
Du poisson fumé en abondance au marché de Tanda
La pêche artisanale est une activité bien ancrée dans la commune rurale de Tanda située au sein du département de Gaya dans la zone du Niger frontalière du Bénin et du Nigeria. Grâce à l’abondance des ressources en eau, la pêche est largement développée dans la localité. Dans les villages de Tondika et de Konza, situés dans la commune rurale de Tanda, la pêche n’est pas qu’une activité économique mais une tradition transmise de génération en génération. Dans ces villages, hommes, femmes et jeunes s’adonnent fièrement à cette activité florissante, qui leur permet aussi de gagner dignement leur vie.
À Tondika comme à Konza, la pêche est une activité qui permet de bien gagner sa vie. Issaka Abdou, pêcheur (Sorko) rencontré au village de Konza, situé à 5 km de Tanda, en est un exemple vivant. Il exerce ce métier depuis plusieurs années. « J’ai actuellement 47 ans d’expérience dans ce domaine, et je continue toujours », confie-t-il.
Le mardi 29 avril 2025, à 7h30, Issaka avait déjà terminé sa pêche et s’apprêtait à rentrer chez lui. « Personnellement, je commence la nuit, vers minuit, et je termine entre 7 heures et 8 heures du matin. Je préfère pêcher la nuit parce qu’en journée, j’ai d’autres travaux agricoles à faire. Tout est une question d’habitude, la nuit, je suis plus à l’aise, je ne suis pas habitué à pêcher le jour », explique-t-il.
Selon les explications du quinquagénaire, la pêche peut se faire à tout moment. « De jour comme de nuit, on peut capturer du poisson sans difficulté. Contrairement à d’autres pêcheurs qui réservent leurs produits à leurs clients habituels, moi je vends à tout le monde, sans distinction. Les clients viennent de partout : Konza, Tanda, Gaya, Sia, Talanbou… Ils achètent pour consommer ou revendre », ajoute-t-il.

Concernant les prix, il précise que tout dépend de la période. « En saison abondante, une grande tasse de poisson se vend entre 8 000 et 10 000 FCFA. Mais lorsque les poissons deviennent rares et que l’eau commence à se retirer, ce même volume peut atteindre 20 000 FCFA», affirme-t-il.
Mahamadou, surnommé Karmadji, est originaire du village de Katawani Béri. Il pratique à la fois la pêche et la riziculture à Tondika. « Chaque année, je viens ici exercer mes activités. Je pêche depuis mon plus jeune âge. J’ai trouvé mes parents et grands-parents dans ce métier. J’ai au moins quarante ans d’expérience dans ce domaine », confie-t-il.
Cette année, se réjouit-il, la pêche a été particulièrement bonne. « Le poisson s’est bien développé, par la grâce de Dieu. C’est une année exceptionnelle, bien meilleure que les précédentes. Il a beaucoup plu, ce qui a favorisé la reproduction du poisson » a-t-il dit.

Concernant les horaires de pêche, Mahamadou précise qu’on peut commencer dès 7 ou 8 heures dans la matinée et continuer jusqu’à 16 heures. Certains préfèrent pêcher de nuit, entre 20 heures et l’aube. Mais l’heure la plus favorable se situe entre minuit et 4 heures du matin. Aussi, chaque pêcheur, appelé « sorko », a ses propres clients fidèles et sa propre pirogue. « Nous ne vendons à personne d’autre, sauf cas de force majeure. Il y a des mareyeuses avec qui nous travaillons depuis plus de dix ans. Pour ma part, mes clientes viennent principalement du village de Tara », ajoute-t-il. Selon Mahamadou, il existe différentes variétés de poissons dans ces eaux. « Ici, nous pêchons du Guiwa, Doza, Brou, Tchi Haki, Maygo, Balouda, Gandaga, Yalo, Zangay, Karaya, Zaway et Falia. Tous ces poissons sont comestibles et ne présentent aucun risque pour la santé, sauf en cas d’allergie particulière. Parmi eux, le Guiwa est le plus gros et le plus cher. Une tasse remplie de poissons se vend à 10 000 FCFA, mais quand il devient rare, elle peut atteindre 15 000 voire 20 000 FCFA. Les petits poissons que l’on frit et consomme comme amuse-gueules sont appelés Chémani, Rajiya, Dan Gari et Gargaza. Une grande tasse de ces petits poissons coûte 5 000 FCFA, parfois plus. Quand ils se font rares, on peut la vendre à 7 000 FCFA », a fait savoir Karmadji.
