
Conséquence logique de l’inspection qui a accablé une grande partie des boulangeries de Niamey, l’arrêté N°0058 MC/ANMC, en date du 11 juillet 2025 portant réglementation de la production du Pain courant en République du Niger, est d’une certaine façon le dernier acte qui a déclenché le bras de fer entre les boulangers qui ont observé une grève les 4 et 5 août 2025 et l’autorité de tutelle, en l’occurrence le Ministère du Commerce et de l’Industrie. Face à cette situation, des consommateurs désemparés se demandent s’ils doivent oublier le pain si ancré dans leur habitude alimentaire pour se contenter de la traditionnelle «massa», la galette de mil ou du «kekena», le beignet de haricot.
En effet, les boulangeries sont dans l’actualité depuis la sortie le 7 juillet 2025 du rapport de l’enquête menée au niveau de 114 de ces unités de production de pain reparties dans les cinq (5) Arrondissements Communaux de Niamey, par le Ministère du Commerce et de l’Industrie, à travers l’Agence nigérienne de Normalisation, de Métrologie et de Certification (ANMC). La conclusion des contrôles effectués accuse presque toutes ces structures. En cause, des actes et comportements mettant en danger la santé des consommateurs de pain du fait tout simplement du non-respect des règles et procédures normales dans la production de ce produit très consommé par les populations. Entre autres irrégularités relevées, 98% des boulangeries inspectées n’ont pas de certificat de salubrité ; 100% ne respectent pas la formule de production prescrite par la réglementation ; 100% des instruments de mesure utilisés ne sont pas étalonnés. La majorité du personnel n’a pas de carnet de santé. Pour ceux qui en ont, les documents ne sont pas à jour. Plus grave, ces faits révélés par l’enquête, images et vidéos à l’appui : des locaux insalubres avec des planchers et des plafonds dégradés, du matériel et équipements de travail rouillés, de la farine entreposée à même le sol, avec le risque de contamination par les eaux usées et autres bestioles ou la manipulation par des agents sans gants, sans masques. Selon le rapport, c’est seulement dans cinq (5) boulangeries que les conditions d’hygiène des locaux sont acceptables.
Face à ces révélations, beaucoup de consommateurs ont déserté les boulangeries en attendant d’être rassurés par les mesures prises par l’autorité et l’amélioration des conditions de production du pain. Ainsi, l’arrêté N°0058 MC/ANMC en date du 11 juillet 2025 portant réglementant de la production du pain courant en République du Niger témoigne de la volonté des autorités à mettre de l’ordre dans les activités des boulangeries au Niger.

La mesure rappelle que le pain courant est le pain fait avec de la farine de blé TS5 ou T65, de la levure, de sel, d’eau potable, et éventuellement d’adjuvant. Aussi, il est précisé que les différents types de pain courant sont le pain” baguette” : pain blanc ayant une forme allongée, fabriqué à partir d’une farine boulangère de type 55, ou 65, de levure, de sel, d’eau potable, et éventuellement d’adjuvant ; pain” bâtard”: pain blanc ayant une forme trapue, fabriqué à partir d’une farine boulangère de type 55, ou 65, de levure, de sel, d’eau potable, et éventuellement d’adjuvant ; gros pain : pain blanc ayant une forme allongée, un volume et un poids plus important, fabriqué à partir d’une farine boulangère de type 55, ou 65, de levure, de sel, d’eau potable, et éventuellement d’adjuvant ; petit pain : pain blanc ayant une forme allongée et de petite taille, fabriqué à partir d’une farine boulangère de type 55, ou 65, de levure, de sel, d’eau potable, et éventuellement d’adjuvant ; boule : pain blanc ayant une forme arrondie, fabriqué à partir d’une farine boulangère de type 55, ou 65, de levure, de sel, d’eau potable, et éventuellement d’adjuvant.
Un des articles importants de l’arrêté N°0058 est celui concernant les critères de qualité du pain courant qui portent d’abord sur son aspect. Le produit doit être «bien développé sur toute sa forme, mais sans excès ; avoir des coups de lame réguliers avec des « jets, ou grignes » qui se chevauchent les uns les autres ; avoir une bonne coloration (dorée) ; avoir une croûte fine, craquante et croustillante de couleur caramel clair à blonde».
Un deuxième critère tout aussi important est relatif au dosage des ingrédients qui se fait selon les bonnes pratiques de fabrication (BPF) et selon la formule suivante pour la production de 100 Kg de farine de blé : 1 kg de levure ; 1 Kg d’améliorant (vitamine C) ; 1,5 à 2 kg de sel ; 60 litres d’eau à 2°C ou 3°C. La mesure stipule également qu’est interdite pour la production du pain l’utilisation du bromure de potassium ou toute substance autre que celles citées ci-dessus.
Les autorités insistent sur les critères d’hygiènes et les précautions sanitaires, indiquant que les pains de boulangerie sont préparés conformément aux bonnes pratiques d’hygiène (BPH) du code d’usage international de bonnes pratiques d’hygiène alimentaire du codex Alimentarius CXC 1-1969 et ne contiennent pas de microorganismes tels que des entérobactéries (Seratia marescens), des bacillus, des flavobactérium, des levures et moisissures.
