
Une vue du Centre d’accueil des enfants en difficulté familiale, sis au quartier Francophonie de Niamey
Il est encore dans nos sociétés, des mères qui, aussitôt après avoir mis au monde un enfant, l’abandonnent sans vergogne, de manière volontaire et clandestine, au niveau de certains endroits désagréables comme les ruelles insalubres, les égouts, les dépotoirs, les caniveaux et bien d’autres. Des faits odieux récemment rapportés et relayés, notamment à travers les réseaux sociaux, révèlent la persistance de ce comportement criminel d’un autre âge qui interpelle la conscience collective sur la dépravation des mœurs et le recul des valeurs d’humanisme.
En début d’année 2025, une scène, des plus ignobles, a plongé dans l’émoi des habitants de la périphérie du quartier Koubia, lorsque des femmes faisant la corvée d’eau ont puisé dans un puits le corps sans vie d’un nouveau-né. Les témoins, qui décrivent les faits comme une surprise horrible, ont fait appel à la police qui a aussitôt bouclé les lieux et procédé à des constats et prélèvements pour des fins d’enquête.
Toujours dans le même ordre d’idées, un homme préférant garder l’anonymat a raconté une histoire horrible qui s’était produite dans son quartier, Boukoki. Une fille a accouché d’un bébé et l’a jeté dans une fosse septique de leur concession. Constatant lesdits faits, les voisins ont immédiatement alerté la police qui a retrouvé le corps sans vie du bébé dans la fosse septique. Selon les dernières informations, la femme auteur de cet acte ignoble, a été arrêtée.
En avril dernier, à Niamey toujours, l’image relayée sur les réseaux sociaux d’un nouveau-né retrouvé abandonné dans des égouts, sous la chaleur suffocante, a irrité l’opinion. Heureusement, l’enfant à peine couvert d’un linge de fortune a été retrouvé en vie.
Décidément, des enfants continuent à être abandonnés. Ces bébés abandonnés lorsqu’ils sont retrouvés en vie, sont placés dans des centres d’accueil comme les orphelinats. D’autres sont malheureusement découverts sans vie. Cette pratique constitue une entrave à la vie, au développement et à la survie des enfants.
Un crime pourtant sévèrement puni par la loi
Selon l’article 253 du Code pénal : «ceux qui auront exposé ou fait exposer, délaissé ou fait délaisser, en un lieu quelconque, un enfant ou un incapable hors d’état de se protéger lui-même en raison de son état physique ou mental seront, de ce seul fait, condamnés à un emprisonnement de trois mois à trois ans et à une amende de 20.000 à 200.000 francs FCFA. S’il résulte de l’exposition ou du délaissement, une maladie ou une incapacité non permanente, la peine d’emprisonnement sera de six mois à cinq ans. Si l’enfant ou l’incapable est demeuré mutilé ou estropié, ou s’il est resté atteint d’une incapacité permanente, la peine d’emprisonnement sera de deux à moins de dix ans. Lorsque l’exposition ou le délaissement aura occasionné la mort, la peine sera celle de l’emprisonnement de dix à trente ans». Malgré l’existence de cette loi, à Niamey, comme dans d’autres régions, le phénomène d’abandon des enfants persiste.
Les facteurs sociaux
Selon le sociologue-communicateur, M. Alou Ayé Issa le phénomène d’abandon de bébé par leurs mamans est la preuve la plus tangible de la dépravation et du recul des valeurs qui fondent une société notamment la valeur de l’humanisme. « Sinon, comment pouvons-nous comprendre qu’une maman, qui porte son enfant pendant neuf mois ose, l’abandonner le jour de la naissance sur un déchet ou ordure ? C’est tout simplement inconcevable qu’une personne dotée d’une certaine faculté, d’une certaine lucidité puisse agir à ce point de vouloir se débarrasser, pour une raison ou pour une autre, d’un être aussi innocent qu’un bébé ou un nourrisson qui vient de voir le jour », se demande-t-il.

Pour cet expert, les raisons qui peuvent pousser ces dames, ces filles à abandonner leur enfant sont entre autres le rejet systématique de la communauté de l’avènement d’un enfant qui ne soit pas issu de la voie légale, légitime, admise et acceptée par la société qui est celle du mariage. « Concevoir un enfant hors du cycle du mariage, hors de la cellule familiale est aussi une abomination qui n’est pas permise par la société, donc le regard de la société devient accusateur en ce moment-là pour la femme », a-t-il relevé.
