La baisse généralisée du niveau des élèves de l’enseignement général au Niger par rapport à celui de leurs ainés demeure un des sujets favoris des conversations dans les milieux intellectuels. Même situation dans les zones rurales, où dans le temps, un bon élève de cours élémentaire devenait automatiquement le ‘’commis du village’’qui écrivait et lisait les lettres et autres correspondances pour les membres de la communauté.
Au Niger, la baisse de niveau se répercute sur tout le cycle scolaire jusqu’à impacter négativement des promotions entières d’enseignants, selon certains parents d’élèves qui pointent du doigt, en plus des difficultés de trouver de bons élèves, celle de trouver des enseignants compétents. La vérité est criarde pour toute la communauté éducative qui doit aussi faire face à une mauvaise gestion des ressources humaines et matérielles. Même si les diplômes délivrés au Niger, les plus recherchés dans la sous-région pour leur crédibilité, ne sont pas mis en cause, la baisse généralisée de niveau est un nouveau palier d’alerte atteint.
Mme Ramatou Issaka, une enseignante de Niamey qui a été témoin, pendant plus d’une décennie, de la baisse de niveau dans ses classes du premier cycle de l’enseignement traditionnel, affirme que cette décadence est due à la combinaison de plusieurs facteurs. Elle explique que la disparition quasi-totale des bibliothèques dans les écoles publiques et privées du pays, est un facteur précurseur du déclin des valeurs de l’enseignement au Niger. «Les élèves d’aujourd’hui, dit-elle, ne fréquentent plus les rares bibliothèques qui existent dans les grands centres urbains à travers le pays». D’autres enseignants approchés, font aussi remarquer que désormais, les smartphones ont remplacé les bibliothèques dans l’esprit des élèves et étudiants et que les commentaires des réseaux sociaux ont effacé ceux autour des œuvres littéraires.
Cette enseignante qui a passé la moitié de sa vie dans les classes, craie en main, révèle aussi que ce n’est pas les compétences des jeunes enseignants qui devront être questionnées, mais plutôt la perte de perspicacité des programmes de pédagogies qui leur sont enseignés dans les écoles d’instituteurs et qui ne répondent plus aux challenges des temps présents, la technologie devant être au centre des programmes de pédagogie. Et surtout, Mme Ramatou Issaka déplore le désintéressement croissant des parents qui annihile tout effort des bonnes volontés qui essayent d’aider les jeunes apprenants. «Cette situation de la baisse de niveau nous préoccupe aussi, en tant qu’enseignants et parents d’élève. J’appelle les uns et les autres à encourager nos enfants à surtout lire pour améliorer au moins leur maitrise de la langue car,on n’apprend pas tout uniquement à l’école», insiste-t-elle.
Même son de cloche chez M. Hassan Issa, habitant du quartier Aéroport de Niamey,qui estime lui aussi que le désintéressement des parents y est pour beaucoup. Pour lui, ce manquement observé chez la plupart des parents favorise le développement d’un sentiment d’impunité chez les élèves, dont certains pratiquent l’école buissonnière ou perturbent sciemment le cycle d’apprentissage de leurs camarades de classe. «Beaucoup de parents pensent que les enseignements suffisent à eux seuls pour instruire et éduquer leurs enfants. Chaque parent doit être aussi un encadreur et un guide pour ses enfants, surtout quand ils sont à la maison», poursuit-il.
M. Issa Ali, un parent d’élèves de la capitale, préfère s’appesantir sur le processus de recrutement des enseignants, titulaires et contractuels. «Un enseignant qui est incapable de bien s’exprimer dans la langue d’enseignement, ne doit pas dispenser des cours aux apprenants», estime-t-il. Ce parent dit avoir hautement apprécié l’initiative de l’ancien ministre de l’Education qui a initié un système d’évaluation afin de mieux appréhender le niveau de compétence de chaque enseignant du premier cycle. Une innovation qui a été dupliquée plus tard par le secondaire. M. Issa Ali appelle l’Etat et l’ensemble de ses partenaires à «s’investir pleinement pour la pleine réussite de l’école nigérienne».
Rareté de bons enseignants sur le marché …
Même si la baisse de niveau des élèves est générale, c’est celle des pensionnaires des écoles privées, dernier refuge pour certains parents qui fuient le système éducatif public avec ses nombreuses et fréquentes grèves, qui choque le plus les milieux intellectuels. Pourtant, ce phénomène touche l’ensemble des écoles au niveau national, et même mondial, comme l’atteste les nombreuses statistiques publiées à travers le monde.
Avant de s’appesantir sur les raisons qui minent le secteur, le président du Collectif des Associations des Fondateurs des Ecoles Privées du Niger, M. Amadou Djibo Dandakoye, précise que les établissements privés du Niger dépassent toujours en performance ceux du secteur public.
Dans la tradition, les écoles privées nigériennes sont en perpétuelle compétition,non seulement entre elles, mais aussi avec celles du public, pour offrir un enseignement de qualité. Pour M. Amadou Djibo Dandakoye qui est également le président de l’Union Nationale pour l’Enseignement Général Privé, une large majorité d’écoles privées du pays dispensent un enseignement de qualité.Se référant aux résultats de l’année passée, il explique que seulement une demi-douzaine d’établissements publics a pu figurer dans le top 100 des meilleures écoles au BEPC 2021 dans la région de Niamey.
