Monsieur Issoufou Maizama, vous êtes le président de l’Association des producteurs privés de semences du Niger (APPSN), parlez-nous de cette structure et la mission qui lui est assignée.
L’association a été créée en 1999. Et comme bon nombre d’associations, l’APPSN a connu des hauts et des bas jusqu’en 2018, date à laquelle elle s’était ressaisie en se redynamisant. On a changé les textes pour les adapter aux exigences du moment. Il y avait eu également l’adhésion d’autres entreprises. Entre-temps, il y avait eu l’avènement de la loi semencière au Niger. Des nouveaux textes sont sortis avec l’avènement de cette loi dont l’approche avec la recherche, c’était ce qui a permis de structurer l’association. On a le bureau exécutif, le secrétariat permanent et les membres qui sont à peu près une trentaine d’entreprises semencières avec des coopératives, des producteurs individuels et des organisations paysannes.
La mission de l’APPSN est de contribuer à lutter contre la famine en produisant des semences de variétés améliorées et en les mettant à la disposition des paysans, des producteurs et surtout à un prix abordable, donc rendre la semence de qualité, disponible et accessible. Nous ne faisons pas uniquement la vulgarisation des semences, on explique aux paysans comment s’y prendre avec la variété pour optimiser la production.
Comment vous procurez-vous les semences ?
Toutes les semences que nous manipulons, sont issues des résultats de la recherche. Ici au Niger on a l’INRAN, l’Université Abdou Moumouni et l’Université de Maradi. Avec l’avènement de l’harmonisation de la CEDEAO, il y a eu un texte sous régional qui permet aujourd’hui à un semencier du Niger de prendre une variété du Nigeria sous les conditions définies par la loi et de la multiplier et revendre au Niger. Nous sommes ouverts. A titre illustratif, nous travaillons avec l’IITA (un institut de recherche basé au Nigeria), avec l’INRAN au Burkina Faso, avec l’Institut de recherche du Mali. Maintenant, avec l’avènement des textes et règlements de la CEDEAO, si une variété est homologuée au Nigeria ou au Burkina Faso, automatiquement on peut la produire au Niger.
Comment s’effectue l’opération de multiplication des semences mères ?
Les semences mères ce sont elles qu’on multiplie pour avoir des semences certifiées ou des semences mères qui sont catégorisées en génération initiale appelée (G0), en première génération (G1), deuxième génération (G2) jusqu’à la troisième (G3) qui sont des semences issues de la recherche. Il y a le G4, semence de base et semences mère, mais depuis un certain temps au Niger, les entreprises comme les nôtres qui sont membres de l’APPSN sont autorisées, selon la loi, à produire des semences de base qu’on appelle semences mère pour améliorer la disponibilité parce que c’est partant de ces G4 de la semence de base qu’on produit des semences certifiées R1. Au cas où il n’y a pas beaucoup de disponibilités de la G4, on peut produire avec les semences de Première Reproduction (R1) et la Deuxième Reproduction (R2) qui sont des semences certifiées.
Pour vous dire que nous sommes des entreprises qui appuient les centres de recherche qui ne peuvent pas produire de semences mères en quantité. C’est pourquoi la loi permet à ceux qui ont des moyens de produire des semences de base, parce que tout part de là. Tant que vous n’avez pas une quantité suffisante de semences de base, vous ne pouvez pas prétendre produire la semence certifiée. Or la semence certifiée, c’est elle qui est intéressante, c’est elle qui arrive chez le paysan et c’est avec elle qu’on produit de quoi manger. Tant qu’on n’a pas la semence de base, on n’a pas la semence qui vient de recherche, c’est peine perdue.
Est-ce que tout ce processus est suffisamment réglementé ?