Une rente pour le paysan
Cette activité est très rentable pour lui. « Certes, les besoins ne manquent jamais, mais c’est grâce à ce métier que nous arrivons à en satisfaire certains. Pour un mariage ou un baptême, en une ou deux semaines, avec la bénédiction de Dieu, on peut réunir ce qu’il faut pour organiser l’événement. Je ne peux même plus compter le nombre de fois où j’ai pu organiser et prendre en charge des cérémonies grâce à cette activité », se réjoui-t-il. Concernant les éventuelles difficultés, Mahamadou affirme n’avoir pas connu de problèmes majeurs. S’il y a un obstacle, ce serait la présence d’hippopotame, car cela peut gêner leur travail. « Mais un crocodile ne serait pas inquiétant», conclut-il avec assurance.
Les femmes, des actrices à part de la filière
Mme Roukaya Guirey, habitante du village de Tara fait partie des femmes actives de ce qu’on peut appeler filière de la pêche. Elle se rend chaque jour à Tondika pour se procurer du poisson frais. « Ce commerce ne date pas d’aujourd’hui, j’ai au moins trente ans d’expérience dans le domaine. Tôt le matin, à partir de 8 h, je suis déjà sur place pour attendre l’arrivée des pêcheurs. La décrue du fleuve marque le retour en force du poisson. C’est une période de joie pour les pêcheurs comme pour nous, les revendeuses, notamment en mars et avril. Mais au fil du temps, les quantités commencent à diminuer», explique-t-elle.
Roukaya Guirey précise que la plupart du temps, elle revend du poisson frais. « Je ne le fais frire que lorsque j’ai une grande quantité difficile à écouler. Je vends aux clients des villages environnants, à Gaya, à Malanville et même au Bénin. Certains viennent acheter sur place, soit pour leur consommation, soit pour revendre », ajoute-t-elle.
Pour faciliter ses déplacements, Mme Guirey s’attache les services d’un conducteur de moto (kabou-kabou). « Le trajet Tara–Tondika coûte entre 500 et 750 FCFA. De Tara à Malanville ou Gaya, c’est environ 2 500 FCFA. Par jour, j’achète du poisson pour 100 000 à 200 000 FCFA, selon les moyens que j’ai. On ne vend pas au kilo, mais par tasse. Je vends à partir de 500 FCFA, 1 000 FCFA, 5 000 FCFA, 10 000 FCFA à plus », précise-t-elle.
La quadragénaire se dit satisfaite de cette activité : « Masha Allah, je m’en sors bien. Grâce à ce commerce, j’ai pu acheter des animaux pour l’embouche et des vivres à stocker, que je revends pendant la période de soudure, quand les produits se font rares sur le marché », confie-t-elle.
Une plus-value …
Chaque année, la commune rurale de Tanda enregistre des recettes importantes issues de la vente de poisson. Le chef du service communal de l’environnement de Tanda, M. Boureima Bako, évoque les apports économiques de cette activité pour la commune. « Chaque matin, il y a des prises en quantités importantes. Comme c’est une zone marécageuse, le poisson y trouve des conditions idéales pour se reproduire, avec la présence d’herbes et autres éléments naturels. Les pêcheurs sont vraiment satisfaits de cette activité », affirme-t-il.
L’activité contribue fortement à l’économie locale, notamment grâce au paiement des quittances par les pêcheurs. « Il y a des quittances attribuées à chaque pêcheur. C’est une taxe piscicole que les pêcheurs paient individuellement pour pouvoir exercer leur activité. Actuellement, comme nous sommes en pleine campagne, ils sont en train de s’en acquitter. Grâce à ces recettes, la mairie peut percevoir jusqu’à 50 %, et l’État en reçoit les 50 % restants », a affirmé M. Boureima Bako.

