Une mère sert une bouillie enrichie à base de produits locaux, sous l’œil curieux des enfants
À Koleram, les femmes n’attendent plus qu’on agisse pour elles. Elles sont en première ligne, actrices de la santé de leurs enfants, avec les moyens de bord et le soutien des relais communautaires. Mais cette mobilisation locale, aussi précieuse soit-elle, a besoin d’appuis concrets pour perdurer et s’étendre à d’autres villages.
Il est midi passé. Une vingtaine de femmes ont pris place sur des nattes étalées à l’ombre des arbres dans la cour de Mme Aïchatou Lawali, le relai communautaire du village de Koleram. À leurs côtés, leurs enfants, du moins les plus petits, adossés ou assis en silence. C’est ici que s’illustre une initiative discrète mais puissante : des mères décidées à barrer la route à la malnutrition.
Elles se réunissent chaque mois pour débattre de thématiques liées à la protection des nourrissons. Elles apprennent des gestes simples de prévention, posent des questions, échangent des stratégies culinaires adaptées aux ressources locales. Les discussions vont bon train. Les mères partagent conseils nutritionnels, expériences personnelles, et parfois, des éclats de rire. L’ambiance est celle d’une communauté unie par une même volonté notamment mieux nourrir, mieux protéger, mieux comprendre.
Non loin du cercle de femmes, une marmite en métal repose sur un feu de bois grésillant. La fumée s’élève lentement, emportant avec elle les senteurs d’un repas fortifiant à base de mil, de niébé, de pâte d’arachide et de feuilles de moringa. Une femme tourne doucement la bouillie avec une longue cuillère en bois. Ce mélange nutritif, préparé collectivement, fait partie des stratégies locales contre la malnutrition infantile. À côté, Mme Saha Kantama, deuxième relai communautaire, échange avec les mères sur les bonnes pratiques alimentaires, avec des gestes précis et pédagogiques.
La cour de Mme Aïchatou Lawali n’est ni un point de distribution ni un centre de soins. C’est un espace vivant, un refuge, où la prévention et l’éducation passent par la proximité, les gestes du quotidien et la chaleur humaine. « Ici, la lutte contre la malnutrition commence par une marmite partagée, des mots échangés et la conviction que le changement se construit ensemble », explique Mme Haboubacar Fassouma Rabiou du CSI de Koleram.
Une approche intégrée, soutenue par les partenaires
Grâce à l’engagement des relais locaux (plus de 25 000 selon le Ministère de la Santé Publique) et au soutien d’organisations comme l’UNICEF et ses partenaires techniques et financiers, la stratégie nationale de lutte contre la malnutrition adopte une approche intégrée : dépistage, soins, sensibilisation, mais aussi appui à la production d’aliments enrichis à base locale. « Ce que nous faisons ici, c’est plus que soigner. Nous prévenons, accompagnons et responsabilisons les mères. Et surtout, nous le faisons avec elles, pas à leur place », explique Aïchatou, agent communautaire depuis une dizaine d’années.
Ancienne bénéficiaire de ces séances culinaires, elle a été formée à prodiguer des conseils nutritionnels aux mères d’enfants non malnutris. Son engagement transparaît dans sa passion qui est prévenir plutôt que guérir. « Aujourd’hui, le menu est simple mais chargé de sens. Nous apprenons aux mères à préparer une bouillie à base de mil, sorgho et niébé, enrichie d’huile d’arachide et de feuilles de moringa séchées, ainsi qu’une purée onctueuse de haricots rouges. Tout est préparé sur place, en groupe », relate Mme Saha Kantama.
Les mères apprécient cette initiative qui, pour beaucoup, a changé leur quotidien. «J’ai compris qu’on n’a pas besoin d’être riche pour bien nourrir un enfant. Ici, j’ai appris à utiliser ce que nous cultivons. C’est très simple, il suffit de savoir comment faire », confie Mariam Sanda, 24 ans, les yeux posés sur son petit garçon.
Les séances alternent démonstrations pratiques et échanges animés. Quels aliments mélanger ? Comment conserver les vitamines ? Que faire si l’enfant refuse de manger ? Aïssata, la doyenne du groupe, répond, corrige, encourage. Les participantes notent mentalement, posent des questions, partagent leurs propres astuces. Elles échangent autant d’expériences que de recettes.
Comme Mariam Sanda, de nombreuses femmes prennent désormais conscience de l’importance d’un suivi régulier. Lors des rencontres à l’occasion d’une quelconque cérémonie, la question de la malnutrition est toujours abordée. Les mères apprennent à préparer des bouillies enrichies, à allaiter exclusivement pendant les six premiers mois, à reconnaître les signes de dénutrition. « Aujourd’hui, les femmes posent beaucoup de questions. Avant, elles se taisaient. Maintenant, elles ne sont plus timides. Elles sont actives et engagées », se réjouit le relai communautaire.
Poursuivre l’élan, renforcer les moyens de lutte
Dans ce village, ce n’est pas un combat héroïque, mais un apprentissage patient, collectif, enraciné dans les réalités du quotidien. Chaque cuillère de bouillie donnée avec amour est une victoire silencieuse contre la malnutrition. Les femmes sont en première ligne, avec les moyens de bord et le soutien des relais communautaires. Mais cette mobilisation locale, aussi précieuse soit-elle, a besoin d’appuis concrets pour durer et se diffuser à d’autres villages.
Renforcer la formation des agents communautaires, leur fournir du matériel de dépistage, appuyer la production locale d’aliments enrichis, redynamiser les liens entre relais et centres de santé, accorder une motivation financière, etc., autant de leviers qui nécessitent un engagement continu des autorités, des partenaires techniques et financiers, et de tous les acteurs impliqués. « Ce que nous faisons ici fonctionne, mais nos moyens sont limités. Avec un peu plus de soutien, nous pourrions toucher encore plus de femmes, sauver encore plus d’enfants. Nous demandons au gouvernement et à ses partenaires de continuer cette œuvre pour le bien de notre communauté », plaide Aïchatou Lawali.
Seini Seydou Zakaria (ONEP), Envoyé spécial
