
M. Mahamane Bana
Les applications numériques sont aujourd’hui au centre du développement des nations. Leur appropriation, surtout par les pays du Sud, offre des opportunités fiables pour booster les économies et améliorer significativement les conditions de vie des populations aussi bien en ville que dans les zones rurales. Dans cet entretien, M. Mahamane Bana, ingénieur spécialiste des technologies de l’information, des solutions réseau Full stack developer et de l’Intelligence Artificielle, nous explique les avantages du numérique pour la société nigérienne. Titulaire d’un master ès Sciences en Génie Informatique délivré par l’université d’Etat du Wichita et d’un Master ès Administration des Affaires de l’université Florida Atlantic, aux Etats-Unis d’Amérique, cet expert polyvalent du secteur du numérique dévoile les solutions innovantes qu’il compte mettre à la disposition du Niger. Les projets annoncés par M. Mahamane Bana concernent des secteurs vitaux pour le pays comme la micro-finance et le transfert d’argent, l’agriculture, l’élevage, la santé et la prévention des conflits.
M. Mahamane Bana, le numérique prend de plus en plus de place dans le développement du monde. Pour un pays comme le Niger, quels sont les avantages pour développer ce secteur ?
Je suis convaincu que le numérique, c’est bien plus qu’une tendance, c’est une vraie réponse aux défis qu’on vit au Niger. Quand on parle de chômage, d’accès limité aux services, ou même d’inclusion financière… le digital peut vraiment changer la donne.
Par exemple, côté emploi, on n’a pas besoin de grosses infrastructures pour créer des opportunités. Avec des centres d’appels, du développement web, ou même de la saisie de données, on peut former des jeunes et les insérer directement dans l’économie.
Dans l’agriculture et l’élevage, imaginez un éleveur nomade qui peut suivre son bétail grâce à la géolocalisation, ou un agriculteur qui reçoit les prix du marché et les conseils agronomiques directement sur son téléphone. C’est du concret.
Et pour les commerçants ou les coopératives rurales, le mobile banking peut vraiment élargir l’accès aux services financiers. On parle de solutions simples, adaptées, qui peuvent transformer leur quotidien.
Même l’éducation peut aller plus loin grâce au numérique. Des plateformes en langues locales, des formations techniques accessibles même dans les zones reculées… ça ouvre des portes à ceux qui n’en avaient pas.
Côté santé, la télémédecine, la gestion des stocks de médicaments, le suivi des campagnes de vaccination — tout ça peut compenser le manque de personnel médical et sauver des vies.
Et puis il y a l’administration. Digitaliser les services publics, c’est gagner en efficacité, en transparence. Que ce soit pour l’état civil, la fiscalité ou les permis, on peut simplifier la vie des citoyens.
Enfin, pour nos ressources naturelles, on peut utiliser des capteurs, des cartes numériques pour surveiller l’environnement, anticiper les conflits fonciers… bref, mieux gérer nos richesses.
Sur la base d’une longue expérience pratique acquise aux Etats-Unis d’Amérique, vous proposez des solutions innovantes au Niger dans le cadre d’un retour au pays. Quels sont ces projets que vous mettez en avant pour servir le Niger, et au-delà la confédération AES ?
Vous savez, après mon passage aux États-Unis, j’ai ramené plus qu’un diplôme, j’ai ramené une vision. Une vision pour accélérer la transformation numérique du Sahel, avec des projets concrets, adaptés à nos réalités.
D’abord, j’imagine une super-application pour les producteurs agricoles. Un outil simple mais puissant : géolocalisation des marchés, paiement mobile, livraison d’intrants certifiés, et surtout un lien direct entre producteurs et consommateurs. Et bien sûr, tout ça fonctionne même en 2G/3G, avec des interfaces en langues locales.
Ensuite, je vois un Centre d’Excellence en Intelligence Artificielle à Niamey. Un vrai hub régional, où on forme les jeunes, on conseille les gouvernements et les entreprises, et on développe des solutions IA pour la sécurité alimentaire et le climat. Et on le fait en partenariat avec des universités américaines, pour rester à la pointe.
Côté santé, je propose un système de télémédecine transfrontalier pour l’espace AES. Téléconsultations, dossiers médicaux partagés, formations à distance, et même livraison de médicaments par drones. On s’inspire des modèles américains de santé rurale, mais on les adapte à notre terrain.
Pour les finances, je pense à une plateforme FinTech régionale. Un système numérique qui permet des transferts sans frais, de la microfinance basée sur les données mobiles, de l’épargne communautaire, et du crowdfunding pour les projets locaux. On s’appuie sur les meilleures pratiques des néobanques américaines, mais on les met au service de nos communautés.
Et pour anticiper les crises alimentaires, je propose une plateforme combinant IA et satellites. Elle permettrait de cartographier les besoins, d’optimiser l’aide, et de coordonner les stocks entre pays. C’est de la sécurité alimentaire prédictive, au service de la résilience régionale.
L’éducation aussi doit évoluer. Je vois une Académie Numérique du Sahel, avec des formations certifiantes, du soutien à l’entrepreneuriat local, de l’apprentissage des langues par IA, et des échanges virtuels avec les États-Unis. On forme, on connecte, on inspire. D’ailleurs l’enseignement technologique de base doit être inséré dans le programme scolaire depuis le primaire
Et pour garantir notre souveraineté numérique, il nous faut un Centre de Données régional. Un datacenter sécurisé, avec des services cloud, de la cybersécurité, et la sauvegarde des systèmes critiques. C’est stratégique.
