
Le divorce fait partie des événements qui marquent les personnes concernées avec des répercussions psychologiques distinctes. Son effet est souvent assimilé à la perte d’un proche, car il entraîne la dislocation d’une relation importante et la cessation d’un mode de vie habituel. En effet, certaines personnes traversent cette période cruciale semblable à celle qui suit la mort d’un être aimé, allant de la colère au mépris, ou à la dépression.
En parlant de divorce, on semble plus se focaliser sur les chiffres pour évaluer l’ampleur du phénomène. On perd ainsi de vue le sort de la femme ou l’homme qui souffrent des séquelles de cette séparation dont les conséquences se répercutent sur le devenir des enfants issus du couple disloqué. À Niamey où, en 2021, l’Association islamique du Niger (AIN) a enregistré plus de 3.088 divorces, puis récemment 1433 cas en 2024, sans compter ceux prononcés au tribunal ou de façon coutumière, beaucoup de femmes, particulièrement les jeunes, souffrent en silence, mais ne parlent presque jamais des troubles post divorce qu’elles endurent.
Pour le commun, le sort immédiat d’une femme divorcée se limite à son déménagement, au retour chez ses parents ou des proches, à s’en remettre et à s’ouvrir à d’autres prétendants, souvent sous une pression sociale. Et ils sont rares, les parents ou proches à se soucier de l’état psychologique de la femme. Dans certains cas, mère, mais de nouveau célibataire, la jeune divorcée doit non seulement s’occuper des enfants, mais aussi s’entretenir au mieux qu’elle le peut pour espérer se remarier.
Dans beaucoup de traditions nigériennes, la femme est le plus souvent celle qui endosse le tort dans les conflits conjugaux. La femme est indexée, car, du fait de la discipline, de la patience et de l’obéissance qu’elle doit incarner, elle est considérée comme étant la garante d’une relation durable et solide. Mais certaines estiment être allées jusqu’au bout de leurs limites.
« Nous sommes dans un monde ou quand un mariage échoue, on accuse la femme. Personnellement, cela fait des années que certains membres de ma famille ne savent pas que je suis divorcée, parce que j’ai honte qu’ils me pointent du doigt, car j’ai échoué dans cette étape si importante de la vie de tout individu », explique une jeune dame qui a préféré gardé l’anonymat. Triste et non pas fière, dans sa nouvelle vie, elle assume pour autant son choix d’avoir quitté un mari « menteur, hargneux » et très peu soucieux de l’adoration divine. Selon ses propres dires, la jeune dame a du mal à oublier, à se réadapter et aller de l’avant. « Aujourd’hui, j’ai du mal à faire confiance, car pour moi tous les hommes sont les mêmes », a-t-elle confié.
Ce désespoir est si visible sur les visages des femmes ainsi que des hommes, durement éprouvés par ces événements qui laissent une empreinte indélébile sur leurs vies. « Je vivais en parfaite harmonie avec ma femme, après son accouchement, elle a regagné le domicile de ses parents pour suivre la traditionnelle quarantaine. Soudain, je n’ai rien vu venir, elle m’a demandé de lui envoyer son papier de divorce », raconte Moussa, un homme qui sort très affecté d’un divorce. Pour Moussa, c’était la pire des expériences qu’il pouvait vivre, un arrêt brusque qui, malgré le temps, le tourmente encore et encore. Il se rappelle avec nostalgie, les moments de bonheur et de plaisir qu’ils ont vécus. Mais, tout ceci a basculé en un clin d’oeil. « J’étais dans la dépression totale, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, ni ce qui s’est passé, j’ai passé des mois sans savoir vraiment qui j’étais, je me demandais qu’est-ce qui n’a pas marché ? Qu’est-ce que j’ai fait de travers pour qu’elle me demande le divorce d’un coup », se questionne-t-il.
