
Dans un pays où les femmes peinent à s’affirmer dans des secteurs stratégiques et le leadership, quelques-unes font exception avec des parcours qui forcent l’admiration et inspirent plus d’une. Entre résilience, professionnalisme, persévérance et don de soi, Mmes Salamatou Ousmane Issoufou, Rabiatou Arzika, Moustapha Kadri Mariatou et Marie Sama partagent leurs expériences et les leçons tirées de leurs engagements.
Mme Salamatou Ousmane Issoufou, l’entrepreneure qui œuvre pour la modernisation du secteur de la formation professionnelle
Après avoir obtenu son baccalauréat au Niger, Mme Salamatou Ousmane Issoufou part au Maroc pour entamer ses études supérieures, puis au Canada en 2004 où elle obtient son deuxième diplôme universitaire, après celui de Technicien spécialisé en Maintenance et Réseaux Informatiques. Elle accumule, ensuite, des stages et occupe divers postes dans des structures gouvernementales locales. Ce parcours lui a permis d’acquérir une expertise qu’elle a choisi de mettre au service de son pays à son retour.
De retour au Niger en 2019, elle crée aussitôt Innovatech Solution, un cabinet qui œuvre dans le renforcement des capacités dans le secteur de la formation professionnelle continue, du coaching, des cours d’anglais et également tout accompagnement offert aux entreprises pour leur modernisation. Ensuite, cette entreprise Innovatech Solution a évolué et l’a amenée à créer deux autres filiales,à savoir Innovatech English Center pour renforcer la place de la langue anglaise dans les milieux professionnels nigériens. Pour elle, l’anglais est une compétence stratégique dans presque tous les secteurs. Niger Connect Canada est une entreprise qui facilite les démarches d’obtention de « visa étudiant », de « visa d’affaires », et de résidence permanente pour le Canada. Cette initiative est née d’un besoin exprimé par de nombreux jeunes et professionnels nigériens. Niger Connect Canada travaille en partenariat avec une consultante réglementée en immigration canadienne, garantissant ainsi la fiabilité et la conformité des démarches proposées.
« Au Niger, la formation professionnelle n’est pas si valorisée, très souvent, quand on part vers le client, surtout les entreprises, aussitôt elles cassent le prix, ne voient pas la qualité de la formation, la valeur ajoutée que cela peut apporter aux employés, mais plutôt le coût. Aussi, pour la plupart, les personnes passent par le copinage ou réseautage au détriment de l’expertise. Tout cela doit changer. En fait, il faut que les entreprises fassent confiance aux cabinets d’experts de formation, surtout dirigés par ceux qui ont étudié, évolué à l’étranger parce qu’on apporte tout un savoir qu’on veut partager avec nos frères et sœurs », souligne la PDG d’Innovatech Solution. Il faudrait également une politique nationale pour amener les entreprises à investir dans la formation professionnelle continue de leurs employés et choisir des thématiques de formation plus innovantes.
Ce qui distingue Salamatou, c’est sa capacité à innover même en l’absence d’un besoin exprimé. Pour elle, l’innovation ne consiste pas seulement à répondre à la demande, mais aussi à anticiper les changements. Elle prend le temps de mesurer la satisfaction des clients après chaque formation et propose des formations annuelles adaptées aux évolutions des secteurs concernés.
Son ambition est aussi de rayonner dans le sport et de contribuer à la promotion de l’art. Ce qui l’a poussée à créer en 2024 l’ONG les Fleurons du Niger, une structure dédiée à la promotion des jeunes talents dans les domaines du sport, de l’artisanat et de l’art. Malgré les défis rencontrés, Mme Salamatou n’a pas abandonné. Sa persévérance et son engagement font qu’elle tient encore aujourd’hui. Son objectif est de valoriser les artistes et les artisans locaux, tout en leur ouvrant des perspectives internationales, notamment en les aidants à exposer et vendre leurs œuvres au Canada, mais aussi à nouer des partenariats stratégiques à l’étranger.
L’intérêt qu’elle porte à la pratique sportive à la base lui a valu la confiance des acteurs des sports qui l’ont portée à la tête de la Fédération Nigérienne du Sport Scolaire (FENISSCO) le 30 août 2025.
