
Issoufou Kodo, journaliste spécialiste de la lutte traditionnelle et promoteur de la «coupe Halirou Bokoye»
Du 26 au 28 septembre 2025, l’arène de lutte traditionnelle de Niamey a vibré au rythme de la première édition de la ‘’coupe Halirou Bakoye’’, initiée par Issoufou Kodo, journaliste et spécialiste de la lutte traditionnelle. Il a organisé ce tournoi, qui a regroupé 16 lutteurs venus de toutes les régions du Niger, pour s’affronter, en hommage à feu Halirou Bakoye, ancien animateur émérite de la RTN (Radio et Télévision du Niger), décédé en février 2022. Avec ses commentaires passionnants, riches en humour, il reste une figure emblématique qui a marqué d’une empreinte indélébile l’histoire de la lutte traditionnelle lors des retransmissions en direct. Dans cette interview, Issoufou Kodo revient sur le bienfondé de ce tournoi et surtout son apport pour la lutte, considérée comme ‘’sport roi’’ au Niger.
Durant trois jours, vous avez rendu, avec l’ensemble de l’équipe qui vous a accompagné, un hommage à la mémoire du défunt Halirou Bakoye. Pourquoi une telle initiative ?
Merci pour cette opportunité et pour l’accompagnement. Pour répondre à votre question, permettez-moi de rappeler que j’ai déjà eu à le souligner dans mes précédents commentaires : si la Coupe Halirou Bakoye n’existait pas, il aurait fallu la créer. Vous connaissez le lien particulier que j’entretenais avec l’illustre disparu. Nous étions unis par le travail, et au fil du temps, nous sommes devenus comme des frères. Pour moi, c’est donc la seule et unique manière de lui rendre hommage, à ma façon. Partout où nous sommes passés, l’initiative a été saluée. Certains ont même exprimé leur regret que cela n’ait pas été lancé plus tôt, en se demandant pourquoi nous avions attendu aussi longtemps. Mais aujourd’hui, l’essentiel est là. Comme vous avez pu le constater, nous avons fait de notre mieux pour lui rendre un hommage digne et solennel. C’était notre objectif principal.
Qu’est-ce que Halirou Bakoye représente pour vous ?
Vraiment, c’est une question délicate, presque piégeuse. Je suis même un peu hésitant à parler de ce personnage, tant il était humble, modeste, mais doté d’un immense bagage intellectuel. À ses débuts, il m’avait demandé s’il pouvait réellement exercer ce métier. Je lui ai répondu sans hésiter, bien sûr que oui, tu as toutes les qualités nécessaires. Dès le départ, on sentait en lui quelqu’un de prometteur, capable de combler un vide dans ce domaine. Et les faits nous ont donné raison. Il a commencé en 1993 à animer et commenter des combats de lutte dans sa ville natale, Maradi. À partir de 1995-1996, Halirou Bakoye a littéralement ravi la vedette à ses aînés, ceux qu’il avait trouvés dans le métier. Il s’est imposé par la force de son verbe, c’était un tribun, un orateur né, avec une maîtrise remarquable de la langue haoussa, une langue aussi vivante et expressive. Et Halirou Bakoye ne se gênait pas pour la manier avec talent.
Quel bilan tirez-vous de cette première édition ?
En réalité, dans notre esprit, il ne s’agit pas d’un bilan au sens strict du terme. Parce que lorsqu’on parle de bilan, on pense tout de suite à l’aspect financier ou à des éléments chiffrés. Non ! Pour moi, c’est avant tout une satisfaction morale d’avoir pu organiser cette édition. J’avais inscrit cet événement dans mon programme depuis son décès. Cela me trottait dans la tête, je dois lui rendre hommage. Je me suis dit qu’il fallait que je relève ce défi, que je tienne ce pari. Donc, en termes de bilan, il ne s’agit pas d’argent, mais plutôt d’autosatisfaction, et surtout de la satisfaction totale de sa famille, de ses enfants, de ses petits-enfants. Je pense que tout le monde a pu le constater, c’était réussi. Et moi, franchement, je me sens soulagé. Soulagé d’avoir accompli une dette morale envers lui.
Certes les arènes ne sont pas nouvelles pour vous, mais organiser un tournoi est une première expérience pour vous. Quelles ont été les principales difficultés rencontrées lors de l’organisation de ce tournoi et comment les avez-vous surmontées ?
