Batteurs et danseurs en tenue traditionnelle gourmantché, sur une scène
Comme d’autres ethnies en Afrique de l’ouest, les Gourmantchés se distinguent par des pratiques culturelles que l’on remarque souvent dans leur mode de vie. Ces éléments de la culture et tradition des Gourmantchés sont illustrés à travers leur style vestimentaire, leur façon de célébrer les événements, tels que le mariage, les initiations des jeunes et les funérailles, dans leur organisation sociale ou encore dans certaines coutumes propres à eux. Cependant, l’actuelle génération semble s’éloigner de plus en plus de ces pratiques.
Le peuple Gourma est basé principalement au Niger, Burkina Faso, Bénin et au Togo. Tel que rapportée par une étude de thèse intitulée ‘’Le Gourma à l’époque précoloniale; Histoire d’une région longtemps isolée’’, ce peuple était constitué, jadis, sous un seul royaume appelé le Royaume du Gourma, centré autour de Fada N’Gourma. Ce dernier s’est décomposé après des influences externes, telles que la colonisation, l’expansion des religions et la pression des royaumes voisins, ainsi que des dynamiques internes.
Ce peuple, comme tous les autres, dispose d’une multitude de traditions et de pratiques propres par lesquelles il se distingue. De la même façon que le peulh s’attache au pastoralisme transhumain, le gourmantché d’antan accorde une grande importance à l’agriculture. Il est majoritairement caricaturé avec son pagne traditionnel, des bracelets de cauris et sa daba à l’épaule, symbole culturel.

Une source de valeurs sociales
D’après Onadja Thelidja, la tradition Gourmantché promeut le respect comme une valeur fondamentale qui structure toutes les valeurs sociales. Chez eux, relève-t-il, le respect des aînés, le respect des ancêtres et des esprits, le respect des règles sociales, du territoire et des lieux sacrés et le respect dans la parole sont tous, entre autres, des valeurs qu’on inculque aux jeunes Gourmantchés dès le bas âge, au moment de leur initiation. La langue gourmantché comporte des formules particulières de respect et de salutation qui expriment chacune un sentiment de considération envers l’interlocuteur.
« La conception de l’aîné chez nous ne se limite pas uniquement aux parents biologiques. Quand l’enfant aperçoit une personne plus âgée que lui, il se précipite aussitôt pour lui porter assistance. De la même façon que quand l’aîné voit l’enfant en train de commettre des bêtises, il n’a pas besoin de connaître ses parents pour le corriger, » a expliqué M. Onadja Thelidja.
La famille ne se limite pas au lien biologique. La communauté d’une localité forme une seule famille. En cas de construction d’une maison ou tout travail qui nécessite de l’assistance, souligne M. Onadja Thelidja, l’intéressé communique seulement par l’intermédiaire d’un crieur et son œuvre enregistrera une grande mobilisation.

Les Gourmantchés ont coutume de banaliser le bien physique et n’accorde pas d’importance à l’argent. En récompense à un service rendu, le Gourmantché ne donne pas de l’argent ou un bien matériel mais symbolique. L’argent n’avait pas de grande valeur à leurs yeux. D’ailleurs, « c’est suite à un service bien fait ou une longue période de discipline que les secrets mystiques ou scientifiques tels que la géomancie, les incantations et les secrets des plantes se requièrent ». « Plusieurs mariages ont découlé de ce mécanisme sans une exigence de la dot » a indiqué le doyen de la tradition Gourmantché.
‘‘Le Yam Tondi’’ ou la fête de la moisson
En termes de croyances, les gourmantchés d’antan font partie des peuples les plus attachés à l’animisme. La géomancie et les grigris sont, en effet, entre autres, les points phares de leur religion. Ils avaient également des idoles qu’ils vénèrent et pour qui ils pratiquent plusieurs activités.
Parmi celles-ci ‘’ Yam Tondi’’ ou la fête de la moisson, une fête de gratitude envers les divinités. Appelé également Tiyayé Odilangu, elle est célébrée après la récolte, mais quand elle a été fructueuse. C’est pour remercier leur divinité. Tel que l’a expliqué le vieil Onadja Thelidja, un travail de consultation est fait en amont avant l’hivernage. Le chef rassemble les sages pour aller consulter et voir à quel ‘’divinité’’ faudrait-il confier le sort des efforts du travail hivernal. Ils procèdent par la méthode de la géomancie, une fois su, ils se mettent au travail.
Quand la moisson a est bonne, ils considèrent que la divinité a ‘’accompli sa tâche’’ et c’est à leur tour de la remercier. Ainsi, ils choisissent un jour pour la célébration. A cette occasion, il est demandé à chaque famille d’apporter sa contribution. En réponse, ils amènent soit des repas, du dolo, de la cola, etc. Toutes les provisions viendront des populations. Des prières et plusieurs activités culturelles spirituelles se tiennent ce jour.
Cependant, Onadja Thelidja déplore l’abandon complet de ces traditions. Selon lui, les nombreux maux que vivent son peuple sont dûs à cet abandon. Mais, il est convaincu que les peuples retourneront vers la culture, les traditions « parce qu’il n’y a pas d’autres issues ».
Les célébrations des événements chez les gourmantchés
Selon l’ancien maire de la commune rurale de Makalondi, Ounteni Terigaba, les cérémonies traditionnelles sont des moments de rassemblement où la musique, la danse et la parole des anciens renforcent la cohésion sociale. En ce moment, les villages vibrent au rythme des tambours, des balafons, des chants polyphoniques et des pas de danse. « Chaque geste, motif décoratif ou ornement a sa signification, rappelant l’histoire et les croyances de la communauté. Cela montre que notre patrimoine culturel est vivant et riche, malgré l’influence extérieure ou la modernité», a-t-il affirmé.
Chez le gourmantché, a-t-il raconté, ce n’est pas tout le monde qui a droit aux funérailles, c’est seulement les chefs des familles qui ont droit à ces festivités. Quand le chef de famille décède, on l’enterre devant la concession. « Pour la tradition, c’est une manière de dire merci à Dieu d’avoir donné quelqu’un qui a incarné cette famille, qui a tenu la famille jusqu’à sa vieillesse.