Enfin, je rêve d’un incubateur Sahel-USA. Un vrai pont entrepreneurial : mentorat avec la diaspora, accès aux financements internationaux, échanges avec la Silicon Valley, et export des innovations africaines. On ne demande pas la permission, on crée notre place.
Avec le e-Foncier, peut-on dire que vous mettez le numérique au service de la prévention des conflits intercommunautaires ? Si oui, peut-on l’appliquer au foncier rural et à la gestion des aires de pâturage ?
Avec le E-Foncier, on a enfin une solution concrète pour anticiper et éviter les conflits fonciers au Niger et dans toute la région sahélienne. L’idée, c’est simple : un registre numérique, géolocalisé et transparent des droits de propriété. Ça permet d’éliminer les chevauchements de titres, de réduire la corruption, et de clarifier les limites — fini les litiges flous qui empoisonnent les relations entre communautés.
Dans les zones rurales, par exemple, on peut cartographier chaque parcelle, garder l’historique, et reconnaître les droits coutumiers. Et si quelqu’un essaie d’attribuer une terre déjà occupée, le système envoie une alerte automatique. On a même pensé à une plateforme de médiation numérique, qui mobilise les médiateurs traditionnels pour résoudre les tensions sans passer par des procédures longues.
Pour les pâturages, c’est pareil : on cartographie les couloirs de transhumance, on établit un calendrier d’utilisation, et grâce à des capteurs IoT, on peut mesurer la capacité de charge pour éviter le surpâturage. Les éleveurs peuvent aussi consulter une application mobile pour voir quelles zones sont disponibles et réserver les points d’eau.
Et quand il s’agit de prévenir les conflits entre agriculteurs et éleveurs, on propose des outils de négociation numérique pour les compensations, une assurance paramétrique basée sur les données satellites, et même des alertes précoces grâce à l’analyse prédictive et à la géolocalisation du bétail.
Mais pour que ça marche vraiment, il faut impliquer les autorités coutumières, former les agents de terrain, proposer des interfaces en langues locales, et surtout adopter une approche participative. C’est comme ça qu’on renforce la confiance au sein des communautés.
Le E-Foncier, en fait, c’est un changement de paradigme. On passe d’une gestion réactive à une approche préventive, transparente et inclusive. Et surtout, on lutte efficacement contre la fraude. C’est une vraie révolution dans la manière dont on pense et gère la terre.
Selon vous, quel rôle doit véritablement jouer l’Etat pour encourager le retour des Nigériens porteurs de projets modernes, surtout dans le secteur du numérique ?
Moi je pense que si on veut vraiment attirer les talents nigériens de la diaspora, il faut arrêter de penser en silos. Il faut une approche globale, multidimensionnelle, qui combine incitations, infrastructures, accompagnement et partenariats stratégiques. C’est comme ça qu’on crée un vrai appel d’air.
D’abord, il faut un cadre incitatif clair. Par exemple, un statut spécial — “Investisseur de la Diaspora Numérique” — avec des exonérations fiscales et douanières. Et pourquoi ne pas permettre la création d’une entreprise numérique en 48h, via un guichet unique ? On peut aussi proposer des terrains à prix symbolique dans des zones économiques dédiées au digital.
Ensuite, il faut investir dans les infrastructures. Je parle de fibre optique, de centres de données, d’incubateurs publics. Et dans ces zones, offrir du WiFi gratuit, des tarifs préférentiels pour l’électricité et l’internet. C’est le minimum pour créer un environnement propice à l’innovation.
Côté financement, on pourrait imaginer un fonds national — disons 50 milliards FCFA — avec des prêts bonifiés, des subventions, des garanties bancaires.
Votre mot de la fin ?
Le Niger se trouve à un carrefour historique. La révolution numérique mondiale offre une opportunité unique de transformer radicalement l’économie du pays sans passer par les étapes traditionnelles d’industrialisation lourde.
Nos compatriotes de la diaspora possèdent exactement l’expertise dont le pays a besoin aujourd’hui. Ils ont acquis dans les grandes métropoles mondiales une maîtrise technologique et entrepreneuriale qui peut être le catalyseur du décollage numérique du Niger. Mais leur retour ne se fera pas spontanément – il nécessite une vision stratégique claire et des mesures incitatives audacieuses. Le numérique peut résoudre nos défis les plus pressants : améliorer la productivité agricole pour nourrir notre population croissante, démocratiser l’accès aux services financiers et de santé, créer des emplois qualifiés pour notre jeunesse dynamique, et prévenir les conflits par une gestion transparente des ressources.
L’Alliance des États du Sahel nous donne un marché de 80 millions d’habitants – une échelle suffisante pour attirer les investissements et développer des solutions viables. Nous avons l’opportunité de devenir le hub numérique de l’Afrique de l’Ouest, mais cette fenêtre ne restera pas ouverte indéfiniment.
Le moment est venu d’agir avec détermination. Nos ressources minières nous donnent les moyens de financer cette transformation. Notre jeunesse nous donne l’énergie. Notre diaspora nous apporte l’expertise. Il ne manque que la volonté politique de créer l’environnement qui permettra à cette alchimie de réussir.
Le Niger de demain sera numérique ou ne sera pas compétitif. Faisons le choix de l’audace
Propos recueillis par Souleymane Yahaya (ONEP)