Trois (3) ans de bonheur se sont éclipsés en une seule fraction de seconde. Un arrêt brusque, du jour au lendemain, un choc qui chamboula à jamais la vie de Moussa. « Je ne m’attendais pas à cette tournure d’un coup, parce que je croyais me marier avec la bonne personne. On partageait l’amour fou, et je lui ai tout donné, tout ce dont une femme peut rêver dans le foyer. Son grand frère était mon ami et ce divorce a impacté nos liens d’amitié, ce n’est plus comme avant », regrette Moussa.
Des conséquences psychologiques, à surveiller de près
Lorsque survient un divorce, il peut entraîner une multitude de réactions émotionnelles, oscillant entre tristesse et colère, en passant par le soulagement ou la culpabilité. Il est courant de ressentir du chagrin, de la dépression et de l’anxiété pour la personne vivant la séparation. Ces sentiments sont parfois renforcés par des facteurs tels que des conflits, des soucis financiers ou des difficultés liées à la garde des enfants. Comme le souligne le Psychologue Pr Mamadel Bassirou Issa, responsable du département de psychologie à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, le divorce peut s’avérer être une source de souffrance psychologique pour celui qui a le plus d’attachement au mariage, entraînant des signes de stress aigu qui peuvent débuter par un inconfort psychologique léger, puis évoluer vers des douleurs plus profondes, caractérisées par une angoisse continue suivie de dépression.

« Chez les personnes récemment divorcées, il faut faire très attention et les observer après leur divorce, voir si leur comportement a changé, si elles commencent à se détourner de la vie, à perdre goût à la nourriture, aux causeries où à se renfermer sur elles-mêmes. Ce sont des éléments très dangereux qui nécessitent une alerte parce que, dans ce genre de situations, c’est comme si la personne est en train de tendre vers la souffrance psychologique profonde », a-t-il souligné avant d’ajouter que la réaction au divorce varie d’une personne à l’autre, certaines pouvant ressentir des effets psychologiques plus intenses que d’autres.
Pour PhD Modibo Coulibaly, professeur des universités du CAMES, un autre psychologue, la surveillance attentive des manifestations comportementales constitue une responsabilité partagée entre l’entourage et les professionnels de santé. Bien qu’il n’existe pas de cause unique au suicide, la convergence de facteurs de stress et de problèmes de santé peut créer une expérience de désespoir. Certains indicateurs doivent susciter une vigilance accrue, notamment le repli social total, l’expression d’idées suicidaires même de manière indirecte, les propos traduisant un désespoir profond tels que «la vie ne vaut plus la peine», ainsi que la négligence de soi manifestée par l’arrêt de l’alimentation prolongé, l’abandon des responsabilités parentales ou des activités quotidiennes.
« Par ailleurs, l’apparition ou l’aggravation de conduites addictives consécutivement au divorce constitue un signal d’alarme majeur. Ces manifestations témoignent d’une détresse psychologique profonde nécessitant une intervention spécialisée urgente. Les données épidémiologiques révèlent que trois troubles – la phobie spécifique, la dépression majeure et l’abus d’alcool – sont associés aux proportions de risque attribuable les plus élevées concernant tant le mariage que le divorce. Des études convergentes démontrent que la rupture conjugale peut constituer un facteur déclencheur de dépression sévère et de comportements suicidaires, particulièrement chez les hommes », a mentionné PhD Modibo Coulibaly avant de prévenir qu’il convient donc de ne jamais minimiser l’expression d’idées suicidaires ou une souffrance persistante sur plusieurs mois, car une intervention précoce peut s’avérer vitale.
Quid des enfants et de leur éducation ?
Les enfants sont considérés comme les premières victimes du divorce, en raison de leur vulnérabilité et de leur dépendance. Dans le contexte nigérien, ce sont souvent les mères et leurs enfants qui subissent le plus durement les contrecoups de la séparation. La scène est tristement classique : une femme répudiée ou divorcée est contrainte de quitter le domicile conjugal avec ses jeunes enfants pour se réfugier dans sa famille d’origine. Souvent sans ressources propres, elle doit alors compter sur la solidarité de sa famille élargie pour subvenir aux besoins des enfants. Cette entraide familiale constitue un facteur protecteur important dans la culture nigérienne, mais elle a ses limites lorsque la famille d’accueil vit elle-même dans la précarité. De plus, le soutien du père de ses enfants fait souvent défaut : dans la plupart des cas, le père ne verse pas la pension alimentaire pourtant décidée par le juge, laissant la mère assumer seule la charge des enfants.