Mme Rabiatou Arzika, à l’avant-garde de l’artisanat et de la valorisation des produits locaux
Le parcours de Mme Rabiatou Arzika est très lié à la valorisation de l’artisanat et des produits locaux. Elle a eu la chance de collaborer avec la Coopération Luxembourgeoise et de participer au Programme de développement de l’artisanat au Niger, ce qui lui a permis de représenter le Niger dans de nombreux Salons internationaux en Europe, aux États-Unis et à travers l’Afrique.
Grâce à la Chambre de Commerce du Niger, Mme Rabiatou Arzika a bénéficié d’une bourse de la coopération norvégienne pour un programme de formation en alternance de trois ans, qui a renforcé son expertise en management des exportations de produits culturels, ainsi qu’en design et assemblage de bijoux de fantaisie. Ces expériences lui ont permis de côtoyer de grandes marques en Europe et en Inde, et d’accompagner les artisans nigériens sur les marchés internationaux et tendances. « C’est cette expérience, combinée à une vision claire de l’opportunité économique de l’artisanat, qui m’a conduite à créer mon usine de transformation, afin de transformer le potentiel local en valeur ajoutée et en emplois pour les femmes et les jeunes », confie Mme Rabiatou Arzika.
Dans cette dynamique, elle a eu l’honneur d’initier le Salon de l’Artisanat pour la Femme (SAFEM), aujourd’hui devenu une institution grâce à l’engagement et à l’abnégation des femmes qui l’ont porté après son départ. « Voyant la nécessité de concrétiser les opportunités offertes aux femmes et aux jeunes, j’ai fondé en novembre 2017 Nayaba Industries, issue du succès du Salon Professionnel Made in Niger, avec le soutien du président et du secrétaire général de la Chambre de Commerce et d’Industrie, ainsi que de plusieurs partenaires engagés. Cette entreprise reflète ma volonté de transformer le potentiel local en valeur ajoutée et en emplois durables », a-t-elle fait savoir.
Comme toutes les autres femmes leaders nigériennes, Mme Rabiatou Arzika a fait face aux multiples défis en tant que femme dirigeante notamment : l’accès au financement, la reconnaissance de la légitimité d’une femme à diriger dans des secteurs stratégiques, et la conciliation des responsabilités professionnelles et personnelles. Ces obstacles ont pourtant été des occasions d’apprentissage et de renforcement. Son expérience internationale, ainsi que son rôle de conseillère auprès du Premier ministre, du Président de la République et d’un chef d’État, lui ont permis de transformer ces défis en véritables leviers. Ils ont nourri sa détermination à soutenir la création d’emplois et à accompagner les femmes et les jeunes dans leur développement économique.
« Mon ambition est que chaque femme puisse transformer ses idées en projets concrets, créer de la valeur, générer des emplois et contribuer activement à la prospérité nationale. C’est dans cet esprit que je continue à promouvoir des initiatives comme le Salon Professionnel 100% Made in Niger et la Campagne « Consommons Nigérien », afin d’offrir aux femmes et aux jeunes la visibilité, les ressources et les opportunités nécessaires pour faire de l’industrie de transformation des secteurs stratégiques et durables », dit-Mme Rabiatou Arzika.
Elle était à l’origine du premier Sommet des Femmes Africaines Transformatrices, tenue à Niamey en Novembre 2023 qui a réuni des participantes issues de 24 pays d’Afrique, et a permis d’asseoir une véritable reconnaissance du rôle des femmes dans la transformation économique du continent. « L’une des grandes avancées de ce sommet a été la création de l’Organisation Patronale des Femmes Africaines Transformatrices AWIP-Niger, dont le siège est au Niger. Cette structure constitue aujourd’hui une plateforme panafricaine de coordination, de plaidoyer et de valorisation des initiatives des femmes entrepreneures. Dans chaque pays, des représentations nationales ont été mises en place pour assurer la continuité et ancrer cette dynamique sur le terrain », confie-t-elle.
AWIP est désormais une initiative panafricaine soutenue par les partenaires techniques et financiers nationaux et internationaux. Elle représente une force collective et un socle pour bâtir un mouvement continental capable d’influencer les politiques publiques, de développer des chaînes de valeur régionales et de positionner les femmes comme actrices incontournables de l’industrialisation africaine. « La leçon principale que je retiens est que lorsqu’elles se mettent en réseau, les femmes deviennent une puissance de propositions et d’actions collectives».
