Comme à l’accoutumée, la Cour des Comptes vient de rendre public son rapport annuel sur la situation comptable de toutes les institutions nationales recevant des subventions publiques de la part de l’Etat. Ce qui nous intéresse particulièrement dans ce rapport, c’est la situation des partis politiques officiellement agréés au Niger.
En effet, il ressort de ce rapport que, sur les 171 partis politiques officiellement reconnus, seuls 18 ont vu leurs comptes publics certifiés conformes aux dispositions légales et réglementaires encadrant le fonctionnement des comptes publics des partis politiques au Niger. Terrible constat ! S’il s’agissait d’un examen de passage, seuls 10% des candidats seraient déclarés admis !
Dire que les partis politiques, qui constituent l’émanation de la classe dirigeante de ce pays, sont les plus mauvais élèves dans l’observance des règles de transparence de gestion des deniers publics ! Cet état de fait n’interroge pas seulement, mais démontre amplement que notre système politique repose sur des fondements éthiques peu solides qui justifient pleinement les errements de notre démocratie partisane. Si au départ, au début des années 90, les intentions étaient nobles car visant à favoriser le pluralisme politique afin de permettre l’expression de toutes les sensibilités au sein de la société, force est de constater, aujourd’hui, que ces louables intentions ont été vite détournées de leur finalité première. En effet, procédant à une lecture diagonale du pluralisme politique dès le début, certains de nos concitoyens avaient cru trouver là un raccourci commode pour leur propre accomplissement en transformant les partis politiques en un véritable fonds de commerce pour leurs familles et leurs clans, travestissant ainsi le bel idéal sur la base duquel on crée et anime un parti politique.
De là certainement naquirent ou apparurent les maux contemporains actuels de démagogie, de clientélisme et surtout d’opportunisme qui caractérisent aujourd’hui la pratique politique au Niger. Que l’on se comprenne bien : tous les partis politiques ne sont pas logés à la même enseigne dans cet état des lieux qui vient d’être fait, à partir du constat qui se dégage de l’examen du rapport actuel de la Cour des Comptes ! En effet, il y a au Niger des partis politiques vertueux, respectables et qui méritent amplement le qualificatif de partis politiques tout simplement.
Cependant, ces partis politiques vertueux constituent, sans doute, l’arbre qui cache la forêt, c’est-à-dire toute cette forêt dense de ‘’partis politiques’’ qui peuplent le monde politique nigérien de tous ces fantômes que l’on voit tous les jours. Incapables de remplir, ne serait-ce qu’une ‘’Faba Faba’’ (Véhicule de transport public de 17 places) d’électeurs, ils sont bien reconnaissables par certains traits distinctifs connus de tous les Nigériens : ils se font pompeusement appeler ‘’Monsieur le Président’’, toujours représentés au Conseil National de Dialogue Politique (CNDP), last but not the least, toujours prompts à donner des consignes de vote pour tel ou tel candidat !
Bien des fois, même aux scrutins locaux, ces partis politiques ne daignent même pas présenter de candidats ! Mieux, certains ne disposent même pas d’un siège social avec des adresses postales bien identifiables. Et pourtant, ces partis politiques sans militants, en dehors du Président et sa famille, ont bel et bien reçu le récépissé du Ministère de l’Intérieur pour leur reconnaissance officielle ! Et à ce titre, chaque année, ils reçoivent des subventions publiques de la part de l’Etat, au même titre que les partis dits ‘’sérieux’’.
Aujourd’hui, la question que tout le monde se pose, c’est celle de savoir d’où ces partis politiques ‘’hors-la loi’’ tirent-ils cette espèce de complaisance, de tolérance, qui fait que jusque-là, malgré les rapports accablants de la Cour des Comptes chaque année à leur sujet, qu’ils puissent continuer à percevoir de l’argent public, mais surtout à polluer l’univers politique national ? En un mot, comment trouver la solution idoine pour assainir et moraliser ce monde politique à la dérive ?