La deuxième raison est, selon le sociologue, due à la pauvreté, car la plupart de ces filles qui commettent cet acte n’ont pas les moyens de pouvoir répondre aux besoins de l’enfant. « Vous savez très bien que dans nos sociétés, la prise en charge d’un enfant est dévolue à l’homme. C’est le papa de l’enfant qui est chargé de le faire, mais lorsque le papa est absent ou n’a pas été situé, et que la maman qui n’a pas un travail décent, de revenu et ni une famille prête à la soutenir, à la comprendre cela pousse, le plus souvent, ces filles à se débarrasser de leurs enfants », a-t-il affirmé.
La troisième raison, explique M. Alou Ayé Issa, c’est que beaucoup de ces jeunes filles, lorsqu’elles arrivent à avoir un enfant et qu’elles acceptent de dévoiler cet enfant, elles deviennent la risée de la communauté. Et ce phénomène peut compromettre toute chance pour elle d’avoir un mariage. « C’est ce qui fait que ces femmes trouvent que l’avènement d’un enfant sera un élément perturbateur, déstabilisateur du cours de leur vie, du coup elles préférèrent s’en débarrasser que d’affronter cette situation dans laquelle elles ne peuvent plus assurer leur propre subsistance à plus forte raison celle de l’enfant qui est déjà une charge de trop », a-t-il souligné.
Le sociologue Alou Ayé estime également qu’un enfant ne doit pas être rejeté, c’est un trésor qu’on doit chérir, protéger et essayer de socialiser pour que demain il puisse être un élément qui aura un statut dans la société, dans la communauté afin de pouvoir jouer son rôle ou sa partition. Il n’est pas du tout normal pour une mère de rejeter son enfant parce que Dieu seul sait quel sera le devenir de cet enfant. « Le conseil que nous pouvons donner pour toutes les femmes qui rejettent l’enfant est de comprendre que celui-ci est innocent. Il est la conséquence de leur inconséquence et il n’a pas choisi de venir par cette voie. Il n’a pas la possibilité de choisir qui est son père, qui sera sa mère, et encore moins par quelle voie il viendra au monde. Si vous l’avez conçu en toute responsabilité ainsi, il faut vous assumer », a-t-il conseillé.
Impacts psychologiques sur l’enfant
Pour le psychologue M. Amadou Djibo, un enfant abandonné peut avoir un problème d’estime de soi. C’est-à-dire, le sentiment de ne pas être important ou d’être indigne d’amour. À long terme, cette vision de soi peut freiner son épanouissement personnel et sa capacité à se sentir bien avec lui-même et avec les autres. « L’enfant peut également développer des comportements extrêmes, comme des excès de colère intenses, une anxiété marquée ou une tristesse persistante, parce qu’il n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi il a été abandonné, quel a été le problème ? », a-t-il déclaré. M. Amadou Djibo a ajouté que l’enfant peut grandir avec la peur ou la crainte que le reste des personnes notamment son nouvel entourage, peut l’abandonner un jour. « C’est pourquoi, Il anticipe les événements, et il est toujours dans un état d’angoisse et de colère. Il aura du mal pendant l’âge adulte à nouer des relations solides. Il reste souvent dans une dépendance affective », a estimé le psychologue, soulignant le problème de stress généré par un manque de sécurité affective dû à l’abandon, et ou de concentration qui affecte ainsi ces performances scolaires. « Par exemple, pour un enfant qui manque de confiance en lui, il peut hésiter à poser des questions ou à exprimer ses idées freinant ses apprentissages et son épanouissement intellectuel », indique-t-il.

« Celui qui abandonne un enfant sera puni sévèrement par Allah », Oustaz Ahoumadou Moustapha
Selon le prédicateur Ahoumadou Moustapha, l’abandon des bébés est devenu un phénomène courant. « Il faut savoir que poser un tel acte, c’est comme si c’est tenir tête à Allah qui t’a donné cet enfant parce que c’est Allah qui donne un enfant. On ne l’achète pas, on ne le cherche pas », a-t-il expliqué.