La transformation agroalimentaire est un secteur vital pour l’économie nigérienne, elle contribue à la sécurité alimentaire, la réduction des importations et la création d’emplois massifs. Cependant, déplore Mme Rabiatou Arzika, elle reste encore largement sous-valorisée, en particulier parce que le travail des femmes qui y sont majoritaires n’est pas suffisamment reconnu ni soutenu.
Pour changer cette réalité et renforcer l’autonomie économique des femmes, elle propose un certain nombre des mesures nécessaires : mise en place d’un cadre réglementaire qui valorise les produits locaux et favorise leur intégration dans les marchés nationaux et régionaux ; développement des fonds spécifiques et des mécanismes de garantie pour permettre aux femmes transformatrices d’investir et de se moderniser ; implantation des unités modernes de proximité, réduire les pertes post-récoltes et améliorer la qualité des produits ; offrir des formations techniques, managériales et digitales pour permettre aux femmes d’innover et de répondre aux normes de qualité internationales ; encourager les campagnes de promotion et les événements économiques comme le Salon Professionnel 100% Made in Niger et la Campagne « Consommons Nigérien », afin de mettre en avant le rôle stratégique des femmes transformatrices dans la croissance nationale. En combinant ces leviers, la transformation agroalimentaire peut devenir un secteur stratégique et compétitif, porté par l’innovation féminine et générateur de richesses durables pour l’Afrique.
Mme Moustapha Kadri Mariatou, du volant à la transformation agro-alimentaire
Monitrice auxiliaire de 1975 à 1982, Mme Moustapha Kadri Mariatou a quitté l’enseignement pour l’aviation civile, elle y a servi comme secrétaire auxiliaire avant de se retrouver dans le domaine du transport automobile. Avec un permis de conduire, d’abord « poids léger », ensuite « poids lourd », elle a aussi exercé comme monitrice où elle a formé beaucoup d’élèves tant pour le code que pour la conduite. Elle s’est rendue à la SNTN où elle a été embauchée comme chauffeure. C’est ainsi qu’elle a reçu une formation de quelques jours avec les anciens chauffeurs et a continué à conduire le bus. Mme Moustapha Kadri Mariatou a été d’ailleurs la première à inaugurer le bus ISUZU. Après les quatre ans passés à la SNTN, elle s’est retrouvée à UNICEF où elle a conduit pendant 11 ans. Après 16 ans de carrière de chauffeure, elle a décidé de se lancer dans l’entrepreneuriat notamment la transformation agro-alimentaire.
Depuis 2007, Mme Mariatou, avec le soutien de son mari, un des grands producteurs de l’oignon, s’est lancé dans la transformation agro-alimentaire avec comme produit phare l’oignon. Elle avait un groupe de foyandi qu’elles (avec d’autres femmes) ont transformé par la suite en un groupement féminin qui transforme uniquement l’oignon en poudre, biscuit, chocolat, semoule, confiture d’oignon. « Les gens ont apprécié et le produit a dépassé les frontières et, jusqu’à présent, je suis dans le fruit de ce que mon défunt mari m’a vraiment appris », dit-elle. Le succès de cette activité a généré la création de l’entreprise Safi Niger oignon et Fils dont elle était la gérante.
Après, elle a décidé d’ouvrir sa propre entreprise qui est l’entreprise Transco Niger Mariatou et Fils pour la transformation de l’oignon, les céréales, les épices et plein des choses. Dans sa boutique, on trouve des produits des femmes nigériennes et ceux des femmes de la sous-région. Elle est la présidente de la fédération Gnalanta qui regroupe les unions des femmes de Maradi, Tillabéri, Tahoua et Niamey. Ces activités de transformation agro-alimentaire génèrent des revenus aux femmes pour subvenir aux besoins de leurs familles. « J’ai 7 femmes transformatrices qui travaillent de façon permanente et d’autres non permanente ». Cependant, Mme Moustapha Kadri Mariatou déplore le manque de matériel adéquat. Ces femmes travaillent de manière artisanale, ce qui n’est pas du tout facile surtout connaissant l’oignon. « Aujourd’hui, je suis plus qu’un fonctionnaire, car le fonctionnaire attend la fin du mois et moi je suis tout le temps sollicitée et je fais de mon mieux pour répondre à cette sollicitation », se réjouit Mme Moutapha Kadri Mariatou.