La communauté participe pour aider la famille endeuillée, car les funérailles durent souvent plus d’une semaine », fait savoir Ounteni Terigaba .
Pendant ce temps, il y a les chants des funérailles, qui sont des manières de transmission de messages aux enfants, des conseils pour les consoler et leur remonter le moral. « Pour leur dire qu’aujourd’hui, certains vont vous dire que votre papa a été empoisonné par un tel. Votre papa a été tué par un tel, non, c’est son jour qui est venu ! et tout homme qui est venu sur cette terre doit repartir. Ce jour-là, tous ses enfants vont se coiffer, se raser la tête. Après ces festivités, il y aura des sacrifices traditionnels pour demander aux ancêtres de protéger la famille du défunt », a-t-il expliqué.
D’après M. Etienne Ouoba, trois fêtes sont de grande envergure dans cette communauté, l’initiation des jeunes circoncis, les funérailles et les mariages. Ainsi, selon ce traditionaliste, les initiations des circoncis sont une forme d’insertion des jeunes dans la communauté. Cela permet, de rassembler plus de 200 voire 300 jeunes d’un ou plusieurs villages, qui seront isolés à l’écart du village, dans un enclos en seccos et vont passer deux ou trois mois dans ces lieux. « Et, c’est là-bas qu’on va leur apprendre leur ethnie, leur culture, le respect des anciens, c’est là où on les éduque vraiment à devenir des hommes, à comprendre la vie, la solidarité, la cohésion sociale. Mais, malheureusement, cette éducation est en train de disparaître » a-t-il dit avec regret.

Après ce séjour à l’écart du village, leur retour sera triomphal, puisque tous les villages se mobilisent, tous habillés de leurs plus beaux habits et portant des offrandes dans les mains pour soutenir les nouveaux circoncis. Selon les explications de M. Etienne Ouoba, les habillements aussi dépendent des familles, car les notables et ceux qui ne le sont pas ne peuvent pas porter les mêmes types d’accoutrement. C’est aussi en fonction des noms de famille.
« Nous qui avons eu la chance d’être initiés, nous nous disons que la richesse de l’Afrique, c’est ce qui a été emporté en Europe. Parce que l’éducation qui est faite au camp des initiés est la même qu’on donne aux militaires pendant la formation », a-t-il affirmé.
Par ailleurs, Ounteni Terigaba se réjouit que, lui, tous ses fils aient été initiés traditionnellement. « Maintenant, je ne sais pas, si à leur tour, ils vont initier leurs enfants ou pas », a-t-il lancé dubitatif.
Force est de reconnaître que, pour le mariage, l’ensemble des décisions sont prises par les anciens après consultation de la terre. L’acte consiste à écrire des symboles sur le sable qui seront interprétés par des voyants. « Pour le mariage, le garçon devrait faire juste un petit geste à la petite fille pour permettre à sa famille de consulter la terre et de voir l’avenir de leur union. Après cette action, il faut aussi que chacune des deux familles consulte leurs fétiches. Mais certaines unions se font à la base de l’amitié des deux parents juste pour garder leur union», a-t-il martelé.

