Dr Ibrahim Attahirou
Situé dans la région d’Agadez, le District Sanitaire de Tchirozérine, couvre une superficie d’environ 49 939 km² pour une population estimée à 191 473 habitants (projections RGP 2012 pour l’année 2025). Il comprend 27 Centres de Santé Intégrés, dont la majorité est fonctionnelle, ainsi que 52 cases de santé, parmi lesquelles 39 sont opérationnelles. Le district de Tchirozérine est l’un des rares districts sanitaires du pays à ne pas disposer d’un Hôpital de District. Sa mission est de contribuer à l’amélioration de la couverture sanitaire et de la qualité des soins, à la réduction de la mortalité maternelle et infantile, à la lutte contre les maladies transmissibles et les épidémies, ainsi qu’au renforcement du système de santé communautaire et de la résilience des zones à accès difficile. Le district compte environ 117 agents de santé, toutes catégories confondues, soit une densité de 0,6058 agent pour 1 000 habitants, alors que les normes nationales sont fixées entre 0,4 et 2,5 agents pour 1 000 habitants. Le District accuse ainsi un déficit, notamment en sages-femmes et agents techniques d’hygiène, en particulier dans les zones rurales et nomades. Il est également important de rappeler que plus de 90 % de ces agents de santé sont des contractuels. Dans cet entretien, le Médecin Chef, Dr Ibrahim Attahirou, dresse un état des lieux de la situation sanitaire, en soulignant les défis majeurs du district et l’impact positif de la réduction des frais de consultation sur l’accès aux soins pour les populations.
Docteur, quels sont les principaux défis et obstacles auxquels le District est confronté, notamment en ce qui concerne les ressources humaines, les équipements, l’approvisionnement en médicaments et intrants essentiels, ainsi que la situation sanitaire et épidémiologique ?
Les défis majeurs auxquels le district est confronté se regroupent essentiellement autour de l’insuffisance des ressources humaines et matérielles. En ce qui concerne les ressources humaines, on note une insuffisance de personnel qualifié, notamment de sages-femmes dans plusieurs Centres de Santé Intégrés (CSI). À cela s’ajoute un déficit de motivation du personnel, lié à l’éloignement de certaines localités et aux conditions de vie particulièrement difficiles. Du côté des ressources matérielles et logistiques, les difficultés sont principalement liées à l’état du parc moto et automobile. La plupart des motos et véhicules sont vétustes. Actuellement, le district ne dispose que d’un seul véhicule en bon état pour assurer la supervision. Il convient également de noter que seulement sept (7) des vingt-sept (27) CSI disposent d’ambulances en état de fonctionnement.
Un autre défi majeur réside dans la vétusté des équipements biomédicaux, l’absence de chambres froides pour la conservation des produits sensibles, ainsi que le manque d’un local ECD adapté et d’un magasin pour le stockage des intrants. Sur le plan sanitaire, les pathologies les plus fréquentes sont le paludisme (première cause de morbidité), les infections respiratoires aiguës (IRA), les diarrhées aiguës et les affections liées à la malnutrition. Le système de surveillance épidémiologique fonctionne correctement, avec une remontée hebdomadaire des données via la plateforme DHIS2. Aucune flambée épidémique majeure n’a été enregistrée ces derniers mois, hormis quelques cas suspects de rougeole, diphtérie et paralysie flasque aiguë (PFA), qui ont été notifiés et investigués. Parmi les principaux obstacles, on peut citer la dispersion géographique des populations, l’accessibilité difficile à certaines zones, le taux élevé d’analphabétisme, certaines résistances socioculturelles, ainsi que le manque de moyens mis à la disposition des relais communautaires. Pour faire face à ces défis, le district renforce le dialogue communautaire, intensifie la formation des relais communautaires et favorise l’implication des leaders coutumiers et religieux.
Qu’en est-il actuellement de la situation maternelle et infantile, la surveillance épidémiologique et les mécanismes de notification entre les structures de base et le district ?
La santé maternelle et infantile demeure une priorité pour le district. Le taux de couverture pour la première consultation prénatale (CPN1) est estimé à 59,86 %, tandis que celui de la quatrième consultation (CPN4) est de 25,93 %. La prévalence contraceptive reste faible, autour de 18,22 % pour les trois premiers trimestres de l’année 2025.
La mortalité maternelle et périnatale est principalement liée aux hémorragies, à l’asphyxie néonatale, aux infections post-partum et aux accouchements à domicile. En ce qui concerne la surveillance épidémiologique, elle est assurée par un système de notification hebdomadaire et immédiate des maladies à potentiel épidémique, depuis les Centres de Santé Intégrés (CSI) vers le district, via WhatsApp, GSM et la plateforme DHIS2. Ces données sont ensuite validées par le point focal EPI/SURV. Les relais communautaires jouent également un rôle important dans la détection précoce des cas, notamment à travers la mise en œuvre de la stratégie communautaire. Cette surveillance repose essentiellement sur l’application du système intégré de monitoring et de réponse rapide aux épidémies (SIMR3e).
Parlant de l’accouchement à domicile, quelles sont les principales causes et quelles sont les stratégies mises en place afin d’améliorer cette situation ?
Le District Sanitaire de Tchirozérine couvre un territoire vaste et en grande partie désertique, avec une population dispersée dans des zones souvent difficiles d’accès. Malgré les efforts considérables du gouvernement et de ses partenaires, les accouchements à domicile demeurent fréquents et constituent l’une des principales causes de décès maternels et néonataux dans le district. Cette situation résulte d’une combinaison de facteurs géographiques, socio-économiques, culturels et organisationnels.
