DR Amadou Soumaila
Monsieur le Directeur Général, le mois d’octobre est consacré à la lutte contre le cancer du sein à travers la campagne mondiale « Octobre Rose ». À ce titre, pouvez-vous nous dire quelles sont les principales activités prévues cette année dans le cadre d’Octobre Rose ?
Comme vous l’avez dit, le mois d’octobre dénommé octobre rose est un mois dédié à la lutte contre le cancer du sein. C’est une campagne mondiale annuelle destinée à intensifier la communication pour sensibiliser les femmes pour le dépistage contre le cancer du sein. C’est également un mois pour faire un appel à la solidarité pour lutter contre cette maladie.
Les activités qui ont été prévues et qui sont en train de se dérouler sont essentiellement le dépistage du cancer du sein couplé à celui du col de l’utérus et la sensibilisation à travers différents canaux de communication. La particularité cette année, nous avons fait le lancement de cette campagne le 06 octobre 2025 dans la région de Maradi. Habituellement, le lancement se fait à Niamey, mais cette fois-ci, nous avons voulu délocaliser dans les autres régions du pays afin de toucher le maximum de femmes. Le Centre est un centre national, donc doit jouer sa partition sur l’ensemble du territoire National. Je voudrais signaler, qu’à ce lancement, il y a eu la participation de la clinique AFOUA qui est une structure privée qui fait de la lutte contre le cancer une de ses préoccupations au nom de la responsabilité sociétale.
Quelles sont les dispositions prises pour faciliter le dépistage précoce du cancer du sein durant ce mois et quels sont les centres de dépistage actuellement fonctionnels à travers le pays ?
Les dispositions qui ont été prises pour faciliter ce dépistage, c’est d’abord la mobilisation sociale pour informer la population, notamment les femmes, que durant tout le mois d’octobre, il y’aura une campagne de dépistage gratuit du cancer du sein et des lésions précancéreuses du col de l’utérus au niveau d’un certain nombre de sites qui ont été identifiés à Niamey et à Maradi, également la sensibilisation sur le cancer en général et le cancer du sein en particulier. Pour cette mobilisation, il y’a des messages radio et télévision qui passent pendant les heures de grande écoute, à travers les radios communautaires à Maradi, les réseaux sociaux, le site web du CNLC et à travers des affiches sur des panneaux publicitaires dans la ville de Niamey.
Ensuite, il y a eu la formation des équipes de dépistage composées de deux (02) médecins oncologues pour le site de dépistage du CNLC, d’un oncologue et d’un gynécologue pour les sites de Maradi, de deux (02) sage-femmes et du personnel d’appui dans toutes les équipes.
Pour les sites de dépistage qui sont fonctionnels à Niamey au niveau du Centre National de Lutte contre le Cancer, nous avons deux (02) salles de dépistage. Au niveau de la clinique AFOUA, nous avons également deux (02) salles de dépistage.
Au niveau de la ville de Maradi, nous avons le Centre de Santé de la Mère et de l’Enfant (CSME) qui est un site permanent durant tout le mois d’octobre et 10 CSI qui ont été identifiés pour servir de sites de dépistage selon un calendrier établi. Je peux vous affirmer que tous ces sites fonctionnent normalement et l’activité se déroule sans grande difficulté.
Monsieur le Directeur, pouvez-vous nous dire quelle est la situation actuelle du cancer au Niger en termes de prévalence et de mortalité ? Le Centre dispose-t-il de statistiques récentes ?