Selon Yampabou Diara Djagounda, un jeune gourmantché et étudiant à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, chez les Gourmantchés, la préservation des traditions occupe une place essentielle dans la vie communautaire. Parmi les initiatives culturelles les plus marquantes figure le Pogari, une fête dédiée au mariage, principalement célébrée au sein de la famille Lompo. Si le Pogari est propre à la famille Lompo, les autres familles telles que les Waoba, Kombarie, Sangna et bien d’autres, possèdent également leurs propres rituels de mariages, comme le Djouoti. Pour lui, au de-là de ces spécifiés familiales, le Pogari et le Djouoti sont considérés comme des symboles universels, partagés et reconnus par toutes les nationalités gourmantchés, illustrant ainsi l’unité et la richesse culturelle de la population , «Ces événements constituent un moment de grande solennité et de réjouissance, mais aussi un espace d’affirmation identitaire où se transmettent les valeurs ancestrales », a-t-il dit.
Rôle de la chefferie traditionnelle et de la femme dans la tradition
M. Ounteni Terigaba rappelle que le chef traditionnel (le dépositaire) joue un grand rôle dans la tradition gourmantché, car il incarne toutes les valeurs ancestrales, spirituelles, du vivre ensemble, du civisme et de la morale dans le village. Pour les prises de décisions, le chef est entouré d’un collège de sages qu’il consulte régulièrement. « C’est à travers eux qu’il prend toutes ses décisions », dit-il avant d’ajouter qu’autrefois, deux critères guidaient la succession d’un défunt chef, l’âge du candidat (garant de sagesse et de respect) et la consultation spirituelle de la terre, qui peuvent valider ou invalider la capacité de gouverner. « La terre est considérée comme l’autorité invisible qui confirme ou infirme le choix humain » a-t-il affirmé. Avant d’ajouter qu’en général, la priorité revenait plus souvent au plus vieux notable. « La chefferie lui revenait sans discussion », rappelle Terigaba. « Dès lors, un aîné pouvait ainsi être écarté si la terre estimait qu’il n’avait pas la force, la chance ou la bénédiction nécessaires pour régner dans la prospérité » a-t-il expliqué.
M. Ounteni Terigaba a confié qu’avant toutes ces procédures, c’est la fille aînée du défunt chef qui monte provisoirement sur le trône. « Elle porte les habits du père ainsi que son bâton de commandement. Aux yeux des visiteurs, le chef semble toujours en vie, puisque c’est sa fille qui occupe le siège en attendant qu’un successeur soit choisi. Cette gouvernance féminine se poursuit jusqu’à la désignation officielle d’un nouveau chef par les notables et la terre », a-t-il expliqué.
Cependant, ce rôle reste provisoire et symbolique parce que la fille aînée ne peut en aucun cas refuser de céder la place lorsque le nouveau chef est intronisé. « Le jour où elle dira qu’elle ne veut pas quitter le trône, elle s’attirerait des malheurs, elle est donc tenue d’obéir à la tradition », a-t-il expliqué.

Au-delà de cette fonction dans la chefferie, précise ce sage, la femme occupe aussi une place essentielle dans la vie sociale. Car, selon lui, elle ne se limite pas seulement au foyer. « La femme est aussi une actrice majeure de l’économie. Elle participe aux semailles et aux récoltes. Dans les villages, elle est souvent artisane, commerçante, gardienne et chargée de la transmission des savoirs culturels tels que la cuisine, la médecine, les contes, les rituels, les danses et les chants », a-t-il ajouté.
Pendant certaines cérémonies, elle occupe une place symbolique, portant les offrandes et participant aux rites de fertilité ou de protection de la communauté. Dans la culture gourmantché, il n’existe donc pas de séparation des rôles entre l’homme et la femme. Les deux travaillent ensemble dans l’unité et chacun d’entre eux apporte sa contribution à la société. « Je ne vois pas dans notre société un rôle que l’homme joue et que la femme ne peut pas jouer », a-t-il confié.
Malgré les mutations économiques et sociales, le rôle des femmes et la chefferie traditionnelle restent au cœur de l’identité gourmantché. Les femmes maintiennent la vitalité culturelle, tandis que les chefs et les anciens garantissent la cohésion et la transmission des valeurs ancestrales.
L’impact de la colonisation et du modernisme
M. Etienne Ouoba explique que cette logique coutumière d’avant est aujourd’hui mise à mal par la modernité ou démocratie avec l’introduction de la compétition et la rivalité dans la chefferie traditionnelle. « Aujourd’hui, l’on voit souvent un neveu concurrencer ses oncles pour la chefferie, avant c’était inconcevable. La démocratie a fait beaucoup de mal en Afrique », a-t-il affirmé avant d’ajouter que « Si le chef n’est pas de ton bord politique, tu le contestes jusqu’à souhaiter sa mort. Ces nouvelles attitudes engendrent des tensions ou parfois des conflits, qui fragilisent la légitimité de la chefferie. Alors que jadis, nul n’osait défier la parole de la terre et des anciens » a-t-il affirmé avec regret.
Bachir Djibo et Adamou I. Nazirou (ONEP)
