L’urbanisation galopante, combinée à des saisons de pluies de plus en plus humides, met à mal les stratégies nationales qui promeuvent la protection sanitaire des populations, surtout au Sahel. Avec des cycles rapprochés d’inondations et la formation de nouveaux points de stagnations des eaux favorables à la prolifération des moustiques, le paludisme prend de l’ampleur d’année en année dans les foyers. Au Niger, malgré le coup dur apporté par la première vague de COVID-19 sur les activités de prévention, l’utilisation combinée de la Chimio-prévention du paludisme saisonnier (CPS) et des Moustiquaires imprégnées à longue durée d’action (MILDA) permet de réduire significativement les cas de paludisme en général, et des formes graves en particulier. Les efforts du Gouvernement et de ses partenaires portés sur la sensibilisation, gage d’une bonne prévention, produisent des résultats positifs qui demandent à être renforcés.
Les fortes précipitations qui se succèdent désormais, finissent par occasionner une stagnation des eaux en des endroits inhabituels. Ce qui a pour conséquence immédiate de favoriser la prolifération non seulement des pathologies liées à l’eau, mais surtout celle de l’anophèle femelle qui transmet le plasmodium, vecteur du paludisme. Suite à la multiplication des zones humides permanentes et semi-permanentes, les autorités en charge de la lutte contre le paludisme dans le pays ont annoncé une augmentation des cas de paludisme et du nombre de décès en lien, en partie, avec la suspension des activités de prévention pendant la première vague de COVID-19. Depuis peu, les activités ont repris et des consommables sont mis gratuitement à la disposition de la population dans les formations sanitaires publiques.
Dans cette course pour assurer un service sanitaire adéquat à la population, les autorités nigériennes et leurs partenaires investissent massivement dans la distribution de Moustiquaires imprégnées à longue durée d’action (MILDA) et dans la Chimio-prévention du paludisme saisonnier (CPS). Cette dernière, recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) aux pays du Sahel à partir du mars 2012, consiste à administrer aux enfants de 3 à 59 mois un traitement complet à base d’une combinaison de plusieurs molécules. Le traitement se prend une fois par mois pendant les trois sur les quatre mois que dure la saison des pluies. Les résultats de la CPS pratiquée à grande échelle au Niger depuis une demi-douzaine d’année montrent une meilleure prévention du paludisme chez les enfants âgés de moins de 5 ans qui constituent la principale victime du paludisme.
Entre juin 2020 et juin 2021, confie Dr Djermakoye Hadiza Jackou, coordinatrice du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), ses services ont distribué 12 millions de moustiquaires MILDA censées couvrir les besoins de 24 millions de personnes. «Si ses moustiquaires sont correctement utilisées par la population, dit-elle, cela permettra de prévenir le paludisme au sein de la population».
Pour le chercheur responsable de l’unité de paludologie-entomologie médicale du Centre de recherche médicale et sanitaire (CERMES), Dr Maman Ibrahim Lamine, cette distribution massive est une bonne chose pour lutter contre le paludisme. Il explique que les MILDA ont une première action barrière qui empêche à l’anophèle d’accéder à l’homme, en plus de son action «Knock down» qui permet d’éliminer les vecteurs. Dr Maman Lamine Ibrahim ajoute que l’utilisation des moustiquaires imprégnées d’insecticide, tout comme la pulvérisation d’insecticide à effet rémanent doivent être observées en période de pic, particulièrement chez les enfants âgés de moins de 5 ans et les femmes enceintes.
En plus de la distribution des MILDA, le Niger mène depuis six (6) ans une vaste opération de Chimio-prévention du paludisme saisonnier qui permet de mieux protéger les enfants de moins de 5 ans. Entre 2011 et 2019, affirme Dr Djermakoye Hadiza Jackou, le Niger a réduit de plus de moitié l’incidence du paludisme chez ce groupe cible. Ceci prouve, se réjouit-t-elle, que la stratégie d’administrer des médicaments aux enfants de moins 5 ans sur une période de 3 jours par mois tout au long de la saison des pluies, marche très bien et doit être renforcée. La coordinatrice du PNLP regrette toutefois les manquements constatés au niveau de la prise à domicile du deuxième et du troisième comprimé, ce qui réduit l’efficacité du traitement.
D’après la coordinatrice du PNLP, le 1er et 2ème passage de la campagne 2021 de Chimio prévention du Paludisme Saisonnier (CPS) couplée au dépistage de la malnutrition chez les enfants de 3 à 59 mois, ont couvert 63 districts. Ce qui représente plus de 4.400.000 enfants. «Nous avons pu atteindre un taux de couverture de plus de 95% sur l’étendue du territoire et nous avons eu une bonne disponibilité en médicaments. En plus tous les districts étaient couverts à temps depuis le mois de Juin grâce à une bonne disponibilité en médicaments», a ajouté Dr. Djermakoye Hadiza Jackou, lors de la réunion de partage.