Sur le plan géographique et de l’accessibilité, on note l’éloignement important de nombreux villages par rapport aux Centres de Santé Intégrés (CSI), la difficulté d’accès aux structures de soins, notamment dans les zones nomades et désertiques, ainsi que le manque ou l’insuffisance de moyens de transport d’urgence pour les évacuations obstétricales. Concernant les facteurs socio-économiques et culturels, on observe une forte persistance des pratiques traditionnelles d’accouchement à domicile, souvent assistées par des matrones non formées, une méfiance vis-à-vis des structures sanitaires, ainsi que la pauvreté des ménages et le coût perçu des prestations, qui freinent le recours aux services de maternité. Enfin, en ce qui concerne les facteurs liés au système de santé, on relève une insuffisance de personnel qualifié dans certaines formations sanitaires périphériques, ainsi que des difficultés dans le fonctionnement du système de référence et de contre-référence des urgences obstétricales.
Pour améliorer cette situation, plusieurs stratégies et solutions ont été mises en œuvre. D’abord, l’État a supprimé les frais d’accouchement et réduit de 50 % les tarifs des prestations dans les formations sanitaires publiques, afin d’encourager les femmes à fréquenter les maternités en levant la barrière financière. Ensuite, il y a eu un renforcement du personnel qualifié. Par exemple, dans la Commune Rurale de Tabélot, l’administrateur délégué a recruté 10 agents de santé pour combler le déficit en ressources humaines dans les CSI périphériques, garantissant ainsi une meilleure couverture des accouchements. Concernant les intrants médicaux, les formations sanitaires ont été dotées en médicaments essentiels dans le cadre de la politique nationale de subvention. À Tabélot, une dotation complémentaire en médicaments et consommables médicaux a été effectuée, améliorant la disponibilité et la qualité des soins. Par ailleurs, un système de référence et d’évacuation a été renforcé avec la remise d’une ambulance neuve au CSI communal de Tabélot, facilitant ainsi le transfert rapide des urgences obstétricales. Aussi, grâce à l’appui de l’UNICEF, le District Sanitaire a formé ses agents à la prise en charge des suspicions d’infection bactérienne grave (PSBI) chez le nouveau-né, renforçant ainsi la qualité des soins néonatals.
Le district est le premier de la région d’Agadez à bénéficier de cette formation, qui permet la prise en charge des nouveau-nés malades dans les zones où la référence hospitalière est difficile, réduisant ainsi la mortalité néonatale. Enfin, il y’a la sensibilisation et mobilisation communautaire à travers des activités de communication pour le changement de comportement (CCC) qui sont régulièrement menées par les relais communautaires, en collaboration avec les leaders religieux, traditionnels et les associations de femmes, pour sensibiliser les populations sur l’importance des consultations prénatales (CPN), les avantages des accouchements assistés et les risques liés aux accouchements à domicile.
Plusieurs stratégies sont mises en œuvre pour promouvoir des comportements favorables à la santé. Le district organise régulièrement des causeries éducatives dans les CSI, des émissions radio en langues locales via les radios communautaires, ainsi que des sensibilisations communautaires menées avec l’appui des leaders religieux et des relais communautaires. Ces activités couvrent des thématiques telles que la vaccination, l’hygiène, la nutrition et les consultations prénatales (CPN). Le district bénéficie du soutien de partenaires tels que l’UNICEF, l’OMS, le CRS et Samaritan’s Purse, qui appuient notamment la production de supports IEC et les campagnes intégrées. En septembre 2025, une grande campagne de sensibilisation sur la santé maternelle et infantile, le paludisme et la vaccination a permis de sensibiliser 6 240 personnes, dont 890 femmes enceintes orientées vers les CPN et 452 enfants vers la vaccination, dont 61 enfants à « zéro dose ». Les points forts sont la bonne mobilisation communautaire, l’implication des partenaires et une coordination efficace. Cependant, des difficultés persistent, notamment le manque de carburant, de moyens logistiques et l’accès difficile à certaines zones désertiques.
Docteur, quel est l’impact de la réduction, par le Président de la République, des coûts de consultation sur la population ?
Dans le cadre de la politique sociale initiée par le Président de la République, la réduction des coûts de consultation dans les structures sanitaires publiques vise à garantir un accès équitable aux soins, en particulier pour les populations vulnérables en zones rurales. Au niveau du District Sanitaire de Tchirozérine, cette mesure a été très bien accueillie. Elle a permis une nette amélioration de l’accès aux soins, avec une hausse de la fréquentation des CSI, notamment pour les consultations curatives. Les femmes, les enfants et les ménages à faibles revenus accèdent plus facilement aux services de santé.
Cette réforme a renforcé la confiance entre les communautés et le système de santé, perçue comme un engagement concret du gouvernement envers leur bien-être. Pour accompagner cette mesure, des subventions ont été allouées, permettant l’acquisition de petits matériels médicaux, la dotation en médicaments essentiels, et l’amélioration du fonctionnement des CSI. Cela a contribué à maintenir la qualité des soins à moindre coût. Ces appuis viennent ainsi consolider l’impact de la réduction des tarifs de consultation, en assurant une offre de soins de qualité, continue et financièrement accessible à la population. Les effets conjugués de cette réforme et des mesures d’accompagnement ont permis de réduire les barrières financières à l’accès aux soins de santé, accroître la couverture sanitaire effective de la population du district, améliorer les indicateurs de santé maternelle, néonatale et infantile, renforcer la résilience du système de santé local par une meilleure disponibilité des intrants et du personnel.
Propos recueillis par Ali Maman
ONEP-Agadez