Et voilà que l’on compte aujourd’hui 171 partis politiques légalement reconnus au Niger ! Un record en la matière, depuis que le Bénin de Patrice Talon a occis la tête du monstre partisan qui caractérisait la scène politique béninoise d’avant son arrivée au pouvoir ! Pour anéantir cette hydre dans pays, l’ancien homme d’affaires béninois devenu président avait déjà fait le constat que, si le Bénin contemporain n’avançait pas bien, c’était en partie dû à la pléthore de partis politique et d’organisations syndicales qui pullulaient comme des champignons à tout bout de la rue, et par conséquent, il fallait tout simplement mettre fin à ce désordre politique et institutionnel ! Situation quasi identique au Niger avec 171 partis politiques, une kyrielle de centrales syndicales, et toute une galaxie d’organisations syndicales dans le secteur de l’éducation !
Le Président béninois a trouvé sa recette dans des réformes politiques et institutionnelles qu’il a initiées dans son pays, qui ont consisté soit à contraindre les partis politiques existants à fusionner pour continuer à exister, soit à disparaitre clairement, faute de parrainages nécessaires sur l’ensemble du pays en vue de leur reconnaissance officielle ! Le Rwanda de Paul Kagamé a fait de même en rendant bipartisan le système politique de son pays, où seulement deux partis politiques dominent la scène politique nationale. Tout près de nous, le Nigéria, avec une population dix fois plus grande que celle du Niger, avait déjà trouvé la parade dans le bipartisme partisan de son système politique en se concentrant sur deux grandes formations politiques. C’est le cas aussi au Ghana.
Un peu partout dans le monde, certains pays émergents, aussi bien en Afrique qu’en Asie, ont commencé par comprendre que le multipartisme intégral, dans sa version numérique, était un piège, un gros piège de division et d’absorption des énergies pour des pays en voie de développement. Sans chercher à porter atteinte aux principes démocratiques, il est tout à fait possible de revisiter la notion de démocratie pluraliste en réaménageant l’organisation des forces politiques qui y concourent.
Autrement, officiellement, nous contribuerions à faire le lit de tous ces particularismes qui ne font guère avancer la cause commune, c’est-à-dire la lutte pour le développement économique et social du pays. Le Guide libyen, Mouammar Kadhafi, écrivait, à juste titre, dans son célèbre Livre Vert que ‘’les partis politiques sont les tribus des temps modernes’ ’, c’est-à-dire des regroupements clivants reposant souvent sur des bases purement subjectivistes.
Le Niger contemporain souffre énormément de ce phénomène qui divise profondément les citoyens d’une même nation, alors que leur cohésion devrait être la force qui conduira à la prospérité de tous. Tenez, parmi la trentaine de candidats aux dernières élections présidentielles, une vingtaine d’entre eux n’avait même pas 1% des voix ! Mieux, aux scrutins municipaux, certains de ces partis politiques avaient été pointés avec zéro conseiller pour des élections locales où l’ancrage territorial du parti politique doit être le premier échelon de sa représentativité !
Le Président Bazoum est bien conscient de la dramaturgie de la situation, lui qui pointait déjà la pléthore de candidats à l’élection présidentielle passée, situation qui ne permettait guère une victoire au premier tour, tant les voix ou suffrages à conquérir étaient dispersées entre une trentaine de candidats !
Au regard de tout ce qui précède, vous conviendrez avec nous qu’il y a certainement urgence à rectifier le tir pour que, par une disposition légale, il faille durcir les conditions de création et d’animation d’un parti politique au Niger. Il faudrait que la création et l’animation d’un parti politique retrouvent toute leur noblesse, toute la gravité inhérente à la fonction politique, et mettre ainsi fin à cette conception puérile et récréative que beaucoup ont faite de cette belle association d’idées et d’actions pour construire une société dans laquelle chacun trouvera son compte. Haro donc sur cette conception rentière à laquelle certains ont réduit l’art politique sous nos cieux !
C’est là, sans doute, un des grands chantiers qui attendent le Président Bazoum sur le plan des réformes politiques et institutionnelles !
Par Zakari Alzouma Coulibaly(onep)