Vous êtes archéologue de formation, mais aussi médiateur culturel et scientifique ; est-ce à cause des potentialités de la région d’Agadez sur le plan archéologique que vous avez choisi de vous y installer ?
J’ai eu la chance de naître et grandir entouré par des sites, des objets et gravures rupestres témoins d’une vie historique très riche. Et, au cours de mes études de géologie à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, je me suis intéressé à l’archéologie, aux riches patrimoines que présente notre ville. Chaque fois que je voyage dans le village ou dans le Sahara, je croise des signes, sites et vestiges historiques qui méritent d’être protégés, étudiés et surtout valorisés, afin que les nigériens puissent connaître leur patrimoine. Agadez est une région très riche avec d’importantes potentialités en matière de vestiges archéologiques et paléontologiques et il y a très peu d’archéologues. C’est une des raisons qui m’ont amené à m’intéresser à l’archéologie, domaine où l’emploi devrait être également disponible. Être archéologue est une façon de transmettre les savoirs, les modes de vie des ancêtres, etc.
Y-a-t-il des travaux que vous menez dans le domaine archéologique au Niger et dans la région d’Agadez particulièrement ?
Pendant mes études, j’ai participé à des fouilles archéologiques au Niger, en particulier dans la région d’Agadez auprès des équipes internationales, notamment celle de l’université de Chicago. J’ai participé à des conférences à Niamey et au niveau international pour faire découvrir les merveilles archéologiques et paléontologiques que possède la région d’Agadez. Mon but est d’attirer l’attention des autorités et des étudiants sur l’importance que revêt ce patrimoine qui mérite d’être exploré, valorisé et surtout pour avoir des formations spécifiques dans ce domaine très rare, afin d’avoir des cadres, des professionnels qui vont en faire un métier. Beaucoup des jeunes avec qui j’ai échangé n’ont pas réalisé les ouvertures que peuvent représenter les études dans ce domaine pluridisciplinaire.
En plus de la vacation que j’ai assurée, j’ai organisé des voyages d’études avec les étudiants de l’Université d’Agadez pour leur faire découvrir le site Marendate, Tawashit non loin d’Agadez qui est un musée à ciel ouvert. Nous avons profité de cette occasion pour effectuer des cours pratiques sur la numérisation des sites à travers la photographie, afin de permettre aux étudiants de faire un travail de sauvegarde et documentation. L’archéologie et la paléontologie se découvrent plus sur le terrain, pour dénicher un trésor ou un vestige jamais découvert.
À Agadez, votre nom est surtout lié à l’association Imane Atarikh signifiant en langue Tamashek «donner vie au patrimoine» ; quelles sont les raisons qui ont motivé la création de cette structure ?
Depuis quelques années, j’ai constaté que notre patrimoine est en « hibernation » à cause de l’absence de touristes, de visiteurs et du manque d’intérêt de la population. À cela s’ajoutent les aléas climatiques qui mettent en péril la vie du patrimoine architectural surtout et culturel. Ainsi, il était urgent de réagir pour donner vie à ce patrimoine qui est ancré dans la vie des populations et constitue une vitrine pour la région, mais surtout un patrimoine de l’humanité. Penser à la conservation, restauration et valorisation, est indispensable pour faire revivre ce patrimoine à travers des sensibilisations, formations, des activités culturelles, les festivals et les visites guidées dans la Vieille ville d’Agadez. C’est donc une des raisons ayant motivé la création de l’association Imane Atarikh.
Quelles sont les activités initiées par Imane Atarikh au niveau du Centre historique d’Agadez, premier bien culturel du Niger inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2013, qui est confronté à d’énormes défis de conservation ?
Pendant l’hivernage 2024, nous avons eu l’équivalent d’une année de pluie en deux semaines. Cela a certainement des impacts sur des structures architecturales en banco dans la Vieille ville d’Agadez. Il est impératif de faire une étude scientifique dans l’avenir sur des matériaux de résistance à travers les constituants et ressources disponibles à Agadez. Dans un premier temps, il faut un échange avec les anciens maçons pour effectuer un état des lieux des savoir-faire et donner une formation aux jeunes maçons sur les techniques traditionnelles. Il est de plus en plus rare de trouver des jeunes maçons pour la construction de maisons en banco. Certains habitants préfèrent le crépissage avec le ciment et matériaux définitifs, et cela dénature la vieille ville historique et menace son originalité et son classement au patrimoine mondial. Notre essayons de sensibiliser la communauté à garder les maisons historiques pour leur identité, chaque maison a une histoire, une culture.
Aussi avons-nous identifié les maisons et bâtiments emblématiques de la vieille ville d’Agadez, dont la grande mosquée pour faire un travail de documentation à travers la numérisation 3D. Cela est nécessaire pour la prévention. Nous avons en mémoire les inondations ayant fait tomber des maisons en 2009. Par exemple, avec la numérisation on peut reconstituer une maison, le bout du quartier perdu. Il faut mettre la nouvelle technologie au service du patrimoine pour faciliter sa restauration en cas de dégradation ou destruction. Ainsi, on peut procéder à la restauration des maisons en banco menacées d’effondrement à cause des impacts des changements climatiques. C’est une réalité actuelle qui mérite une attention particulière des autorités compétentes.
Vous avez aussi la casquette de médiateur culturel et de gestionnaire de projet numérique ; en quoi consistent vos activités et projets sur ces domaines ?
Il est essentiel de transmettre les messages pour faciliter notre travail sur le patrimoine et susciter un intérêt auprès des jeunes afin qu’ils considèrent davantage le patrimoine culturel, archéologique et paléontologique à travers la médiation culturelle. Cela donne vie au patrimoine et toute son importance. Il y a aussi des emplois à créer dans ce domaine à travers les créations culturelles, artistiques, les activités des guides des sites, conservateurs, restaurateurs, etc. , qui peuvent être des métiers d’avenir, des sources de revenus pour les jeunes et la communauté locale. C’est un devoir pour moi de montrer les tenants et aboutissants d’une filière comme l’archéologie que beaucoup ignorent, juste par manque d’information. Le projet numérique sur le patrimoine est un fait nouveau. Il est crucial aujourd’hui d’être au même niveau que le monde ; évoluer sur les méthodes et techniques pour mieux faciliter le travail de patrimoine, façonner l’avenir et la valorisation de notre patrimoine, mais aussi lui permettre d’être une référence afin d’attirer des chercheurs et visiteurs au Niger. Mais, sans un musée adéquat à Agadez, il est difficile de croire à une éducation culturelle et de sauvegarde de patrimoine.
Ces dernières années, beaucoup de pays réclament le retour de leurs biens culturels qui sont dans les musées en Occident notamment. Au Niger aussi nous avons besoin de nos biens culturels qui sont à l’extérieur. Je lance un appel aux autorités afin que, dans l’élan patriotique actuel, elles s’engagent pour le retour de nos biens culturels et la création des musées dans nos régions et communes, pour créer des liens avec notre patrimoine. Cela aura sans nul doute un impact énorme sur notre société car « notre patrimoine, c’est notre identité ».
Interview réalisée par Souley Moutari, envoyé spécial à Agadez