Le Président de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), Pr Khalid Ikhiri a présidé, vendredi dernier, à l’hôtel Radisson de Niamey, la cérémonie officielle de publication du rapport d’Enquête, d’Investigation, de Vérification et d’Etablissement des Faits suite à la disparition des 102 personnes dans la Commune Rurale d’Inatès, Département d’Ayorou, Région de Tillabéri. C’est pour satisfaire aux obligations constitutionnelles, notamment la Loi Organique 2012-44 du 24 août 2012, qui détermine sa Composition, son Organisation, ses Attributions et son Fonctionnement, que la CNDH a organisé cette activité pour donner suite à ladite mission.
Du 20 au 22 mai, puis du 25 au 31 mai et enfin du 27 juin au 6 juillet la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) et le Réseau Panafricain pour la Paix, la Démocratie et le Développement (REPPAD) ont effectué une importante mission conjointe dans la région de Tillabéri, plus précisément dans le Département d’Ayorou et dans la Commune Rurale d’Inatès. Cette mission a pour objectif principal d’Enquêter, d’Investiguer, de Vérifier et d’Etablir les Faits sur la disparition de 102 personnes dans les dites localités. Au cours de cette mission les membres de l’équipe ont eu des entretiens avec les autorités administratives et coutumières, les responsables des Forces de défense et de sécurité et les populations. La Mission a aussi visité six (6) fosses sur les sept (7) prévues.
A la lumière des témoignages, des éléments de preuves matérielles découverts sur le terrain, des rapports d’expertises médico-légales et de rapports dressés par les Officiers de Police Judiciaire, la mission d’investigation a conclu que : « il y a bel et bien eu exactions et exécutions sommaires d’au moins 71 personnes civiles non armées ; la mort de ces personnes n’est pas liée à une quelconque frappe aérienne ; il n’y a aucun doute que les auteurs sont des éléments des Forces de Défense et de Sécurité(FDS) ; il n’y a aucun indice qui permet de conclure à une responsabilité de la hiérarchie militaire ou de l’Etat ; il appartiendra aux juges en charges du dossier de situer les responsabilités individuelles ou collectives».
Le rapport de cette mission a relevé sans ambages que ces personnes ont été sommairement exécutées. C’est pourquoi, à ce niveau, la mission a recommandé, la prise des dispositions urgentes qui s’imposent pour un retour à la paix. Il s’agit entre autres d’une mission de haut niveau, conduite par Son Excellence Monsieur le Premier Ministre accompagné du Président de la CNDH, du Ministre de la Défense nationale, du Ministre de l’intérieur etc. La mission recommande à ce que un déplacement à Ayorou soit être effectué, dans les meilleurs délais, pour rencontrer les communautés dont en particulier les parents proches des personnes exécutées en vue de demander pardon au nom du peuple nigérien, afin d’apaiser les cœurs et les esprits. L’Etat doit également indemniser les rescapés ayant perdu leurs biens ; une journée nationale en mémoire de ces victimes doit être dédiée et un mémorial édifié à cet effet », a indiqué le rapport. La CNDH a aussi suggéré à ce que les différentes fosses fassent l’objet d’un aménagement dans un sens pédagogique pour les générations futures afin que ce genre de drame ne se reproduise plus jamais dans notre pays.
La mission a relevé un mouvement massif des populations, se chiffrant à environ 25.000 personnes déplacées Internes (PDI), réparties entre les territoires communaux d’Ayorou et de Dessa. Ce mouvement fait suite aux attaques des positions militaires de Chinogodrar et d’Inatès. La mission a souligné que ces populations se sont installées sur les champs des communautés d’accueil et avec l’installation à grand pas de la saison des pluies, les risques de conflits fonciers intercommunautaires s’avèrent inévitables. «C’est pourquoi il est urgent que le Gouvernement trouve dans les meilleurs délais une solution en vue : soit d’identifier un nouveau site sécurisé disposant des services sociaux de base (accès à l’eau potable, écoles, centre de santé, banque céréalière, aliment bétail etc.) en vue de leur recasement, ou alors les maintenir sur les lieux moyennant une compensation aux propriétaires terriens en attendant la stabilisation de la zone en vue de leur retour ou même procéder à une expropriation pour cause d’utilité publique moyennant une juste et préalable indemnisation», a recommandé la mission.
Le rapport souligne que l’arrivée des Personnes Déplacées Internes (PDI) a engendré une forte pression démographique sur le fleuve Niger. A son passage la mission a constaté que les personnes et le cheptel utilisent la même eau. Ce qui occasionnera alors un problème d’hygiène et d’assainissement avec un risque élevé d’épidémie tel que le Choléra par exemple. « Le Gouvernement avec l’appui de ses partenaires du domaine doivent s’atteler à y apporter une réponse adéquate», recommande aussi la mission.
Le présent rapport a relevé qu’au cours des différentes auditions, la CNDH a relevé que des voies d’approvisionnement en vivres et de ravitaillement en carburant ont été identifiées par les communautés entre les départements de Doutchi et ceux de Filingué et d’Abala. « Il s’est développé un réseau de trafic lucratif dont le monopole est détenu par la communauté Dawssahak du Mali. Cette chaine d’approvisionnement surtout en carburant vers le Mali constitue un des vecteurs de déstabilisation de la zone, en ce sens que, c’est ce même carburant qui alimente les motos des assaillants de nos FDS. Il y’a lieu de toute urgence de couper cette chaine d’approvisionnement. Il y’a eu lieu également de supprimer toutes les stations-services situées hors des agglomérations. L’achat du carburant en grande quantité doit désormais être systématiquement contrôlé et l’usage surveillé », a suggéré aussi la mission.
Il faut noter que plusieurs autres recommandations ont été formulées dans ce rapport par le CNDH en vue de renforcer le respect des droits humains et d’apporter une assistance à la population civile ainsi que pour la création des conditions d’un retour à la stabilité et à la quiétude sociale dans la zone.
Le Président de la CNDH a souligné qu’à travers ce rapport, il ne s’agit nullement pour la mission de friser et encore moins de porter atteinte au moral des troupes, mais plutôt de contribuer davantage au respect du Droit International Humanitaire et des Droits de l’Homme en tout temps et en tout lieu. « Toute chose qui d’ailleurs ne fera que grandir nos FDS, reconnues dans un passé récent pour leur professionnalisme et on ne peut penser à une quiétude sociale sans justice, laquelle passe nécessairement dans le respect inconditionné du droit des familles des personnes disparues à connaitre la vérité », indique le rapport.
Le rapport a été déjà transmis au Président de la République, Chef de l’Etat, Chef Suprême des Armées. Le Président de la CNDH a indiqué avoir reçu une correspondance du Ministre de la Défense Nationale lui notifiant aussi que déjà le rapport est transmis au Ministre de la justice pour l’ouverture d’une information judiciaire.
Ali Maman(onep)