Aujourd’hui, il est difficile de donner avec exactitude la prévalence et la mortalité liées au cancer au Niger. Pourquoi ? Parce que le registre de cancer qui est l’outil qui collecte toutes les informations sur le cancer sur l’ensemble du territoire n’est plus à jour depuis 2022. Ce registre du cancer a été mis en place en 1992 et tenu à la Faculté des sciences de la santé de l’Université Abdou Moumouni. Mais depuis 2022, les données ne sont plus enregistrées. Actuellement, nous sommes dans un processus de redynamisation de ce registre en comblant le gap qu’il y’a eu entre 2022 et 2024. Donc, les données dont nous disposons sur le plan national sont celles de 2022 fournies par Globocan qui est un organe de l’OMS qui donne les statistiques mondiales sur le cancer. Ce sont souvent des données par extrapolation et ne reflètent pas souvent la réalité. Ainsi, de 1992 à 2022, les chiffres indiquent qu’il y a eu 11 593 nouveaux cas qui ont été enregistrés sur le plan national entrainant 8 806 décès. Des cancers les plus fréquents au Niger dans les deux sexes, nous avons le cancer du sein, le cancer du foie et les cancers colorectaux, c’est-à-dire du colon et du rectum. Maintenant, spécifiquement chez les hommes, c’est le cancer du foie qui représente 16,7% de l’ensemble des cancers, puis viennent les cancers colorectaux et de la prostate avec respectivement 8,9% et 5,4%.
Chez les femmes, c’est le cancer du sein avec 32,1% puis le cancer du col de l’utérus avec 9,3% et le cancer de l’ovaire avec 8,2%.
Par contre les chiffres que nous pouvons donner avec exactitudes sont ceux que nous collectons au CNLC. Ainsi de novembre 2017 que le centre a démarré ses activités à septembre 2025, nous avons enregistré 5 397 nouveaux cas de cancer. Et parmi ceux-là le cancer du sein est en tête avec 1 885 cas, soit 34,37 %, puis le cancer du col de l’utérus avec 826 cas, soit 15,30%, ensuite les cancers colorectaux chez les deux sexes avec 164 cas soit 3,03% et le cancer de la prostate avec 136 cas, soit 2,51%.
Nous pouvons constater que nous avons une augmentation des cas des cancers colorectaux aussi bien chez les femmes que chez les hommes et survient surtout à un âge jeune chez nos patients dans notre pays. C’est fort de ces constats que nous sommes en train de revoir l’épidémiologie des cancers au Niger.
Comment le Centre mène-t-il la sensibilisation sur les facteurs de risque du cancer du sein et d’autres types de cancers ?
Au niveau du Centre National de Lutte contre le cancer, nous avons élaboré un plan de communication. Dans ce plan, plusieurs axes ont été définis concernant la sensibilisation. Nous communiquons en interne et en externe. S’agissant de la communication interne, nous avons le centre d’échanges et d’écoute qui reçoit tous les malades et les accompagnants qui sont admis au centre, nous profitons pour expliquer la maladie, les facteurs de risque, les traitements, les conseils nutritionnels, etc. Ce centre d’échange, et d’écoute est animé par des médecins oncologues, des assistantes sociales, des communicatrices et des nutritionnistes. Il dispose d’un numéro vert sur lequel on peut appeler 24/24 pour avoir des informations sur le cancer et des conseils.
S’agissant de la communication externe nous utilisons plusieurs canaux à savoir le passage de message sur les radios et les télévisions nationales et privées, les radios communautaires, les réseaux sociaux, le site web du CNLC, les affiches sur les panneaux publicitaires à la ville de Niamey. Les compagnies de téléphonies mobiles sont également mises à contribution pour la diffusion de ces messages.
Nous profitons des journées internationales de lutte contre le cancer pour accentuer cette communication.
Quels sont les défis majeurs que vous rencontrez dans la lutte contre le cancer au Niger ?
Les défis sont multiples. D’abord sur le plan structurel, l’absence d’un programme national de lutte contre le cancer est un handicap pour la lutte contre le cancer. Au Niger, actuellement, c’est le Programme National de Lutte contre les Maladies non Transmissibles qui gère la lutte contre le cancer. Le CNLC n’est qu’un centre de prise en charge des cas, mais depuis 2024, nous sommes en train de jouer le programme sur l’échiquier national, mais il faut que cela soit traduit par des textes qui vont créer le programme comme dans tous les pays de la sous-région qui ont mis en place des programmes nationaux de lutte contre le cancer au vu de la spécificité et de la complexité de la maladie pour être noyé dans les maladies non transmissibles.
