
M. Mouhamadou Moustapha Ly
Depuis juillet 2024 vous êtes le nouveau Représentant Résident du FMI au Niger. Pouvez-vous nous rappeler un peu votre rôle ici ?
Je vous remercie pour votre invitation et salue l’ensemble de vos lectrices et lecteurs. Effectivement, je représente le Fonds monétaire international (FMI) au Niger depuis le mois de juillet 2024.
Permettez-moi tout d’abord d’adresser mes profonds remerciements à l’endroit des autorités du Niger ainsi qu’à la population de la charmante ville de Niamey pour leur accueil très chaleureux. Mes remerciements particuliers vont à l’ensemble du personnel du Ministère de l’Economie et des Finances pour leur constante sollicitude à mon égard.
Pour revenir à votre question, le Représentant Résident est le premier interlocuteur entre le pays et le FMI. Plus spécifiquement, le Représentant Résident joue le rôle d’un conseiller auprès de S.E.M le Premier ministre, ministre de l’Économie et des Finances et est chargé d’appuyer les équipes techniques du Ministère pour atteindre et maintenir la stabilité macroéconomique, une croissance économique forte, inclusive et résiliente, et réduire la pauvreté. Un autre pan dans la mission du représentant, c’est de mieux faire connaître la mission du FMI ainsi que ses activités au profit des 191 pays membres de l’organisation. Les interventions du FMI auprès de ses membres tournent essentiellement autour de trois activités : la surveillance, l’assistance technique et l’appui financier aux programmes de réformes économique et financière des États membres.
Une mission conduite par le Chef de Division adjoint au Département Afrique du FMI, M. Antonio David, a séjourné récemment à Niamey. Quels sont les principaux aspects à retenir des conclusions de cette mission ?
En effet, du 5 au 16 mai 2025, une mission du FMI dirigée par le Chef de Division adjoint, M. Antonio David, a séjourné à Niamey dans le cadre de la revue du programme de réformes du gouvernement du Niger appuyé par le FMI. Les autorités nigériennes ont entrepris un ambitieux programme de réformes économiques visant à jeter les bases d’une économie résiliente et prospère, avec une croissance économique soutenable et inclusive portée par le secteur privé. Atteindre de tels objectifs requiert un cadre macroéconomique stable et un environnement des affaires attrayant. De façon plus spécifique, il s’agit pour les autorités du Niger d’assainir les finances publiques et de promouvoir une gouvernance publique transparente et saine afin de garantir un développement harmonieux du secteur privé ainsi qu’une meilleure maîtrise du budget. Les autorités ont également pris d’importantes mesures pour renforcer la résilience des finances publiques face aux multiples chocs climatiques de plus en plus fréquents. Dans ce cadre, le programme de réformes économiques du Niger est soutenu par deux instruments financiers du FMI que sont la facilité élargie de crédit (FEC) et la facilité pour la résilience et la durabilité (FRD).
Le programme de réformes économiques du Niger appuyé par la facilité élargie de crédit (FEC), ainsi que celui appuyé par la facilité pour la résilience et la durabilité (FRD), devront permettre au Niger d’obtenir des financements supplémentaires pour appuyer ses politiques économiques et financières. De quoi s’agit-il concrètement ?
Ces deux facilités visent à apporter un appui budgétaire au Niger pendant la phase où le pays met en œuvre ses réformes économiques et de gouvernance. Le premier instrument, la FEC, est un appui financier hautement concessionnel (le taux d’intérêt est nul en plus d’un délai de grâce d’environ 5 ans). La FEC fournit un financement concessionnel à moyen terme pour soutenir l’économie nigérienne dans la mise en œuvre de programmes économiques visant à réaliser des progrès significatifs vers une situation macroéconomique stable et durable, une réduction significative de la pauvreté ainsi qu’une croissance économique forte et inclusive. Quant à la FRD, elle permet de fournir un soutien technique et financier au Niger dans ses réformes engagées pour relever les défis structurels à long terme liés au changement climatique (et à la préparation d’autres chocs de même nature) dans le but de renforcer la stabilité prospective de la balance des paiements et la résilience de l’économie de façon plus générale. A la suite de la mission de revue évoquée plus haut, le dossier du Niger a été soumis au conseil d’administration du FMI et cela a été couronné de succès avec son approbation ce 14 juillet 2025. En résumé, deux facteurs expliquent ce succès du dossier du Niger. D’abord cela révèle la qualité des nombreuses et audacieuses réformes entreprises par les autorités. A ce titre, il y a eu l’adoption de la stratégie de gestion des recettes pétrolières, du nouveau Code Général des Impôts, le rétablissement et l’effectivité de la Cour des comptes. Ensuite, sur le plan des indicateurs quantitatifs, d’importants efforts sont consentis pour rétablir les équilibres macroéconomiques. Tout dernièrement, le Président de la République a signé l’ordonnance 2025/21 portant première rectification de la loi des finances du 31 décembre 2024, ce qui constitue un pas important en faveur d’un ajustement budgétaire (le déficit budgétaire va tourner autour de 3% du PIB en 2025 : ce qui est une performance significative du Niger au sein de l’espace UEMOA) tout en préservant les dépenses sociales essentielles pour les populations les plus vulnérables. Ainsi, les autorités comptent agir principalement sur les leviers de l’efficacité, la qualité et la transparence des dépenses publiques.
