
Des fonctionnalités qui fascinent particulèrement la jeunesse
Perçue comme une technologie capable de transformer et stimuler le développement local, l’Intelligence Artificielle (IA) suscite de grands débats au Niger. Entre gains de productivité et risques divers, les experts appellent à un usage encadré et profitable à tous.
L’Intelligence Artificielle (IA) est un ensemble de systèmes et programmes informatiques capables de reproduire certaines fonctions de l’esprit humain. De nos jours, cette technologie est perçue à la fois comme une opportunité et comme une source de risques potentiels. Dans de nombreux domaines, l’Intelligence Artificielle permet de faciliter l’accès à l’information, d’améliorer la qualité des analyses et de renforcer l’efficacité des processus. Les chercheurs peuvent, par exemple, s’appuyer sur des outils d’analyse de données massives ou « big data » afin de dégager de nouvelles tendances et les enseignants pour personnaliser l’apprentissage ou automatiser certaines évaluations. « Elle représente, comme toutes les avancées technologiques, une importante opportunité qu’il faut savoir judicieusement utiliser », prévient Pr Abdelaziz Issa Daouda, coordinateur du Master Communication Multimédia à l’Université Abdou Moumouni de Niamey.
Selon Pr Abdelaziz Issa Daouda, même si l’IA offre des fonctions intéressantes comme la traduction des textes, la génération des résumés ou des quiz avec des réponses instantanées et des suggestions ou des simulations, elle ne peut remplacer la richesse de l’intelligence humaine. « Au niveau de l’interaction pédagogique, comme par exemple, adapter une leçon à un élève, improviser, ressentir des besoins implicites, tout cela relève de l’intelligence humaine. Ce sont des opérations que l’intelligence artificielle peine encore à réaliser aussi finement que le cerveau humain », a-t-il déclaré.

Par ailleurs, le Professeur Abdelaziz Issa Daouda pense que l’IA peut encourager une certaine paresse des étudiants, comme la tricherie ou le plagiat bien que les universités utilisent des outils pour détecter les contenus utilisés dans les travaux, sans citer les sources ou les passages ayant recours à l’intelligence artificielle. « C’est le cas des établissements sérieux, notamment les établissements membres du CAMES, comme toutes les universités publiques du Niger, par exemple », a-t-il indiqué.
Pour lui, la meilleure façon d’encadrer les étudiants afin de décourager les utilisations non éthiques de l’IA, c’est d’abord de leur montrer comment utiliser ses outils pour faciliter les travaux et ensuite les sensibiliser sur la disponibilité des outils de détection de tricherie ou de plagiat. « Ce sont l’élément de prévention et l’élément de sanction qui représentent absolument les deux leviers sur lesquels on peut jouer afin d’encadrer l’utilisation de l’IA par les étudiants », a-t-il relevé.
« L’Afrique ne doit pas rater le train ; elle doit être au cœur de cette révolution technologique»
De son côté, M. Souleymane Oumarou Brah, journaliste et expert en Fact checking, a déploré le manque de volonté des médias pour s’approprier les moyens de renforcer leurs compétences et capacités pour bien profiter des atouts de l’IA. « La méconnaissance des avantages et inconvénients de l’IA conduit beaucoup de professionnels et même certains médias à critiquer et à demeurer dans le système classique », a-t-il dit. Selon lui, certains pensent que tout ce que l’IA génère est douteux et n’a aucune fiabilité bien qu’elle ait de choses assez positives pour le travail des médias, comme par exemple sa diversité linguistique d’une centaine de langues. « C’est une aubaine pour les médias de proposer des traductions en langues locales », a expliqué le journaliste.

De plus, pense-t-il, il y a plusieurs zones d’ombres non débattues surtout dans nos pays sur l’utilisation des données et surtout l’absence de régulation. Selon lui, dans le contexte actuel de nos pays de l’Alliance des États du Sahel, où la désinformation est devenue un moyen de propagande et de manipulation, des contenus générés par l’IA sont mis à contribution pour semer le doute, dans de nombreuses situations. Il appelle les usagers à se tenir vigilants et prudents quant aux contenus reçus et partagés en ligne et aussi les médias à promouvoir l’éducation numérique afin d’aider les citoyens à mieux comprendre ces enjeux et pouvoir défendre leurs droits.
Pour sa part, le juriste Abdou Malam Garba, spécialiste en Droit et Gestion des TIC, explique l’importance de la protection de la population à la fois contre les usages abusifs et la conception non éthique des programmes de l’IA car, pour générer de l’information, elle utilise des données de tout genre notamment celles à caractère personnel d’où l’éventuel risque d’atteinte à la vie privée dans la mesure où les principes de consentement et de transparence ne sont pas respectés. « Elle se caractérise par sa complexité, son opacité, son manque de transparence dans le traitement des données et surtout par une certaine autonomie, qui tend à réduire l’intervention humaine », souligne le juriste.

Il précise également qu’au Niger, malgré l’absence d’un cadre spécifique, certains textes juridiques de portée générale peuvent s’appliquer bien que cette application puisse connaître des limites. « C’est le cas de la loi n° 2022-59 du 16 décembre 2022, qui est relative à la protection des données à caractère personnel, qui encadre leur traitement, quel qu’en soit le type de technologie qui est utilisé », a-t-il indiqué avant d’expliquer que c’est une loi qui impose spécifiquement aux développeurs, fabricants et fournisseurs de services en intelligence, opérant à partir du territoire national, une obligation déclarative auprès de la HAPDP. Il a également rappelé que la Convention cadre du Conseil de l’Europe sur l’intelligence artificielle et les droits de l’homme, la démocratie et l’état de droit du 5 septembre 2024 est aussi un instrument juridique global ouvert à l’adhésion de tous les États non membres du Conseil de l’Europe.
L’adoption d’un cadre juridique plus adapté encouragera, selon lui, un écosystème favorable à l’émergence de startups et d’entreprises locales spécialisées dans l’IA et permettre l’amélioration des domaines tels que la santé, l’agriculture et les services financiers. Pour ce faire, il pense que la souveraineté numérique est nécessaire car la majorité des infrastructures, des plateformes et des données utilisées pour entraîner les systèmes d’IA appartiennent à de grandes firmes étrangères. Dans cette perspective, il suggère le développement des programmes de formation spécialisés dans le domaine ainsi que l’exploitation des données publiques ou « open data » pour un usage profitable à tous. « Je pense que cette fois-ci, l’Afrique ne doit pas rater le train. Elle doit être au cœur de cette révolution technologique transformatrice dans tous les domaines », a-t-il déclaré.
Laksaci Mouhammad (Stagiaire)