Un défi, pas des moindres, est le retard dans le diagnostic. Cela peut être lié au malade. Comme vous le savez, c’est une maladie qui est liée dans notre milieu à des croyances culturelles comme un sort jeté, une malédiction. Il faut faire d’abord le tour de tous les marabouts et charlatans du village avant de consulter un agent santé. Il y’a également l’accessibilité des centres de santé en termes géographiques et aussi financiers pour parler du manque de moyens.
S’ajoute à cela l’insuffisance des spécialistes dans ce domaine. Très souvent d’ailleurs, beaucoup de malades consultent très tôt mais, compte tenu de l’insuffisance de spécialistes, les délais pour avoir les résultats pour poser le diagnostic sont très longs. Vous savez, pour poser le diagnostic du cancer et commencer le traitement, plusieurs spécialistes doivent intervenir, notamment l’anatomopathologiste, le médecin radiologue, l’oncologue médical, chirurgical, radiothérapeute, le psychologue, etc. Aujourd’hui, pour avoir un anapath, il faut 30 jours en moyenne, ce que nous estimons long pour une maladie comme le cancer. C’est également pareil pour le scanner, dans les formations sanitaires publiques à Niamey, les rendez sont très longs. Mais espérons qu’avec l’effort des autorités actuelles, avec l’équipement de nombreuses formations sanitaires en scanner et IRM, ainsi que la sortie de 11 médecins anatomopathologistes, que les choses vont s’améliorer. Il faut également saluer la dotation du CNLC d’un appareil de radiothérapie LINAC, le décret de la gratuité des cancers gynécologiques et bien d’autres actions qui sont faites pour la lutte contre le cancer.
Quel appel lancez-vous aux partenaires techniques et financiers, aux autorités et à la population en cette période d’Octobre Rose ?
L’appel que nous avons à lancer, d’abord aux partenaires techniques et financiers, c’est surtout d’accroître la collaboration avec le Ministère de tutelle. Apporter leur appui technique et financier pour l’élaboration d’un plan cancer et d’un programme national de lutte contre le cancer.
Au niveau des autorités, il faut dire que, depuis leur arrivée, il y a eu un changement dans le domaine de la santé. En termes de plateau technique, le Niger est en train de se doter de tout ce qu’il faut pour la prise en charge, même pas du cancer, mais de toutes les maladies, mais particulièrement du cancer. Aujourd’hui, nous disposons de tous les moyens, que ce soit en termes de diagnostic ou de traitement, pour prendre en charge le cancer au Niger.
Nous remercions les autorités pour l’intérêt qu’elles portent à la santé de la population. L’appel que nous lançons aujourd’hui concerne surtout le recrutement du personnel de santé. Actuellement, le personnel est vieillissant, et il devient urgent de le renouveler. Il faut non seulement recruter du personnel soignant, mais également du personnel de soutien indispensable au fonctionnement des structures. Aujourd’hui, on parle de la digitalisation de la santé, donc l’agent de santé doit avoir des aptitudes dans ce domaine ou avoir du personnel qui prendra en charge ce volet.
En ce qui concerne la population, comme j’ai l’habitude de le dire, nous ne voulons pas les voir à un stade « malade ». Il est crucial de venir se faire dépister régulièrement.
Le dépistage est gratuit dans tous les centres habilités, que ce soit pour le cancer du sein ou le cancer du col de l’utérus, les traitements sont également gratuits.
Le cancer du sein est guérissable, et la prise en charge est gratuite au Niger. Nous disposons de tous les moyens de traitement au Niger. On n’a pas besoin d’aller ailleurs pour se faire traiter.
Realisée par : Aminatou Seydou Harouna (ONEP)