Le conseil d’administration a salué les performances du Niger et la résilience de son économie. Effectivement, ce succès a permis le déboursement d’environ 41 millions de dollars américains en appui budgétaire au profit du Niger.
Quelle est votre analyse de la situation économique du Niger, aujourd’hui, après que le pays ait enduré de lourdes sanctions communautaires et internationales ?
Il faut d’abord noter que l’économie nigérienne s’est montrée résiliente en 2023 et 2024 suite aux chocs subis. En effet, après un niveau d’activité morose en 2023 (la croissance n’a été que de 2,4%), l’économie a non seulement résisté aux vagues de sanctions mais a vigoureusement repris en 2024 avec une croissance de 10,3% portée par les bonnes performances du secteur de l’agriculture et des exportations de pétrole brut. Selon les dernières prévisions des équipes du FMI, l’économie nigérienne va continuer sur cette lancée vigoureuse avec une croissance robuste de 6.6% en 2025 et dans le moyen terme la croissance devrait tendre autour de 6.0%. Sur le plan de la dette publique, le taux d’endettement est passé de 47.2% en 2024 à environ 44% pour cette année. La hausse des prix a été un fait marquant à partir du second semestre 2023. Malgré le niveau d’inflation élevé noté en 2024 s’établissant à 9,1%, les prix ont enclenché une tendance à la baisse avec un niveau de 4.2% attendu en 2025. Cependant, les défis ne manquent pas et il est important de les relever afin que cette croissance économique encourageante se reflète dans le « panier de la ménagère » pour emprunter la fameuse expression. Tout d’abord, il y a la question, qui se pose ici au Niger et dans la plupart des pays en développement de la diversification de l’économie. Comme évoqué plus haut, la croissance nigérienne reste dépendante de la production agricole et de l’exportation d’hydrocarbures et autres produits miniers. Un récent rapport publié par nos collègues de la Banque mondiale souligne le potentiel pour l’économie nigérienne d’un renforcement du système agroalimentaire à travers le développement de l’irrigation et des investissements pour accroître la résilience du secteur face aux changements climatiques. Cela permettrait de rendre la croissance moins dépendante de la pluviométrie.
Quelle lecture faites-vous de la dynamique actuelle du Niger dans la mobilisation des ressources, l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des dépenses publiques, la promotion du développement du secteur privé et de l’accès aux financements ?
Vous abordez là une question très importante dans une période où l’économie mondiale se caractérise par une raréfaction sévère des financements. Cette situation bien entendu impacte largement les pays à faible revenu qui ont des besoins importants pour financer leur développement et pour faire face aux dépenses sociales sans cesse en hausse. Au niveau du marché financier de la sous-région, le coût des emprunts reste élevé avec des taux d’intérêt parfois qui avoisinent les 10% sur des maturités relativement courtes. En 2024, le total des recettes de l’Etat tournait autour de 7,7% du PIB, ce qui est l’un des plus faibles taux des pays de l’UEMOA. Ce taux a significativement baissé au Niger car si l’on retourne en arrière, en 2010 par exemple, ces mêmes recettes de l’Etat se chiffraient à 14,4% du PIB. Cette situation s’explique largement par la baisse du taux de mobilisation fiscale observée depuis quelques années. Cependant, une récente étude des équipes du FMI montre qu’à court terme le taux de mobilisation fiscale pourrait augmenter de 3,4 points de pourcentage par rapport à son niveau actuel. Pour ce faire, il sera essentiel de rationaliser les exonérations de TVA et les taux réduits sur certains produits, de réformer les accises et d’autres types d’impôts, et de renforcer l’administration fiscale. Sur ce point, la récente adoption du nouveau Code Général des Impôts et les diverses initiatives des différentes régies permettront sans nul doute d’améliorer la situation dans le moyen terme.
Comment se présentent les perspectives de l’économie nigérienne en lien avec le contexte actuel ?
Comme évoqué plus haut, les perspectives à moyen terme sont positives. La croissance économique restera vigoureuse autour de 6% par an. Sur le plan des finances publiques, la poursuite de la politique actuelle de prudence budgétaire tout en préservant les dépenses sociales permettra de réduire le niveau d’endettement et de fournir l’espace budgétaire pour des investissements essentiels. On a tous à l’esprit la situation sécuritaire, et justement une politique budgétaire prudente telle que pratiquée actuellement offrira davantage de marge de manœuvre aux autorités nigériennes pour assurer les dépenses de souveraineté sur ressources propres. Le renforcement du cadre de gouvernance et de lutte contre la corruption renforcera la confiance du public et stimulera la croissance économique.
Interview réalisée par Ismaël Chékaré (ONEP)