sa mise en oeuvre. Toutefois, le ‘’Contenu Local‘’ en Afrique est le plus bas du monde et plusieurs études ont démontré que son niveau moyen de développement est inférieur à 20 % (et il l’est davantage moins dans les pays africains dits ‘’francophones‘’) contre 70 % au Brésil et en Malaisie et environ 60 % en Norvège. Par contre au Nigéria (considéré comme le pays africain le plus avancé dans la mise oeuvre de la politique de ‘’Contenu Local‘’), où des opérateurs industriels détiennent des permis de forages pétroliers, d’autres au nombre de cinq (5) possèdent leurs propres raffineries de pétrole (dont celle de Aliko Dangote d’une capacité de traitement de 650.000 barils de pétrole brut par jour), le taux de promotion du ‘’Contenu Local‘’ est actuellement de 60 % (les autorités nigérianes envisagent de le porter à 70 % à l’horizon 2027). L’action en matière de politique de ‘’Contenu Local‘’ a débuté en 1971 avec la création de la Nigerian National Oil Corporation, (NOC), l’ancêtre de la Nigeria National Petroleum Corporation (NNPC – la Société Nationale de Pétrole). Au delà des opérateurs économiques privés nationaux, l’Etat a pris les dispositions pour que la Société Nationale de Pétrole (NNPC) mette en évidence une véritable initiative de ‘’Contenu Local‘’ par l’acquisition d’intérêts dans les activités de toutes les compagnies pétrolières étrangères opérant au Nigeria. Par ailleurs, outre des blocs pétroliers qui lui ont été attribués, la NNPC possède quatre (4) raffineries de pétrole. Au Ghana, la loi sur le ’’Contenu Local‘’ exige que les compagnies pétrolières opérant dans le pays, doivent après 10 ans de présence effective avoir 80 % de postes managériaux, 80 % de fonctions techniques occupés par des Ghanaéens et 100 % pour les emplois ouvriers. En 2019, sur l’ensemble des sociétés pétrolières operant au Ghana, 91 % de l’ensemble des employés étaient ghanaéens et 9 % d’expatriés (y compris des ressortissants africains). Avec le lancement de ses activités pétrolières, le Sénégal se fixe le taux de 50 % à l’horizon 2030. Je rappelle au passage que pour l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO) qui a élaboré en 2018 un ‘’Guide pour la Promotion du Contenu Local dans les Industries Pétrolière et Gazière en Afrique‘’, ‘’le Contenu Local renvoie tant à la maitrise progressive de tous les intrants du secteur pétrolier et gazier, qu’à la création de liens entre celui-ci et l’économie nationale d’un pays, sur la base de critères précis et d’une programmation graduelle visant à atteindre un taux chiffré à une échéance précise‘’. L’organisation panafricaine de pétrole, fixe comme objectif à ses Pays Membres, l’atteinte de 30 % de ‘’Contenu Local‘’ dans leurs industries des hydrocarbures à l’horizon 2030‘’. D’énormes valeurs à exploiter existent comme la domestication des revenus, la propriété par les nationaux des moyens de production (cas cité ci-dessus de gros opérateurs individuels pétroliers au Nigeria), le transfert des compétences, etc… En dehors du paiement des redevances, des taxes, des impôts, des royalties, ou autres revenus versés par les sociétés minières et pétrolières étrangères, le ‘’Contenu Local‘’ constitue pour les Etats hôtes, une autre source de retombées directes et indirectes attendues des activités extractives (activités minière et pétrolière) dans l’économie nationale. Le paradigme du ‘’Contenu Local‘’ est tellement important qu’il y a une nécessité d’adoption et de suivi strict des textes législatifs et règlementaires en la matière, mais aussi la création de structures institutionnelles spécifiques qui lui sont dédiées. C’est justement ce qui a manqué jusqu’ici au Niger et pour combler ce vide et assoir une véritable politique nationale du ‘’Contenu Local‘’, il a été créé un cadre législatif et règlementaire à travers l’Ordonnance à laquelle vous faites allusion dans votre première question.
Justement, quel commentaire vous inspire le cas du Niger ?