Toutefois, Oustaz Ahoumadou Moustapha ajoute que l’enfant est un dépôt. « Allah ordonne de restituer les dépôts aux ayants droit. Si Allah te gratifie d’un enfant, c’est un devoir de le prendre en charge en respectant ses droits. Celui qui l’abandonne sera puni sévèrement », précise-t-il. Pire, poursuit notre interlocuteur, cette mère aura la colère divine dans ce monde et dans l’au-delà. «Allah a rendu sacrée la vie de l’homme. En Islam, celui qui ôte une seule âme, c’est comme s’il a ôté la vie à tous les hommes qui se trouvent sur la terre », a-t-il déclaré.
Prise en charge des enfants abandonnés
Afin d’offrir un meilleur cadre de vie aux enfants abandonnés, l’état a créé le 19 octobre 1979 un centre d’accueil conséquemment aux premiers cas d’abandon enregistrés dans la ville de Niamey. Ce centre situé actuellement au sein du quartier Francophonie, a été restructuré par arrêté du 5 novembre 1993 dans son organisation, ses attributions et son fonctionnement sous le vocable du Centre d’accueil des enfants en difficulté familiale. Il a pour mission principale d’accueillir les enfants en difficulté familiale, de procéder à leur placement familial, institutionnel et de procéder à leur adoption soit simple ou plénière.

Selon les explications de Mme Illa Rakia Hamadou, docteur en soins infirmiers également directrice du Centre d’accueil des enfants en difficulté familiale, cette structure accueille des enfants abandonnés, des enfants issus de mères malades mentales et errantes, des cas égarés, des enfants en danger physique ou moral et des orphelins dont l’âge est compris entre 0 et 6 ans. « De sa création à aujourd’hui, ce centre a admis en son sein 745 enfants issus de toutes les régions. Actuellement, ce centre a 23 enfants dont l’âge varie de 3 mois à 4 ans qui sont repartis comme suit : 13 filles et 10 garçons. Parmi ces enfants, il y a des orphelins, des enfants abandonnés et ceux issus des mères malades mentales errantes, », a-t-elle souligné.
Pour Mme Illa Rakia, le placement d’enfant abandonné au niveau de ce centre se fait toujours par la brigade des mineurs. Par exemple, quand une personne retrouve un enfant abandonné, l’annonce de cet enfant se fait au niveau de la brigade des mineurs, et c’est ce service qui prend l’enfant et procéde ensuite à la recherche des parents de l’enfant. Si elle ne retrouve pas les parents, elle place l’enfant au centre d’accueil. Mais, avant de procéder à son placement au centre, l’enfant est d’abord mis en observation médicale à la maternité. Et c’est sur ordonnance du juge des mineurs qu’on l’amène au niveau du centre. Quant aux enfants qui viennent d’autres régions, c’est le service de protection qui se charge des formalités avec les travailleurs sociaux pour placer les enfants au centre. Toutefois, selon elle, ce centre d’accueil n’a pas pour vocation de garder les enfants de façon durable. « Après les 6 ans, si l’enfant n’a pas été réclamé par les parents ou bien s’il n’a pas été adopté, on fait un placement institutionnel au niveau du village SOS pour non seulement leur permettre d’aller à l’école mais aussi les sécuriser », précise-t-elle.

Aussi, a poursuivi Mme Illa Rakia, après le placement, la prise en charge est assurée par une équipe pluridisciplinaire composée de 27 agents dont trois cadres notamment des infirmières, des nourrices et des bénévoles. « Nous recevons l’appui aussi du ministère de l’intérieur et celui de la santé qui mettent toujours à notre disposition des agents pour le suivi sanitaire des enfants dont des agents de sécurité, des pédiatres, des psychologues, des nutritionnistes », a-t-elle relevé. La directrice du Centre d’accueil des enfants en difficulté familiale a loué les efforts déployés par l’Etat dans la prise en charge de ces enfants. « Depuis 2022, le centre d’accueil n’a jamais connu de rupture, que cela soit du côté alimentaire, hygiénique, les produits d’entretien dans ce centre. Dieu merci, les enfants se portent bien et ils reçoivent une bonne prise en charge », a-t-elle confié.
Yacine Hassane (ONEP)