« Monsieur le Président,
Excellences Mesdames et Messieurs, Chefs d’Etat, Chefs de Gouvernements et Chefs de délégations,
Monsieur le Président de la Commission,
Mesdames et Messieurs les chefs des comités exécutifs des communautés économiques régionales,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais remercier le Président João Lourenço pour l’initiative qu’il a prise de nous réunir autour de ces deux grandes questions de l’actualité politique de notre continent que sont le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement.
La région du Sahel à laquelle appartient mon pays, le Niger, est particulièrement affectée par ces deux phénomènes et les coups d’Etat militaires survenus au Mali et au Burkina Faso ont été présentés par leurs auteurs comme les moyens auxquels ils ont été contraints de recourir pour mettre notamment fin à la détresse des populations victimes des affres du terrorisme. C’est dire par conséquent si ces deux questions sont intimement liées dans cet espace où les différents pays partagent un même niveau de fragilité dû à la prévalence d’une grande pauvreté entretenue, entre autres facteurs, par des chocs climatiques récurrents et une démographie débridée.
L’intérêt de notre débat d’aujourd’hui réside dans le fait que dans certaines régions de notre continent le terrorisme est un phénomène en expansion et que les institutions sur lesquels reposent nos États sont plutôt fragiles dans bien de nos pays. En effet, si les constitutions en vigueur affirment de façon unanime leur attachement aux principes de la démocratie et de l’Etat de droit, force est de reconnaître qu’entre la gouvernance telle qu’elle est proclamée et telle qu’elle est à l’œuvre, il n’est pas rare de constater un décalage de nature à exposer à des risques de déstabilisation.
Monsieur le Président, mesdames et Messieurs,
Ma contribution à notre débat d’aujourd’hui portera sur la situation propre à l’Afrique de l’ouest où plusieurs pays sont victimes du terrorisme et où d’autres en voient pointer la menace à plus ou moins longue échéance. Sur le terrorisme sahélien deux choses méritent d’être sues:
Premièrement. Il n’est pas porteur d’un projet politique et comme tel n’a pas vocation à mettre en œuvre un projet de société basé sur des règles d’une forme quelconque d’administration de territoire.
Et deuxièmement, sa rhétorique islamiste ne saurait cacher l’absence de réelle motivation religieuse des jeunes qui s’enrôlent dans ses rangs, leur engagement ayant plus à voir avec les effets du dérèglement climatique et la remise en cause de leur cadre de vie traditionnel.
Ces deux caractéristiques qui n’en font rigoureusement qu’une seule attestent que ce terrorisme-là est extrêmement dangereux dans l’immédiat car il peut déstabiliser rapidement les États et commettre de grands dégâts, même s’il n’a aucune capacité de représenter quelque alternative que ce soit à moyen et long termes.
La plus grande tare du terrorisme sahélien c’est qu’il ne recrute qu’au sein de communautés bien déterminées, y compris dans les espaces où il prospère le plus. Cela est vrai pour Boko Haram dans le bassin du lac Tchad qui ne recrute qu’au sein de la communauté Kanouri (et les communautés assimilées) tout autant que cela se vérifie pour les organisations terroristes qui opèrent dans la zone des trois frontières du Mali-Burkina-Niger, où le gros des troupes provient de la communauté Peul. Toutefois dans ce dernier cas, il y’a lieu de relever que bien que les soldats soient en très grande majorité des Peuls, la direction de l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS) est composée exclusivement d’Arabes maliens et Maghrébins. L’autre grand groupe, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GNIM) affilié à ALQAIDA au Maghreb Islamique est quant à lui dirigé par des Touareg, des Arabes et des Peuls, ces derniers assurant le gros des troupes des soldats.
Cette malformation pour ainsi dire, en vertu de laquelle les organisations terroristes sont perçues comme relevant exclusivement de communautés ethniques bien déterminées et assimilées à elles, les prive d’un large soutien populaire indifférencié et leur commande d’imposer leur autorité par la violence et la crainte. Au surplus pour exister, les groupes terroristes, quand ils ne volent pas le cheptel des populations riveraines, imposent à celles-ci des taxes appelées Zakat présentées comme une dîme à caractère religieux alors même qu’il s’agit d’une vulgaire extorsion particulièrement douloureuse pour les populations. Ils vivent aussi des rançons qu’ils font payer aux populations à l’occasion des rapts qu’ils opèrent ainsi que d’autres activités criminelles telles que le trafic de drogue.