C’est régulé, il y a un service national de contrôle et de certification des semences. D’abord, pour être admis au contrôle, il faut que vous remplissiez un certain nombre de conditions. Si vous voulez multiplier le mil, il faut qu’on s’assure que la variété est homologuée dans le catalogue national de semences ou bien dans le catalogue Cloud de semences de l’Afrique de l’Ouest. La deuxième condition, il faut que la superficie de votre champ, ce qu’on appelle superficie minima, atteigne 5 ha au moins pour prétendre faire la multiplication des semences. La superficie Maximale est de 55 ha. Même si vous avez un terrain qui fait 100 hectares, vous êtes obligé de faire deux déclarations. Ensuite, il faut s’assurer que la semence vient de la recherche ou bien provient d’une entreprise qui a une autorisation de produire la semence mère. Il faut le prouver par un reçu ou l’emballage que c’est une semence mère d’une variété qui est apte et d’une variété homologuée à être multipliée.
Les services de contrôle vous font la déclaration et pendant la production, ils font au moins trois visites de votre champ pour voir. Et au finish, vous serez dans l’annuaire parce que la particularité de la production de semence au Niger, c’est qu’on sait tout celui qui a produit quoi ? Quand ? Et où ? À la fin de la production, il y a un annuaire de disponibilité national qui sort et il contient la situation de toutes les communes, de tous les départements et de toutes les régions et de toutes les catégories de semences.
Aujourd’hui, quel est l’apport des fermes semencières dans l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire au Niger ?
Je vais d’abord commencer par parler de nos capacités. Actuellement, la production tourne autour de 12 à 14 milles tonnes par an et cette production ne couvre même pas 6% du besoin national. Alors chaque ferme à le potentiel de produire cette disponibilité jusqu’à 20.000 à 25.000 tonnes. Maintenant, ce sont des problèmes dans la production, dans la gestion de la production et dans son écoulement. Sur cette disponibilité de 6%, quand vous prenez l’annuaire de disponibilité national, les fermes arrivent à stimuler la production et arrivent aussi à produire jusqu’à 80 à 90% de la disponibilité nationale. Parce que quand un système semencier est très bien structuré, tout se fait sur programmation. C’est aux fermes semencières de la faire, selon un besoin bien déterminé en semences et on commande les semences mères de la recherche. Certaines entreprises font la multiplication sur leur propre terrain. Il y a aussi des contractuels qui sont les Organisations paysannes et les individuelles.
Malheureusement, aujourd’hui, vous pouvez voir au Niger des multiplicateurs qui se lèvent pour faire dix hectares, vingt hectares, certains jusqu’à cent hectares et ils attendent. Ils n’ont aucun moyen de mettre cette production sur le marché, parfois, c’est à la fin de la campagne qu’on voit des plaintes. Il ne suffit pas de produire, il faut faire de la promotion aussi. Or, les coopératives, les organisations paysannes n’ont pas la capacité des entreprises. La promotion, c’est de faire de la publicité radio, télévisé ou tout autre support adapté, faire des champs de démonstrations, faire des petits sachets pour distribuer, amener les gens à comprendre et amener les semences là où le paysan en a besoin.
Quels sont les réseaux de distribution par lesquels vous atteignez les paysans les plus reculés ?
Il y a les boutiques d’intrants, les kiosques. A peu près chaque entreprise a en moyenne 20 points de vente. On est en train d’expérimenter avec l’appui d’un projet appelé ISSD Sahel la multiplication des points de vente. Des kiosques sont amenés jusque dans les villages. Des kiosques mobiles qu’on peut délocaliser en fonction du rendement. Il y a aussi des motos tricycles qui circulent au niveau des grands marchés. Et nous avons des revendeurs volontaires qui sont les commerçants d’intrants qui s’approvisionnent au niveau des entreprises pour faire la distribution sur les marchés des villages reculés.
Parfois des entreprises utilisent les commerçants des villages. Ils viennent leur déposer les semences et les forment sur comment les manipuler. Notre but n’est pas uniquement de produire les semences et de les déposer ou attendre les commandes des ONG ou de l’État, mais nous voulons plutôt qu’à travers la production des semences nos entreprises arrivent à vivre et à jouer pleinement leur rôle dans le développement du secteur agricole, c’est aussi de produire la semence, la nettoyer, la conditionner et l’amener jusqu’aux paysans et nous sommes dans cet élan.
Selon vous, qu’est-ce qui explique la réticence des paysans à se reconvertir vers l’utilisation des semences améliorées ?
