Une industrie du cinéma est cette production encadrée et qui s’autofinance. Au Niger, le constat est amer dans le secteur: Des maisons de production qui opèrent dans l’informel en violation des textes réglementaires qui les régissent, des acteurs peu ou pas rémunérés, un Centre de cinématographique qui n’arrive pas faire respecter les textes et se faire respecter, etc.
Le cinéma nigérien a été un précurseur en Afrique de l’Ouest, surtout en termes de créativité artistique avec les films d’animation de Moustapha Alassane à partir de 1961. Dès les premières éditions des deux (2) premiers festivals en Afrique, les Journées Cinématographiques de Carthage en Tunisie (1966) et le Festival Panafricain de Cinéma de la Télévision de Ouagadougou (FESPACO) au Burkina Faso (1969), les films nigériens étaient présents et primés. Les Nigériens se spécialisaient avant même l’indépendance du pays dans l’actorat et la réalisation.
C’est ainsi qu’on a vu évoluer Oumarou Ganda comme acteur principal du film Moi, Un Noir de Jean Rouch (1957) et Damouré Zika qui, dès 1947, était assistant réalisateur de Jean Rouch dans tous ses films produits au Niger. De même, dans l’encadrement vers une industrie cinématographique africaine, Inoussa Ousseini, était le premier Directeur Général du Consortium Inter-Africain de Distribution Cinématographique (CIDC). Une structure vite enterrée par l’égo des pays dixit Inoussa Ousseini. La constitution des maisons de distribution par des Nigériens et la construction des salles de cinéma par l’Etat et des privés, étaient autant d’atouts pour qu’émerge le cinéma nigérien.
Une volonté politique manifeste avec la création du CNCN
Après une période de léthargie, les autorités politiques ont décidé de donner un nouveau départ à l’industrie cinématographique nigérienne. C’est ainsi qu’a vu le jour le Centre National de la cinématographie du Niger (CNCN) créé par la loi n°2008-23 du 23 juin 2008. Plus de dix (10) ans après l’industrie cinématographique nigérienne reste toujours un rêve d’une belle jeune fille qui attend toujours son prince charmant pour pouvoir procréer dans l’intérêt de la famille. Pourtant, tout est réuni en termes de textes réglementaires pour que décolle le cinéma nigérien. Les textes comme les statuts de ce centre, l’ordonnance relative à l’industrie cinématographique et vidéographique, malgré que cette ordonnance a besoin de réactualisation pour l’adapter à l’évolution des nouvelles formes de production. Tous ces textes et le document de la politique culturelle posent les fondements pour tendre vers une industrie du cinéma au Niger.
Un Centre National de la cinématographie laxiste
Mais le constat est amer, quand il s’agit d’appliquer les textes par les cinéastes et la tutelle. Nous attendons toujours chez les cinéastes la mise en place d’un fonds d’aide à la production cinématographique nigérienne, ce qui est tout à fait juste et salutaire pour un cinéma nigérien vivant. D’ailleurs l’ordonnance du 29 juillet 2010 le prévoit. Mais, l’Etat du Niger, doit-il mettre ce fonds à la disposition des cinéastes et du centre de cinéma ? En effet, jusqu’en fin décembre 2018, aucune société de production nigérienne dans le cadre de la réalisation de ses films, n’a déposé les contrats des techniciens qui y sont sur leurs films au CNCN. De quoi intéresser le fisc nigérien.
Dieu, seul sait combien de films sont produits et diffusés au Niger, en tout cas pas par le CNCN, qui ne tient pas un registre public comme le dispose l’article 2 de l’ordonnance 2010-0-46 du 29 juillet 2010 qui stipule que : « Il est tenu au Centre National de la Cinématographie du Niger (CNCN) un registre public destiné à assurer la publicité des titres provisoires ou définitifs relatifs aux œuvres cinématographiques et vidéographiques produites, distribuées ou exploitées au Niger, ainsi que des contrats, conventions, actes, décisions judiciaires, et sentences arbitrales intervenus à l’occasion de leur production, de leur distribution, de leur exploitation ou de leur promotion ». Au Niger il y a des techniciens de cinéma et de l’audiovisuel qui prestent et gagnent assez de fonds dans l’informel à cause d’un CNCN limité pour y faire face.
Un registre public de cinématographie inexistant
En vue de générer de ressources et constituer une base de données pour la recherche scientifique et la conservation du patrimoine cinématographique du Niger, l’article 4 de l’ordonnance 2010-0-46 du 29 juillet 2010 a prévu que : « Le titre provisoire ou définitif d’une œuvre cinématographique ou vidéographique destinée à la représentation publique au Niger doit être déposé au registre public de la cinématographie par le producteur ou son représentant. Le conservateur du registre public attribue un numéro d’ordre au film dont le titre est déposé. Si le producteur d’une œuvre s’abstient d’effectuer ce dépôt, toute personne ayant et/ou intérêt pour demander l’inscription d’un acte, d’une convention ou d’un jugement pourra le faire.»
Un manque à gagner pour l’Etat et les cinéastes
C’est dire qu’autant de précautions ont été prises pour tendre vers une industrie du cinéma au Niger. Cette industrie qui doit regrouper l’ensemble des techniciens et acteurs de la production (du financement à la réalisation, de la distribution à l’exploitation), qui de manière encadrée concourent à la vie d’une œuvre, qui soit profitable à l’Etat par la mobilisation des taxes sur les différents contrats élaborés par le producteur et profitable aux acteurs qui sont sur le film. Mais, loin de là. Du CNCN aux cinéastes, l’amateurisme est gage de succès. Pourtant, il suffirait d’une petite rigueur pour que le cinéma nigérien s’autofinance. Nous donnons juste un petit exemple pour attirer l’attention de la tutelle et des autorités politiques que le cinéma nigérien peut devenir une industrie et les métiers du cinéma nourriraient leur homme. D’abord on ne fait pas un film pour en faire. Un projet de film se prépare à travers un dossier de production bien ficelé pour la recherche de son financement. Donc, plusieurs spécialistes travaillent autour de ce dossier. Une fois, le financement obtenu, là intervient d’autres acteurs pour le prêt à diffuser, la distribution, l’exploitation et la promotion pour que le film soit rentabilisé.
Il faut dire qu’à chacune des étapes, des contrats de prestation, de vente ou de location sont signés pour mettre tous les acteurs dans leurs droits. Au Niger, il faut souligner qu’il n’y a pas de grille tarifaire pour les prestations des différents acteurs sur un film, ce qui pourrait conduire à une exploitation des acteurs par le producteur et aussi, un manque à gagner pour le fisc nigérien, qui jusque-là ne s’est pas donné les moyens de contrôler le fonds des films des sociétés de production cinématographique. Il est alors temps d’accepter de se professionnaliser à l’instar des pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc, le Ghana, le Nigéria où nous pouvons parler sans risque de nous tromper de véritable industrie de cinéma en Afrique, car leurs cinémas génèrent de fonds et sont encadrés.
Youssoufa Halidou Harouna Critique de cinéma