Ce que nous venons de dire indique clairement que le terrorisme sahélien est entaché de tares congénitales qui le privent de toute capacité de devenir un mouvement politique viable à même de mettre en place des structures administratives susceptibles de fonder et gérer un État. C’est pourquoi au cours de ses presque dix années d’existence, malgré ses succès militaires réels, il n’a pas été en mesure d’attirer à lui un tant soit peu de cadres. Seuls y adhèrent des jeunes cultivateurs ruraux et des bergers mus par des motifs alimentaires. Ce déficit d’intelligence structurel est le talon d’Achille du terrorisme sahélien qui se voit ainsi réduit à l’aspect strictement militaire de son action, sans réels vision et projet politiques. Si ce terrorisme ne peut rien construire, même dans le cadre de son funeste projet, il peut néanmoins provoquer de grandes destructions sur les sociétés où il sévit.
Mesdames et Messieurs,
La violence exercée sur les populations par les groupes armés terroristes ainsi que les conflits intercommunautaires meurtriers qui ont par endroits résulté de leur action provoquent le déplacement de populations très nombreuses induisant une détresse humanitaire à grande échelle. Cela a un contrecoup considérable sur l’économie des zones affectées où les services sociaux de base ne fonctionnent plus tout autant que sont totalement perturbées les activités à caractère économique.
Mais les effets du terrorisme ont un potentiel d’impact encore plus fort dans la déstabilisation des institutions étatiques. Les changements anticonstitutionnels survenus au Mali en août 2020 et au Burkina Faso en janvier 2022 sont une conséquence des victoires remportées par les terroristes sur les armées de ces deux pays. Pour légitimer leur action les auteurs des coups d’Etat ont invoqué le désarroi des populations face à cette agression terroriste brutale et la désolation qu’elle a provoquée. Dans leur narratif justifiant leur intervention les militaires ont promis une victoire rapide sur le terrorisme d’une part et la promotion d’une gouvernance frappée au coin de la vertu d’autre part.
Dans les deux pays la situation sécuritaire s’est plutôt dégradée depuis lors et la promesse des changements dans la gouvernance tarde à se manifester. En vérité l’arrivée des militaires à la tête de ces deux pays a eu pour effets d’affaiblir leurs armées respectives mises sens dessus dessous, d’isoler ces pays à un degré plus ou moins important de la communauté internationale et d’affecter leur coopération financière et militaire avec celle-ci. Tous ces facteurs ont objectivement diminué leurs capacités et réduit leurs chances de l’emporter contre le terrorisme.
Quand par ailleurs on sait que les militaires conditionnent la durée de leur pouvoir à la fin totale du terrorisme sur leurs territoires, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’ils envisagent de se maintenir en place pendant longtemps. Cette tentation éternitaire est porteuse de risques graves auxquels ces deux pays, s’ils ne prennent garde, sont condamnés à succomber à plus ou moins longue échéance.
Monsieur le président, mesdames, Messieurs,
Le terrorisme sahélien ne peut être bien compris s’il n’est pas corrélé au contexte de la grave crise économique que traverse cet espace du fait d’une pauvreté de masse provoquée notamment par le changement climatique.
Tout en étant un phénomène plutôt rural, son impact a néanmoins un retentissement de portée générale. En effet, les images des populations terrorisées fuyant en masse leurs villages et abandonnant tout derrière elles, transportées par les réseaux sociaux ont un effet corrosif sur le prestige des gouvernements en place. Le sentiment d’impuissance généralisé qui en résulte porte une atteinte grave à leur légitimité et rend ces gouvernements très vulnérables.
Dans le contexte de nos démocraties entachées assez souvent de pratiques de gouvernance pas toujours vertueuses, de logiques d’éternels bras de fer entre pouvoirs et oppositions, de l’activisme de sociétés civiles hyperpolitisées et de mal vivre de la jeunesse, des militaires peuvent aisément se poser en sauveurs de la nation. Mais à l’expérience, au vu de ce qui s’est passé jusqu’ici, ces militaires en déstabilisant les institutions affaiblissent les États et renforcent les groupes terroristes. Ils ne sont donc nullement une solution ni pour lutter contre le terrorisme encore moins pour promouvoir la bonne gouvernance. Ils constituent assurément un facteur de régression pour l’Etat de droit et la démocratie et exposent les pays à des périls inédits.
Je vous remercie. »