Je vous remercie pour cette question très pertinente. Vous savez, quand on parle d’expérience, on oubli de rappeler qu’elle n’a pas de limite, et c’est vrai. Je comptabilise 48 ans en termes de participation aux différentes éditions de lutte traditionnelle. 48 ans de lutte ! Mais je n’ai jamais su comment l’organisation se faisait. Je ne me suis pas approché de cet aspect organisationnel ou administratif, mes actions, mes connaissances, mes expériences, se sont limitées sur le terrain et sur le jeu. Mais laissez-moi vous dire que cela fut fastidieux. L’organisation était autre chose. Il y a la sensibilité. Vous venez, ici et là, parfois on vous reçoit, ailleurs, à peine on vous sourit. Et quelque part, on ne vous regarde même pas. Vous vous dérangez, mais il faut se mobiliser. Sans vous cacher, il n’y a pas de secret dans ce qu’on a fait. Je suis allé avec un budget provisionnel de plus de 30 millions. Avec notre idée d’organiser cet événement-là à Maradi, parce que je le disais c’était sa région natale et c’est là où il a commencé ses premiers pas dans le domaine de la lutte. Mais après analyse et constat fait, nous nous sommes rendus compte que ce serait très difficile pour nous de tenir. Et nous sommes partis encore pour innover, pour encore donner un cachet particulier à cet événement-là, avec 3 lutteurs par région, donc 24 lutteurs. On a vu encore que cela va nous coûter encore plus cher. Voilà. Et puis avec tous les déplacements, nous sommes obligés d’arrondir. On a arrondi le budget à 22 millions.
A 22 millions encore, on ne pouvait pas. On est revenu à 17 millions. Là aussi, c’était autre chose. Finalement, on était obligé de réduire à peine à une dizaine de millions pour faire cet événement en toute modestie. Et vous avez vu, personne n’a senti cette pesanteur financière par rapport à ce que nous avons organisé. Vous avez vu l’ardoise que nous avons débloquée pour les lutteurs, à savoir : un million de francs CFA pour le vainqueur, 750 000FCFA pour le deuxième, 500 000FCFA pour le troisième et 300 000FCFA pour le quatrième, 120 000FCFA pour chacun de ceux qui sont éliminés en quarts de finale et 100 000 FCFA à chacun des lutteurs tombés dès le premier jour. Vous faites ces calculs sans tenir compte de l’hébergement, les déplacements… bref, pour nous, ce n’est pas cela l’essentiel. Mais, pour revenir à votre question, l’organisation a été très difficile. J’ai vécu une autre expérience loin d’être une expérience de technique de combat mais plutôt une technique de maîtrise de finance et de management.
Alors, pouvez-vous revenir sur les palmarès et surtout sur l’aspect technique de cette première édition ?
Bon ! Exceptionnellement, ce n’est pas Kodo l’acteur le mieux indiqué aujourd’hui pour répondre à cette question. Vous avez bien vu, j’ai une autre tâche à travers cette coupe. Je suis l’un des parrains de cette organisation. Je n’ai pas eu l’œil attentif sur les différents combats. Mais, ce que je veux vous dire par rapport à nos lutteurs, c’est nous qui avions émis ce choix. Voyez-vous, on ne peut pas résumer la lutte nigérienne sur quatre lutteurs seulement. Et quand vous regardez maintenant, tous les différents combats avec une lecture technique, vous allez vous rendre compte, à travers les chutes, les combinaisons, les modèles, que ces lutteurs ont de l’avenir et, nous, c’est ce que nous cherchons.
Quel avenir souhaitez-vous donner à cette initiative pour la perpétuer au vu de l’engouement qu’elle a suscité.
Oui ! Nous sommes bel et bien partis pour l’institutionnalisation de cet événement. Et j’ai l’impression qu’il va même nous être arraché, ce qui serait une très bonne chose. Pourquoi ? Parce que, dans les coulisses, j’ai entendu que les autorités commencent à s’y intéresser, à vouloir s’impliquer dans cette activité. Et c’est exactement ce que nous recherchions. Je suis convaincu que cette coupe, dédiée à Halirou Bakoye, va devenir un événement pérenne. D’ailleurs, vous avez pu constater la composition des équipes, essentiellement formées de jeunes lutteurs. Certes, nous sommes un pays de lutte, mais depuis quelque temps, la lutte nigérienne semble se résumer à 4 ou 5 figures emblématiques. Et pour moi, c’est aberrant. Il est temps d’ouvrir l’espace, de donner la chance à la relève, à ces jeunes lutteurs pleins de potentiel.
Avez-vous un message particulier à adresser à ceux qui ont cru en ce projet ?
Absolument ! J’ai des exemples concrets de camarades qui m’ont énormément soutenu. Je pense notamment à la Fada Halirou Bakoye, située au siège de la RTN (Radio et Télévision du Niger). Ce sont les premiers à m’avoir encouragé, malgré tous les obstacles. Nous sommes partis de zéro, sans aucun moyen. Et aujourd’hui, nous avons atteint notre objectif. Un grand merci à tous les acteurs, toutes les structures, les sponsors et toutes les bonnes volontés qui nous ont accompagnés et soutenus dans ce projet.
Interview réalisée par Abdoul-Aziz Ibrahim (ONEP)