Elle marque d’une empreinte indélébile son apport et un leadership modeste dans la filière oignon. En effet, outre ses activités quotidiennes, Mme Moutapha Kadri Mariatou est promotrice de la Journée de l’Oignon, une foire nationale qui sera cette année à sa 5è édition du 25 au 27 octobre 2025, au niveau du 5è arrondissement communal de Niamey. Selon la promotrice de l’évènement, une séance de salubrité est prévue sur le site (l’enceinte de la marie du 5è arrondissement communal) qui abritera 3 jours durant une exposition de produits agroalimentaires du terroir.
Mme Marie Sama, une femme qui rassemble et motive
Marie Sama est la présidente du Club Rotary Niamey Sahel pour le mandat 2025-2026. Elle est également membre fondatrice dudit club, le 7è sur les neuf clubs existants au Niger, créé en 2022. Avant d’occuper ce poste de présidente, Mme Marie a assumé plusieurs responsabilités, notamment en tant que présidente de commission et secrétaire du club. La confiance en soi, le niveau de son engagement et son esprit de management ont inspiré ses amis du club à lui faire confiance pour diriger l’équipe. « J’ai eu besoin, au-delà de cette confiance, de démontrer mes capacités intellectuelles, associatives et d’écoute, car le leadership fait appel à tout cela. Il faut savoir rassembler les équipes », estime-t-elle.
Depuis sa création, le club compte un effectif important de femmes, qui représentent aujourd’hui 50 % de ses membres. « En plus du fait que Rotary met l’accent sur la diversité, nous, les femmes, avons la possibilité d’atteindre les niveaux de responsabilité que nous souhaitons. Il est donc de notre devoir de nous affirmer en montrant ce dont nous sommes capables pour le bien du club et de nos communautés », souligne Marie Sama. Le club qu’elle dirige œuvre au renforcement de la cohésion entre ses membres, en les rassemblant et en les motivant pour atteindre un objectif commun. Il prévoit aussi de mener des actions conjointes avec les autres clubs à travers le comité interclubs, qui réunit les neuf clubs du Niger, afin d’avoir plus d’impact. Cette année, les actions prévues s’inscrivent dans les axes prioritaires du Rotary, notamment la protection de l’environnement et la lutte contre les maladies à travers le don de sang. « Nous avons également prévu, en synergie, de mener des actions en faveur des orphelins, notamment des dons pour un centre d’orphelinat que nous avons identifié. Une action phare de notre club concerne le centre des femmes fistuleuses : chaque année, le club Sahel organise un don de divers produits pour ces femmes, et cette année encore, nous ne dérogerons pas à cette pratique », a-t-elle fait savoir.
La présidente du club Rotary Niamey Sahel ne cache pas les difficultés auxquelles elle fait face dans son parcours managérial. « C’est du bénévolat que nous sommes en train de faire. C’est le don de soi et il y a beaucoup de sollicitations, donc, pour cela, il faut avoir beaucoup de temps à donner et c’est juste ça la difficulté parce que déjà nous sommes des professionnels avec un calendrier bien chargé par rapport à notre confession et maintenant il faut trouver un temps que nous allons dédier à nos activités rotariennes, donc c’est de cela qu’il s’agit », explique-t-elle. Avec toutes ses prédispositions naturelles, la femme est déjà associative, elle rassemble, elle a cet amour de donner, disposée à aider chez elle, dans son environnement dans sa communauté, soutient Marie Sama. « La vie associative m’a toujours inspirée, déjà très jeune, j’ai été dans des activités associatives. Aujourd’hui, avec le Rotary, je ne fais que m’affirmer davantage. J’ai cet amour de rendre service, cette envie de don de soi, d’aider mon prochain. La seule difficulté, comme je l’ai dit, c’est vraiment la gestion de temps. Il faut trouver un créneau pour mener les activités rotariennes », dit-elle.
Aïchatou H. Wakasso (ONEP)