Telles sont, entre autres, les mesures prises ou rappelées par les autorités pour rassurer les consommateurs du pain et les populations en général suite aux manquements et irrégularités constatés dans la plupart des boulangeries ayant fait l’objet d’inspection. Mais, cette action suscite l’intercompréhension voire l’indignation du Syndicat patronal des boulangers et pâtissiers du Niger (SPBPN) qui a engagé un mouvement face à ce qui est perçu par la corporation comme une coercition.
Souley Moutari (ONEP)
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« Au lieu de mettre un comité pour recenser les problèmes des boulangeries comme c’était convenu, à notre grande surprise, le Ministère a préféré nous mettre à nu », Mahamadou Hassan, SG SPBPN
En réaction à l’arrêté N°0058 du ministère du Commerce et de l’Industrie, le Syndicat patronal des boulangers et pâtissiers du Niger (SPBPN) a lancé une grève générale de quarante-huit heures qui a conduit à la suspension des activités de production de pain. A Niamey, les matins du lundi 4 et du mardi 5 août 2025, les boulangeries étaient fermées. Ce que les clients ont constaté en allant chercher du pain, ce sont plutôt des notes en rouge placardées sur la vitrine : « fermeture des boulangeries ». Ainsi, pendant 48 h, la population de Niamey a été privée de pain, cet aliment qui est devenu essentiel voire incontournable dans l’alimentation quotidienne. C’est aussi un produit qui fait vivre de nombreuses familles notamment celles des vendeurs de thé appelés « Chayman », ou encore des vendeurs de sandwich. Une grève qui a causé des désagréments pour la population qui paye déjà assez cher la baguette de pain sans que la qualité soit toujours au rendez-vous.

Selon le Secrétaire général du Syndicat patronal des boulangers et pâtissiers du Niger (SPBPN), Mahamadou Hassan, s’il faut respecter le poids et la qualité de la farine imposée par le Ministère, il y aura nécessairement une révision du prix de la baguette. Elle sera au top, a-t-il assuré, mais le prix sera rehaussé à la hauteur de la qualité. « Au lieu de mettre un comité pour recenser les problèmes des boulangeries comme c’était convenu, à notre grande surprise, le Ministère a préféré nous mettre à nu ; mais cela nous a fait du bien puisque les boulangeries sont en train de refaire la peinture de leurs locaux. Cependant, par rapport à la qualité de la farine type 55 et 65, elle n’est pas disponible et le Ministère du commerce nous l’impose », a-t-il affirmé.
En effet, selon les boulangers grévistes, cette imposition de la farine type 55 et type 65 cacherait une raison inavouée. « L’autre point, on nous reproche de ne pas respecter les normes et on ne sait pas produire le pain dans les normes ; normalement le Ministère doit nous ouvrir un centre de formation pour nous recycler. Cela fait 60 ans que le Niger a des boulangeries, il ne nous a jamais été reproché de pas savoir préparer le pain», souligne M. Mahamadou Hassan.
Pour le Secrétaire général du Syndicat patronal des boulangers et pâtissiers du Niger, on ne saurait parler de non-respect des normes d’hygiène des boulangeries, alors qu’au Niger, le pain n’a pas de norme propre. « L’État s’est désengagé du secteur depuis 2008, laissant les acteurs à leur propre sort», ajoute-t-il. Aussi, explique M. Mahamadou Hassan, les boulangeries seront amenées à produire en alternance avec l’initiative de rouvrir l’usine Grand Moulin du Ténéré, un vieux moulin, souligne-t-il, qui n’a qu’une capacité de production de 80 à 100 tonnes alors que le besoin journalier de la ville de Niamey s’élève à 300 tonnes de farine par jour. « Si on bloque la farine algérienne qui représente à 88% la consommation de Niamey et ses périphéries, même les femmes qui font les beignets devraient nous suivre dans notre grève car elles n’auront pas de la farine. Les petits revendeurs et détaillants de pain sont aussi concernés parce que nous sommes leurs fournisseurs. Notre problème c’est l’arrêté du ministre et, pourtant, on avait un bon partenariat avec lui », indique-t-il.
« Ces boulangeries demandent tout simplement qu’après l’enquête menée par le Ministère du Commerce et de l’industrie à travers l’Agence de Normalisation et de la Certification qu’on continue à les autoriser de tuer le peuple, parce que c’est de cela qu’il s’agit. Ils font la grève parce que pour eux ils ont la liberté d’empoisonner de manière lente les populations nigériennes », déclare le ministre Abdoulaye Seydou.