Dr Maman Laminou Ibrahim rappelle que plusieurs études documentées montrent
l’impact positif de la chimio-prévention du paludisme sur la morbidité et la mortalité liées au paludisme. «Lorsque la couverture de la CPS est d’au moins 90%, on peut réduire de façon significative la morbidité attribuable au paludisme jusqu’à un taux de 73%. Ce qui est très important dans la stratégie de lutte contre le paludisme», précise-t-il. Il note également que la chimio-prévention du paludisme saisonnier permet de réduire de 42% les cas de paludisme grave et de réduire ainsi, de façon significative, la mortalité liée à la maladie. La CPS, poursuit Dr Maman Laminou Ibrahim, est un important outil de lutte contre le paludisme mais, prévient-il, sans une bonne couverture son impact ne sera pas au rendez-vous.
La sensibilisation, le maillon faible de la stratégie
Selon la coordinatrice du programme national de lutte contre le paludisme, l’ensemble des difficultés qui entravent la bonne prévention du paludisme au Niger sont des problèmes liés au comportement de certains groupes de citoyens. Pour elle, malgré la forte pluviométrie, la simple adoption de quelques règles d’hygiène permettrait de rompre la cohabitation avec les moustiques. En exemple, Dr Djermakoye Hadiza Jackou cite la lutte contre la stagnation des eaux devant et à l’intérieur des maisons, de même que l’utilisation adéquate des moyens de prévention mis à la disposition par les populations. «Nous avons besoin de tout le monde pour la sensibilisation, aussi bien vous des medias que les leaders d’opinion, les leaders religieux, les femmes et même les enfants», dit-elle, avant d’ajouter qu’il ne sert à rien de distribuer des millions de moustiquaires si les principaux concernés ne les utilisent pas comme il se doit.
Pour Dr Boubacar Tchiombiano, pédagogue et directeur des études à l’Ecole nationale de santé publique Damouré Zika de Niamey, la pleine opérationnalisation de la santé communautaire est un moyen efficace qui pourrait être mis au service de la sensibilisation en faveur de la chimio-prévention du paludisme saisonnier. Cette dernière, déclare-t-il, consiste à l’intégration, l’implication et la prise de responsabilité de la population dans la gestion de sa propre santé. Il plaide aussi, sous le leadership du programme national de lutte contre le paludisme, pour l’élaboration d’un plan d’actions qui doit intégrer et faire participer l’ensemble des acteurs concernés, tout en prenant le soin de sensibiliser prioritairement les leaders d’opinion les plus importants de la communauté afin qu’ils acceptent eux-mêmes la CPS et de contrer la mauvaise perception des comprimés qu’a une partie de la population.
Le Gouvernement à travers le programme national de lutte contre le paludisme, déploie depuis la veille de la saison des pluies 2021, une plus grande logistique qui fait du “porte à porte” pour toucher un plus grand nombre de personnes dans le cadre des activités de prévention. Cette nouvelle méthode de faire qui coûte plus cher découle, selon Dr Djermakoye Hadiza Jackou, de l’impossibilité d’organiser les grands rassemblements habituels au cours desquels les moustiquaires MILDA étaient distribuées. Pour la prise en charge, elle assure que des tests de dépistage rapide pour les diagnostiques et des médicaments de prise en charge des cas graves de paludisme sont mis gratuitement à la disposition des populations dans les formations sanitaires publiques, et cela en fonction de la disponibilité des produits. «Le ministre en charge de la Santé publique a eu à le dire, il n’y a pas de vente de médicaments de paludisme dans les formations sanitaires publiques», insiste-t-elle.
«Tant que la communauté n’intervient pas directement dans la sensibilisation, toute campagne peut être vouée à l’échec parce que cette population doit être impliquée au premier plan», déclare pour sa part Dr Boubacar Tchiombiano. La dotation des centres de santé avec des moyens audiovisuels et leur utilisation dans les séances de sensibilisation, affirme-t-il, aidera la population à intégrer et accepter la chimio-prévention du paludisme saisonnier, de même qu’à mieux comprendre l’utilisation des MILDA. Partant de là, vous allez voir une réduction drastique des cas de paludisme, surtout chez les femmes enceintes et les enfants de 0 à 5 ans», insiste-t-il.
Souleymane Yahaya(onep)