Premièrement, c’est l’ignorance. Les gens ne connaissent pas les variétés et ils ne connaissent pas non plus leur importance. Deuxièmement, l’être humain a toujours été hostile au changement. Les producteurs, surtout paysans, veulent garder ce qu’ils ont même, si cela ne marche pas. Aujourd’hui, même si vous leur amenez du nouveau, ils sont toujours méfiants. Ce comportement, nous pensons que c’est parce que le service de vulgarisation à travers lesquels le paysan doit identifier, voir et choisir des semences, des variétés améliorées ne fonctionne pas, il ne travaille pas. L’appui-conseil non plus. Malgré nos efforts pour lui faire comprendre l’intérêt des semences, le producteur est réticent à investir son argent. C’est pourquoi, on installe des champs de démonstration pour donner le choix et en même temps former et informer le producteur. L’ignorance, la désinformation, le manque de formation ; tels sont les maux qui minent cet environnement ? Je pense que pour y remédier, il faut obligatoirement passer par la promotion en milieu rural au niveau des utilisateurs primaires.
De quels soutiens bénéficiez-vous de la part de l’État ou des partenaires ?
Pour les partenaires, il y a déjà un projet qui nous appuie en kiosques, en motos tricycles, en formation et en améliorant la disponibilité des semences mères. Ils sont nombreux à nous appuyer chacun à sa manière, mais ce que nous voulons pour que cela soit visible, qu’il y ait un contrôle. Qu’on sache qui fait quoi, comment il le fait et il le fait où. L’État assure le contrôle et c’est lui qui crée les conditions pour produire. L’autre apport, si c’est bien structuré, ce sont les commandes de l’État à l’aide d’urgence qui doivent appuyer à écouler les produits et à avoir des grosses sommes pour réinvestir dans la production et aussi dans les infrastructures. Pour le moment ce sont les privés qui se débattent pour jouer le rôle de tout un chacun alors que c’est bien structuré. Si l’État peut amener à ce que chaque acteur joue son rôle dans le sous-secteur semencier, alors on règle définitivement le problème de la faim au Niger.
M. le président, qu’en est-il à propos d’intrants agricoles?
Les intrants agricoles tels que l’engrais, les produits phytosanitaires, il faut avoir un agrément d’importation, de distribution et de vente en détails. Normalement toutes les entreprises qui manipulent l’engrais ont un agrément et c’est des commandes qu’elles font dans les pays de la sous-région. Elles font aussi la distribution, c’est aussi réglementer, même pour la manipulation des produits phytosanitaires au Niger, c’est encadré. Toute entreprise, à moins qu’elle soit en train de frauder, pour obtenir cet agrément doit remplir un certain nombre de conditions. Par exemple, il faut disposer d’un technicien qui s’y connait en matière d’engrais et de composition d’engrais, en matière de fertilité du sol, il faut avoir un magasin, des distributeurs et des points de ventes un peu partout. Mais dans la pratique, il y a beaucoup de choses qui se passent et c’est pourquoi réellement il y a beaucoup de ratés. Et malheureusement, les victimes ce sont directement les producteurs.
Aujourd’hui, quels sont les défis que doivent relever les acteurs de la filière Semence ?
D’abord, c’est d’améliorer la production, amener la disponibilité à 30% voire 40% et puis rendre accessible et disponible les semences. Il s’agit aussi de trouver un mécanisme pour apporter ces produits jusque dans les communes et les accompagner de promotion. D’où l’appel à l’État et aux institutions financières pour appuyer les entreprises dans cet élan, puisque l’accès au crédit est difficile et l’environnement économique n’est pas favorable. Au niveau des programmes, beaucoup de choses se passent. A l’issue de la dernière assemblée générale de l’Association, nous avons élaboré une fiche de bonne conduite que les entreprises signent. Entre nous on peut se sanctionner et toutes les entreprises membres de l’APPSN ont signé cet acte de bonne conduite. Nous l’avons présenté au ministre de l’Agriculture. Dans cet élan de professionnalisation que nous faisons, il faut des moyens pour produire et là on a besoin d’accompagnement des institutions financières. L’Etat doit créer ces conditions parce que l’agriculture comporte des risques.
Réalisée par Hamissou Yahaya(onep)