Selon Ph.D. Modibo Coulibaly, les recherches à travers le monde et les constats locaux convergent pour montrer que le divorce parental affecte profondément la santé mentale des enfants. Sur le plan émotionnel, l’enfant éprouve le plus souvent un mélange de tristesse, d’angoisse, de peur et de culpabilité. Il peut développer un sentiment d’insécurité affective, se croire abandonné par le parent qui n’est plus présent au foyer, ou même s’imaginer responsable de la séparation. « Des psychologues notent que les enfants de parents divorcés présentent fréquemment une humeur dépressive, une plus faible estime de soi et une détresse émotionnelle élevée. Sur le plan comportemental et social, les conséquences sont également significatives. Les enfants du divorce sont surreprésentés parmi ceux qui rencontrent des difficultés scolaires (baisse de la concentration et des résultats, refus de l’école ou même décrochage scolaire prématuré) », a-t-il dit.
Les conséquences psychologiques du divorce sur les enfants nigériens commencent, selon ce spécialiste, à être mieux documentées grâce à des recherches locales et des témoignages recueillis sur le terrain. Ainsi, une étude ethnographique menée au Sahel met en lumière la stigmatisation spécifique dont souffrent ces enfants. Ils sont souvent exclus des catégories officielles d’« enfants en danger », qui privilégient les orphelins, et peinent donc à obtenir de l’aide. Cette étude, a-t-il dit, rapporte des paroles édifiantes de grand-mères ou de tuteurs disant qu’un enfant de divorcés est presque à plaindre davantage qu’un orphelin, tant son statut est mal considéré.
Les répercussions du divorce vont jusqu’à impacter la sérénité des enfants dans leur avenir. C’est le cas d’une dame âgée de la trentaine dont les parents se sont séparés alors qu’elle n’était qu’au collège. « Avant leur divorce, j’ai constaté pendant un certain temps qu’il n’y avait pas une bonne entente entre mes deux parents. Étant la plus jeune, mes frères aînés comprenaient la situation. Une fois je rentrais de l’école, j’ai noté que l’ambiance était différente, ce n’était pas ce à quoi j’étais habituée. Puis un autre soir, en rentrant, j’ai trouvé mes frères silencieux, et pour la première fois, j’ai vu ma mère en larmes. Aujourd’hui encore, lorsque je repense à ces moments, je ressens la même douleur », se désole la jeune dame, mariée et mère de 2 enfants. «Cette histoire sera à jamais ancrée dans mon souvenir, c’est une épreuve très pénible que je ne souhaite sincèrement à personne. J’ai eu du mal à aller de l’avant, c’est intolérable. J’espérais que ce serait temporaire, mais hélas, cela s’est révélé être un cauchemar devenu réel», se lamente-t-elle.
Une pédagogue de Niamey a noté chez de jeunes élèves dont les parents viennent de se séparer des signes de détresse dissimulée. « Ils souffrent en silence et cela met leurs études en péril », dit-elle. Une psychologue travaillant dans une ONG locale témoigne avoir fréquemment en consultation des enfants ou adolescents présentant des symptômes anxieux ou dépressifs liés à un climat familial conflictuel ou à l’absence d’un parent après un divorce. Les enfants parlent de peur de l’abandon, de colère contre l’un des parents, ou expriment une grande tristesse qu’ils n’osent pas montrer à la maison. Un adolescent de 16 ans confié à un animateur social a déclaré : « Je fais des bêtises dehors, mais c’est pour oublier qu’à la maison, mon père ne vient plus et ma mère pleure tout le temps ». Ce genre de témoignage illustre le mal-être diffus que le divorce peut engendrer à l’adolescence, parfois canalisé dans la délinquance faute d’accompagnement.
