
La Tabaski, fête du sacrifice et du partage, est devenue ces dernières années un révélateur criant de nos paradoxes sociaux. À l’origine, c’est une célébration religieuse, qui prône la foi, la solidarité et l’humilité. Mais aujourd’hui, cette fête tend à prendre un tout autre visage : celui d’une vitrine sociale où l’on expose sa réussite, parfois même au prix de l’endettement et de la pression sociale.
Dans de nombreuses familles, l’achat du mouton est devenu une compétition silencieuse. Il ne s’agit plus seulement de satisfaire à un devoir religieux, mais de faire mieux que le voisin, le parent ou l’ami. On scrute les cornes, le poids, la taille du bélier, comme on comparerait des trophées. Ceux qui n’ont pas les moyens se sentent exclus, jugés ou honteux, quand bien même leur foi serait intacte.
Et ce n’est pas tout, les tenues de fête rivalisent de couleurs et les réseaux sociaux amplifient cette course. On y voit défiler des photos soignées, des tables garnies. Le tout souvent plus destiné à impressionner qu’à remercier ou partager. Dans l’ombre de cette effervescence, la réalité de certains foyers est bien plus amère. Des familles modestes qui arrivent à peine à nourrir convenablement leurs enfants au quotidien, se saignent pour acheter un mouton, juste pour ne pas ‘‘paraître trop pauvres’’ aux yeux des autres. L’apparence devient plus importante que le sens de la fête. Le jugement social écrase la liberté de chacun.
On oublie que la fête de Tabaski, au-delà de ce sacrifice, est un moment de partage, de solidarité et de générosité. Pourtant, tout cela semble s’effacer peu à peu derrière des habitudes mal orientées.
On voit de plus en plus de familles donner les plus belles parts de viande à ceux qui n’en ont pas forcément besoin notamment les proches bien nantis, les familles déjà bien servies, bien approvisionnées. Et les véritables nécessiteux ? Ils sont parfois oubliés, parfois servis en dernier, avec des petites parts ou des morceaux symboliques, à peine suffisants.
Or, l’Islam est clair : la viande du sacrifice doit d’abord aller aux pauvres, aux plus démunis, à ceux qui, peut-être, n’auront accès à la viande que ce jour-là. C’est une recommandation divine, pas une option. Donner aux nécessiteux est un acte de foi, un devoir moral et religieux.
Au fond, la Tabaski devrait nous rappeler les vraies valeurs qui sont la foi, l’altruisme, le partage sincère. Il serait peut-être temps de sortir de cette spirale pour revenir à l’essentiel. Il est temps de se poser les bonnes questions : donnons-nous par tradition ou par conviction ? Que chacun se rappelle que le plus grand mérite ne réside pas dans la quantité de viande consommée en famille, mais dans la qualité du geste posé envers celui qui n’a rien.
Aminatou Seydou Harouna (ONEP)