Le service communal ne dispose pas encore de statistiques précises concernant le nombre de pêcheurs enregistrés dans la localité. Toutefois, de nombreuses personnes pratiquent la pêche dans la commune. « En plus de ceux qui résident ici, d’autres viennent d’ailleurs, notamment du Nigeria et du Bénin. On estime leur nombre entre 500 et 600, voire plus. Ce chiffre reste approximatif, car le nombre de pêcheurs varie selon les périodes. Il y a des moments, comme maintenant, où les prises sont abondantes et où l’affluence est forte. À l’inverse, durant certaines périodes, on peut avoir moins de 200 pêcheurs actifs sur les zones de pêche », a-t-il expliqué. Les mois de mars, avril et mai enregistrent un fort afflux, tandis qu’à partir de juin, les eaux commencent à se retirer, réduisant ainsi les activités.
Parlant de la tranche d’âge pour la pratique de la pêche, M. Boureima Bako a indiqué qu’elle varie entre 15 et 35 ans. « C’est une activité assez exigeante, qui demande de l’endurance. La majorité des pratiquants sont des jeunes de 15 à 35 ans. Les plus âgés peinent à s’y adonner, sauf en fonction des outils utilisés. Certains, comme les éperviers, nécessitent beaucoup d’efforts, tandis que les filets maillants ou dormants demandent moins d’effort : il suffit de les disposer et de les suivre sur le fleuve », a-t-il précisé.

Concernant les outils de pêche, M. Boureima Bako a indiqué qu’il en existe plusieurs types. « Il y a les filets appelés filets maillants, installés dans les zones de passage des poissons pour les intercepter. Il y a aussi les filets dormants, qui restent plus longtemps dans l’eau, on les place le jour et on les contrôle le lendemain matin. En dehors de ces filets, il y a les nasses, fabriquées à base de feuilles de rônier, très efficaces pour capturer les poissons de petite et moyenne taille vivant en eau douce », a-t-il expliqué. À cela s’ajoutent, les palangres qui sont des outils de pêche dormants composés d’une ligne mère sur laquelle sont fixés des avançons, c’est-à-dire des fils de nylon terminés par des hameçons. « Il existe deux types de palangres : celles avec appâts, qui utilisent de la nourriture pour attirer les poissons, et celles sans appâts. Dans les deux cas, les hameçons capturent les poissons au passage», a-t-il fait savoir.
La nécessité d’une structuration et d’un encadrement de l’activité
Malgré un apport significatif à l’économie locale, le chef du service environnement a relevé certaines failles dans la pratique de la pêche dans la commune rurale de Tanda. En ce qui concerne les entraves, les pêcheurs ne maîtrisent pas parfaitement les techniques de pêche. « Il y a des périodes de reproduction pendant lesquelles il faut laisser les poissons se reproduire. Ils ne respectent pas cela. Aussi, pour les outils de pêche, il y a un problème. Ils utilisent des filets interdits par les textes en vigueur, comme les filets à mailles très fines. Ce sont des filets d’un à deux doigts, interdits parce qu’ils capturent les petits poissons. On autorise seulement ceux de trois à cinq doigts, car ils laissent passer les petits et retiennent les gros. Les pêcheurs ne respectent pas cette règle ; ils veulent capturer une grande quantité, petits et grands poissons, juste pour gagner de l’argent. Et ce n’est pas bon », a-t-il déploré.
Néanmoins, a ajouté l’environnementaliste, des séances de sensibilisation sont organisées pour améliorer la pratique. « Il y a des projets qui nous aident à faire de la sensibilisation. Même cette année, avec un financement de la FAO, un projet a appuyé les pêcheurs en matériel de pêche comme des pirogues, des nasses, des éperviers, des filets maillants », a rappelé M. Boureima Bako.
La commune rurale de Tanda regorge d’un énorme potentiel en matière de pêche. Un encadrement plus rigoureux de l’activité contribuerait, selon le spécialiste, à rentabiliser cette filière et à booster davantage l’économie locale et celle du pays.
Farida. A. Ibrahim (ONEP), Envoyée spéciale