L’Ordonnance, enregistrée sous le n° 2024-34 et signée dès le 02 Août 2024, a pour objectif de promouvoir et de développer le ‘’Contenu Local‘’ dans les industries extractives au Niger, et de façon précise, d’augmenter au niveau local la valeur ajoutée, la création d’emplois, de favoriser le développement d’une main d’œuvre locale qualifiée et compétitive, de favoriser le renforcement de la compétitivité nationale et internationale, de renforcer la participation des populations (particulièrement les femmes et les jeunes) et leur promotion dans les prestations de services intellectuels nationaux sur toute la chaîne de valeurs des industries minière et pétrolière, la promotion du développement social, la promotion et l’utilisation des biens et services dans les industries minière et pétrolière, de développer les capacités nationales sur toute la chaîne de valeurs des industries minière et pétrolière par l’éducation et la formation technique, le transfert de technologie et de savoir-faire, la recherche-développement, la promotion du capital et du financement des entreprises nigériennes, de mettre en place un mécanisme de suivi et évaluation, transparent et fiable des obligations liées au ‘’Contenu Local‘’, de promouvoir et de développer l’assistance technique, financière et juridique aux Micros et PME-PMI locales, de promouvoir et de développer les services financiers et assurances en adéquation avec les politiques publiques nationales. Tout l’éventail possible de développement de ‘’Contenu Local‘’ auquel un pays souverain peut se prévaloir, a été couvert par cette Ordonnance. Le respect de toutes ces exigences (qui doivent normalement figurer dans les contrats minier et pétrolier) est un facteur de croissance pour l’Etat et pour les opérateurs économiques locaux qui devraient mécaniquement voir leur marché ou leur part de marché croitre considérablement. Dans certains pays africains, le législateur a intégré les dispositions qui font référence à la Loi ou à l’Ordonnance relatives au ‘’Contenu Local‘’ dans le Code minier, le Code pétrolier, le Code des investissements, le Code des marchés publics, le Code du travail, etc…Pour un pays comme le Niger qui vient de l’intégrer dans sa politique économique, le ‘’Contenu Local‘’ est en partie une réponse à la ‘’malédiction des ressources naturelles‘’, qui désigne une situation économique paradoxale, caractérisée par la difficulté qu’éprouve un pays riche en ressources naturelles à emprunter le chemin de développement. Alors que les principales sociétés étrangères présentes au Niger depuis plus de 60 ans pour certaines réalisent bon an, mal an des chiffres d’affaires de plusieurs milliards d’euros et/ou de dollars, les Micros et PME/PMI nationales sont réduites pour l’essentiel à faire des tâches secondaires avec de ridicules retombées financières. Le Niger est pourtant un pays doté de ressources extractives exceptionnellement abondantes, et que celles-ci pourraient être une source importante de revenus et d’emplois pour l’Etat et pour les citoyens ; mais malheureusement ni l’Etat, encore moins les populations n’en tirent profit de ces inestimables richesses de notre sous-sol. Au-delà de la bonne gouvernance qui relève de la compétence directe du gouvernement, la solution à cet état de fait passe par une meilleure inclusion des citoyens nigériens, particulièrement les opérateurs économiques (collectivement et/ou individuellement) à travers donc la promotion du ‘’Contenu Local‘’. A cet effet, le Niger a quand même adopté plusieurs textes sur la gestion et la gouvernance des ressources extractives avec en prime une part non moins importante réservée au développement des communautés locales. La dernière génération des Codes Minier et Pétrolier de la République du Niger, leurs décrets d’application et même la Constitution de Novembre 2009, font une part belle à l’appropriation des revenus des rentes minière et pétrolière par les acteurs nationaux. Ces différentes législations prennent en compte le concept de ‘’Contenu Local‘’ à travers des articles qui consacrent les préférences aux entreprises nigériennes dans la sous-traitance, les achats et approvisionnements et au personnel nigérien dans le recrutement. Cependant, les sociétés minières et pétrolières présentes au Niger, ont une sensibilité variable par rapport à cette problématique. Le CNSP et le gouvernement ne se sont donc pas limités à cette vision minimaliste du ‘’Contenu Local‘’, et c’est pourquoi, la présente Ordonnance qui créé un cadre harmonisé, va bien au-delà des dispositions antérieures, avec un champ d’application plus vaste, des objectifs plus précis, un mécanisme de suivi de la mise en œuvre et d’évaluation, etc… Le CNSP veut faire des ressources minière et pétrolière, non pas des instruments de mobilisation de recettes budgétaires directes, mais plutôt des piliers du développement socio-économique et de diversification de notre économie nationale. Il faut éviter que la population soit écartée de la croissance, que les autres activités soient bloquées ou que l’élitisme et le clientélisme alimentent le fléau de la corruption à quelque echelle que ce soit. L’enjeu stratégique consiste à trouver la voie d’une croissance inclusive qui profite à l’économie nationale, et surtout aux populations. Aussi, plusieurs obligations, dont le non-respect expose les contrevenants à des sanctions sont désormais mises à la charge de tous ceux qui désirent intervenir dans les secteurs des mines et des hydrocarbures au Niger, comme investisseur, sous-traitant, prestataire ou fournisseur de biens et services, etc… Sur ce point, Son Excellence le Président Abdourahamane Tiani a été très clair : ‘’Toute société minière ou pétrolière, de quelque nationalité qu’elle soit, se verra purement et simplement retiré son permis d’exploration et/ou d’exploitation si elle viole les dispositions règlementaires et contractuelles‘’. Outre l’élaboration d’un Document de Stratégie du ‘’Contenu Local‘’, la présente Ordonnance prévoit l’institution d’un Comité National de Suivi du Contenu local (CNSCL) chargé de coordonner sa mise en œuvre. Ainsi donc, la future politique de ‘’Contenu Local‘’ au Niger va inclure un mécanisme de surveillance et de mise en œuvre indépendant, intégré, qui obligerait les différentes parties prenantes (y compris les institutions publiques) de rendre compte.
Propos recueillis par Siradji Sanda (ONEP)