Le président du Collectif des Associations des Fondateurs des Ecoles Privées du Niger, de par son expérience personnelle qui l’a amené de son statut d’enseignant craie en main dans les écoles publiques à celui d’investisseurs dans l’enseignement privé, a fait savoir que l’enseignement demande de la discipline, de la disponibilité, du courage et de la persévérance. Un enseignant de vocation, dit-il, doit satisfaire à ses quatre qualités sacrosaintes qui sont intimement liées dans le secteur de l’éducation. Il explique qu’en dépit de ce qui se raconte, les fondateurs d’écoles privées qui sont disposés à payer le prix fort «se rendent rapidement comptent que les vrais enseignants, c’est-à-dire ceux qui ont les compétences et l’amour d’évoluer dans le métier de l’enseignement du savoir, manquent cruellement» sur le marché du travail, surtout dans les disciplines scientifiques.
En plus de la rareté de la main d’œuvre qualifiée, M. Amadou Djibo Dandakoye dénonce aussi la caducité des textes qui régissent l’enseignement privé et qui contribuent au «désordre» constaté dans le secteur. «Beaucoup de gens considèrent l’école comme un objet marchand où il faut aller trouver de l’argent. Et là aussi, c’est parce que tout celui qui le veut, peut tranquillement ouvrir une école privée sans pour autant être du domaine de l’enseignement», regrette-t-il. C’est selon lui, cette manière de faire qui considère l’école comme un objet marchand qui explique en partie la baisse de niveau dans les établissements privés.
Faire contre mauvaise fortune bon cœur
En attendant de vivre des lendemains meilleurs, les responsables des établissements scolaires s’organisent pour accompagner leurs élèves en général, et ceux des classes d’examen en particulier. Dans les établissements publics les moins nantis, l’administration de l’école arrange des cours de rattrapage pour les candidats aux différents examens nationaux. Certains enseignants, à titre personnel, viennent aussi gracieusement en appui à leurs élèves, tandis que d’autres au sein de l’établissement, s’organisent pour consacrer un peu de leur temps libre à dispenser des cours groupés de répétition aux élèves, qu’ils soient dans des classes d’examens ou non. Dans ce dernier cas, une contribution financière qui va de 3.500 à 10.000 F en fonction des écoles et des quartiers, est demandée à chaque élève participant.
Dans les établissements privés où la concurrence règne, les responsables ont trouvé l’astuce d’intégrer directement au frais de scolarité, un payement unique et annuel qui servira à financer les cours de soutien dans les classes d’examen. Cette contribution financière est généralement payée par les candidats aux examens dans les collèges et lycées privés du pays. Le proviseur du CSP Sophia Académie, Dr. Abdoulaye Baba,nous explique la méthodologie qu’il faut mettre en œuvre pour rehausser significativement le niveau de ses élèves. Mais, prévient-il, la réussite de toute méthodologie en la matière est conditionnée par l’adhésion du personnel enseignant de l’établissement, des élèves eux-mêmes et de leurs parents.
L’un de ses secrets qui marche à coup sûr, avoue cet enseignant de carrière, est le renforcement des compétences en langue française des élèves des classes de 6ème et 5ème par l’organisation de séances supplémentaires de lecture expliquée. «Nous avons mis en place une bibliothèque où nous avons choisi les œuvres appropriées pour cela. Ces élèves reviennent certains après-midi afin d’étudier et exploiter ces œuvres, en compagnie d’un enseignant dédié», indique-t-il. En plus de cela, ajoute Dr Abdoulaye Baba, vers la fin de l’année académique, le personnel administratif et les enseignants sélectionnent des romans littéraires qu’ils remettent aux élèves pour leur tenir compagnie pendant les grandes vacances. Les classes d’examens quant à elles sont accompagnées avec des «cours du soir» dans les matières fondamentales afin de les préparer à mieux affronter les épreuves nationales d’évaluation.
De la nécessité de revoir les textes qui encadrent l’enseignement privé
Certes, rappelle le président du Collectif des associations des fondateurs des écoles privées du Niger, ses membres s’inscrivent aujourd’hui dans la nouvelle politique gouvernementale de redynamisation de l’enseignement au Niger mais, poursuit-il, il ne faudra pas oublier les reformes nécessaires pour que le secteur puisse réellement s’affirmer. Il estime qu’une révision des textes est la seule solution possible pour remettre de l’ordre dans le système éducatif privé et tendre vers la professionnalisation du secteur. «Moi qui suis un enseignant professionnel, fondateur d’une école, je ne peux pas ouvrir une clinique, une pharmacie ou un cabinet de soins parce que ce secteur est encadré. Si vous n’êtes pas du corps médical, vous ne pouvez pas exercer dans ce secteur. Mais pourquoi est-ce qu’on permet à n’importe qui d’ouvrir une école privée?», s’interroge-t-il.
Le président du Collectif des associations des fondateurs des écoles privées du Niger, M. Amadou Djibo Dandakoye, se félicite de l’engagement du Chef de l’Etat à se battre aux côtés de l’école nigérienne. «Nous avons l’impression que le Président de la République fera de l’école sa deuxième préoccupation, après l’insécurité, surtout que dans son programme, il avait annoncé son intention de travailler avec l’ensemble des partenaires de l’école nigérienne, de manière inclusive et participative. Nous sommes totalement partants et nous sommes contents de cette déclaration. Nous allons l’accompagner pour le rayonnement de l’école Nigérienne», s’exclame-t-il.
Force est de constater qu’en dehors des autres facteurs qui influencent négativement l’apprentissage, la compétence des enseignants, l’inadéquation des programmes et le cycle rapide de leur changement, de même que le manque d’intérêt des parents à l’égard des performances scolaires de leurs enfants sont les causes les plus citées.
Souleymane Yahaya (onep) et Nafissa Yahaya (ASCN)