L’arrêté qui a été pris sera respecté de manière stricte, assure le ministre du Commerce et de l’Industrie. Aucune concession, martèle-t-il, par rapport à la protection des Nigériens n’est possible, pas même une grève de 48 heures. Si c’est par rapport à cet arrêté et les décisions prises pour protéger les populations, l’autorité n’entend pas faire marche arrière, lance-t-il. « Il n’y a aucune relation entre les conditions hygiéniques de protection des populations et l’augmentation du prix de production auquel ils font face par rapport à l’évolution du prix de la farine », dément le ministre Abdoulaye Seydou. En plus de l’enquête qui avait révélé au monde les conditions inacceptables de production de pain dans certaines boulangeries, le ministre évoque encore un autre élément lié à une fraude qui se faisait au niveau de la déclaration des camions de farine au niveau de la douane. « Avec la première enquête que nous avons menée. Nous avons appris que les gens viennent avec des marchandises sur la base d’une déclaration mensongère. Pour un chargement de 40 tonnes, ils déclarent 18 tonnes ou 20 tonnes et le dédouanement est fait sur la base d’une quantité inexacte. La douane a pris des mesures pour mettre fin à cette supercherie. Par rapport à cela, il y a lieu de faciliter l’approvisionnement du Niger en farine de blé, donc il faut créer les conditions d’une production locale. Dans ce sens, nous sommes en échange avec le Moulin du Sahel pour voir dans quelles conditions on va redémarrer l’usine et le processus est en cours », annonce le ministre Abdoulaye Seydou. Lors de la récente visite d’une délégation Russe à Niamey, rappelle-t-il, des échanges ont eu lieu sur une possible installation d’une usine de production de farine de blé étant donné que la Russie est un grand producteur en la matière.
Mais, concernant les manquements relevés au niveau des boulangeries, indique le ministre Abdoulaye Seydou, s’il n’y a pas eu des mesures de fermeture, c’était dans le souci de leur accorder un temps pour qu’elles puissent se mettre en règle. « Je pense que c’est peut-être cela qui leur a fait penser qu’ils peuvent nous faire du chantage. Toutes les boulangeries qui ne se sont pas exécutées par rapport aux instructions qui ont été données à la suite de l’enquête seront systématiquement fermées », prévient-il.
« Après avoir découvert tout ce qui a été dévoilé, on ne peut pas laisser les boulangers continuer à faire comme si de rien n’était. Cette époque est révolue, nous sommes maintenant dans la refondation et nous n’allons pas rester inactifs et les regarder assassiner la population. Je pense que c’est véritablement une insulte à l’endroit du peuple nigérien de pouvoir même imaginer et penser aller en grève pour un arrêté visant à améliorer les conditions dans lesquelles ils produisent le pain qui est devenu aujourd’hui un produit stratégique important de premier plan de la consommation des Nigériens », dit-il.

À la lumière de l’enquête qui a été faite et des conclusions, poursuit le ministre, « on constatera et on tirera la conclusion que beaucoup de maladies courantes auxquelles les nigériens font face sont manifestement liées à cette pratique, cette négligence et irresponsabilité de certains acteurs qui sont dans le processus de production du pain ».
Selon le ministre du Commerce et de l’Industrie, les boulangers n’ont nullement besoin de mesures d’accompagnement, car l’arrêté n’entraîne pas de nouvelles charges par rapport à la production. Ainsi, nulle raison pour ces derniers de rehausser le prix de la baguette. « C’est même impensable, au contraire, nous allons bien analyser pour voir s’il y a la nécessité de réduire le prix du pain parce qu’il n’est pas admissible qu’on constate un désordre et un déphasage autour du prix. En plus, ce n’est pas qu’on leur impose une catégorie de farine, mais on exclut des farines dont la qualité n’est pas bonne, qui sont toxiques et qui constituent à la limite du poison », nuance-t-il. Et cet arrêté, souligne le ministre en charge du Commerce et de l’Industrie rentre en vigueur dans un délai de trois mois pour qu’ils se conforment aux conditions fixées.
«Voyez-vous les commentaires des citoyens par rapport à ce mouvement de grève ? C’est vraiment osé. Les boulangers nous invitent à consommer tout ce qu’ils nous amènent », martèle M. Abdoulaye Seydou.
Pour Mamane Nouri, président de l’Association de Défense des Droits des Consommateurs (ADDC/ Wadata), la grève des boulangers est une marque d’insouciance et d’irresponsabilité de ces acteurs qui pensent que leurs activités ne doivent pas être contrôlées. « Tout le monde suit avec étonnement cette mauvaise foi de ces gens et cela atteste que l’état doit prendre des dispositions très rigoureuses. Dans tous les cas, ils seront les grands perdants. La tradition de consommation de pain, c’est maintenant qu’elle a pris de l’ampleur », note-t-il.
Par ailleurs, il incite l’État à mieux réglementer cette question de production de pain, car le citoyen ne peut plus continuer à consommer du n’importe quoi. « Soit les gens s’alignent, corrigent leurs erreurs, ou l’État ferme. À mon avis, pas de pitié en matière d’hygiène. Et nous interpellons le consommateur à être très prudent, même après la grève, d’être très regardant sur des aspects d’hygiène quand ils partent payer du pain. Il faut que les consommateurs eux-mêmes constatent le manquement et le disent à ces boulangers. On n’a pas l’obligation de consommer du pain », affirme-t-il.
Hamissou Yahaya (ONEP)