Signes de détresse mentale chez les personnes récemment divorcées
La dissolution du lien conjugal représente l’un des événements de vie les plus stressants qu’un individu puisse traverser, se positionnant au second rang des facteurs de stress majeurs après le décès du conjoint, selon l’American Institute of Stress. Cette transition de vie particulièrement éprouvante est susceptible d’engendrer une détresse psychologique significative qui se manifeste à travers un spectre complexe de symptômes à la fois émotionnels et somatiques. En premier lieu, la dimension émotionnelle se caractérise par l’émergence d’une tristesse profonde accompagnée de crises de larmes récurrentes. Cette manifestation dépressive, documentée dans de nombreuses études s’accompagne fréquemment de pleurs incontrôlables et d’un sentiment envahissant de désespoir.
Par ailleurs, les individus concernés rapportent des sentiments d’humiliation et de rejet consécutifs à la rupture, témoignant de l’atteinte narcissique profonde que constitue l’échec conjugal. « Une étude de 2003 a même établi qu’un divorce récent était associé à un risque accru de première admission psychiatrique pour dépression. Concomitamment à ces manifestations émotionnelles, les perturbations du sommeil constituent une problématique prévalente. L’anxiété inhérente à la séparation génère fréquemment des épisodes d’insomnie ainsi que des cauchemars récurrents. Comme le soulignent les observations cliniques, le stress du divorce peut causer un manque de sommeil, de la dépression, de la fatigue et de l’apathie chez les personnes affectées », souligne le psychologue.
D’après PhD Modibo Coulibaly, ces symptômes s’inscrivent dans un tableau plus large où les divorcés rapportent généralement une santé physique et mentale détériorée, ainsi que davantage de symptômes de stress, d’anxiété, de dépression et d’isolement social comparativement à la population générale. Au niveau somatique, les modifications de l’appétit et du poids corporel représentent des indicateurs fréquents de la détresse post-divorce. Cette dernière s’accompagne souvent d’une diminution marquée de l’appétit, de troubles digestifs et d’un désintérêt généralisé pour l’alimentation, pouvant conduire à un amaigrissement significatif. Parallèlement, dit-il dit, les manifestations anxieuses et l’irritabilité constituent des réponses adaptatives fréquentes face à l’incertitude et aux bouleversements existentiels.
Les changements de vie abrupts peuvent précipiter l’émergence de troubles anxieux caractérisés, incluant crises d’angoisse et attaques de panique, ainsi qu’une irritabilité exacerbée.
Les recherches convergent pour souligner que le divorce s’accompagne systématiquement d’une augmentation de l’anxiété et du stress psychologique. « Le retrait social et l’isolement constituent des mécanismes défensifs fréquemment observés. Les personnes divorcées manifestent une propension au repli sur soi, caractérisée par l’évitement des interactions sociales et le retrait progressif de la vie familiale et communautaire. Cette distanciation, motivée par des sentiments de honte ou de douleur psychique, peut paradoxalement aggraver le sentiment de solitude et perpétuer un cercle vicieux d’isolement. Les analyses de modération révèlent que certains facteurs sociodémographiques, notamment le fait d’être femme, sans emploi, sans enfant ou avec un niveau d’éducation inférieur, constituent des facteurs de risque supplémentaires pour les problèmes de santé physique post-divorce », a-t-il ajouté.
Cette constellation de symptômes psychosomatiques témoigne de l’intrication profonde entre le traumatisme psychique de la séparation conjugale et ses répercussions corporelles, soulignant la nécessité d’une prise en charge holistique et multidisciplinaire des personnes traversant cette épreuve existentielle majeure.
Il faut rappeler, qu’en islam, après un divorce, la femme est soumise à une période d’attente (Iddah) d’environ trois mois, pendant laquelle elle ne peut pas se remarier. Cette période permet de vérifier si elle est enceinte et de laisser une chance de réconciliation avec l’ex-époux. La femme a droit à sa mahr (dot) et à une pension alimentaire si elle en a besoin. La garde des enfants en bas âge est généralement attribuée à la mère, mais cela peut varier en fonction des circonstances.
Fatiyatou Inoussa (ONEP)