
M. Moustapha Kadi Oumani
Du 24 au 26 avril 2025, se déroulera à Tamaské, la troisième édition du Festival de la Concorde et de la cohésion sociale (FECCOS). Placée sous le thème, « les enjeux du patrimoine culturel dans la souveraineté », elle s’inscrit dans la volonté de faire de la culture nigérienne un pilier du développement économique et un facteur de paix et de cohésion sociale au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Dans cet entretien, le promoteur de ce festival, M. Moustapha Kadi Oumani, évoque l’importance de cet événement.
La 3ème édition du FECCOS se déroulera au mois d’avril à Tamaské dans le département de Keita. Dans quel esprit préparez-vous ce festival de Sharo ?
Depuis l’avènement du 26 juillet 2023, les autorités nationales ont engagé notre pays sur le chemin de l’indépendance et de la souveraineté avec comme pierre angulaire un développement participatif qui implique au premier rang les communautés à la base. Dans cet esprit, les acteurs culturels ont un rôle essentiel à jouer en vue de la valorisation de la culture dont la population et les collectivités, peuvent tirer un grand bénéfice. Le FECCOS s’inscrit dans la volonté du Président CNSP, le Général Abdourahamane Tiani, de faire de la culture un vecteur d’appropriation du patriotisme. Il s’agit d’un jeu pratiqué par les communautés peuhles en collaboration avec les sédentaires de la zone soudano sahélienne s’étalant d’ouest en est sur le Niger, le Nigeria, le Cameroun, etc.
La cérémonie de lancement officiel interviendra le vendredi 25 avril 2025. Vu sous le signe de la souveraineté recouvrée, le FECCOS sera présidé par le ministre de la Jeunesse, des Sports, des Arts, et de la Culture, le Colonel-major Abdourahamane Amadou. C’est une manifestation imprégnée de plusieurs significations : religieuses, animistes, mystiques et artistiques. Autant de valeurs, dont notre population doit s’imprégner, en ces temps de lutte pour la sauvegarde de la patrie, car « la foi sans les œuvres est morte en elle-même. »
Quelle touche particulière peut revêtir la rencontre de Tamaské après deux éditions qui se sont passées à Illéla et pourquoi le choix de cette ville ?
La culture est un moyen d’expression et lorsqu’elle peut être considérée comme un vecteur de promotion de la cohésion sociale et de consolidation de la concorde, il faut s’y consacrer. Du 12 au 14 mars 2009, s’est déroulée à Illéla, la première édition et la deuxième du 21 au 23 février 2014. Le choix de Tamaské est guidé par l’intronisation du Chef de Canton, Elhadji Abdoul Kader Cheffou Touba. Du point de vue hospitalité, Tamaské a des traditions et un passé glorieux en matière d’accueil des éleveurs. Cette commune a toujours ouvert ses portes aux peuhls et l’engouement réel des populations à accueillir les visiteurs découle de leur tendance naturelle à développer des liens d’amitié, de fraternité et de solidarité. Le choix est motivé par la demande expresse de la communauté peuhle pour que ses aspirations soient bien prises en compte. C’est une coutume pour les éleveurs peulhs de quitter la région de l’Azawak au nord pour traverser le canton de Tamaské, afin de mieux exploiter les résidus agricoles, grâce à la régénération naturelle et à la disponibilité des points d’eau. Cette mobilité permet de faire bénéficier leurs animaux de la vaccination et du déparasitage contre certaines maladies. En général, les agriculteurs laissent des tiges de mil dans les champs pour le besoin des éleveurs. Par ce choix, une fenêtre d’espoir est grandement ouverte dans le cadre des échanges croissants et de brassages entre éleveurs peuhls et agriculteurs.
Le FECCOS met en avant la pratique du « Sharo » qui est un élément de la culture peuhle. Dans l’arène des jeux, comment se déroule la compétition ?
Le Sharo représente une forme d’initiation qui a pour objectif d’aguerrir les jeunes, afin qu’ils puissent anticiper et affronter avec courage les difficultés et les obstacles auxquels ils seront confrontés. La première phase, appelée phase d’apprentissage, se déroule hors de l’arène. Les jeunes apprennent par cœur les défis, « Kiraris ». Ils les répètent plusieurs fois, afin de mieux les mémoriser. La particularité est que les pratiquants lancent les défis en Haussa autant que les flutistes qui vantent la prouesse et la bravoure des meilleurs talents. Pendant cette phase de préparation, les prétendants préparent des breuvages mystiques qui ont le pouvoir de fortifier l’insensibilité aux coups portés par l’adversaire. Ces breuvages sont préparés par des guérisseurs traditionnels ou d’anciens pratiquants. Avant de rentrer dans l’arène des jeux, les compétiteurs prennent tout leur temps pour se maquiller, afin de se rendre beaux au spectacle.
La deuxième phase se déroule dans l’arène des jeux. Les protagonistes font leur entrée avec leur bâton au son de la flûte qui rythme l’ambiance, munis de parures chatoyantes. C’est un moment de grande ferveur : la foule se bouscule pour admirer la beauté des personnages. Sans attendre un quelconque coup d’envoi, les jeunes peulhs se ruent vers les groupes adverses pour choisir leurs compagnons du moment. Le combattant, très heureux, crie avec force et se dirige vers les jeunes filles peuhles avant de regagner son groupe chargé sur le bras d’une multitude de pagnes que ses amis vont lui nouer autour du torse nu, à la limite de la poitrine, ne laissant dégager que les aisselles. Au son envoûtant de la musique, les adversaires se défient à travers les Kiraris. Avant le spectacle, le joueur enduit le corps de pommade fortifiante et attache des talismans autour de la ceinture et du bras. Il se mire constamment en essuyant le visage devant les griots qui synchronisent harmonieusement leurs chants et musiques.
Le FECCOS est une grande rencontre de la jeunesse rurale de nombreuses contrées de notre pays. On devine l’ambiance électrique dans l’arène ?
Vous avez trouvé l’adjectif : « électrique » ! Extases et transes se saisissent du joueur sous les applaudissements de la foule. Le joueur qui accepte d’encaisser le coup doit se pencher légèrement vers l’arrière, ceci, sous le contrôle du corps arbitral. Avant le déclenchement de la frappe, les deux adversaires se plient aux derniers rituels. Le compétiteur qui donne le coup, simule, à plusieurs reprises l’action de frapper, comme pour démonter moralement son adversaire. Le receveur, le regard rivé sur son miroir, déclame des proverbes, provoque et invective son « partenaire de jeu », comme pour l’irriter et l’inviter à frapper plus fort. Après plusieurs simulations pour intimider l’adversaire, le coup est enfin donné, souvent au moment où personne ne s’y attend. Fier, souriant et courageux, le jeune qui a reçu le coup banalise, en lançant très loin en l’air, une branche fine d’environ un mètre et en criant en direction de son adversaire qu’il ne le trouve pas assez robuste et fort ; il exhibe ainsi le témoignage de sa vaillance et de son endurance pour signifier que le coup reçu n’a pas eu l’effet escompté et n’a que la mollesse d’une frappe « d’une chétive jeune fille du village ». Il entame une danse acrobatique, laquelle danse sera ponctuée d’applaudissements des spectateurs qui vont se précipiter sur les compétiteurs pour les couvrir de cadeaux en guise d’encouragements, au son de la musique dédiée aux braves. Celui qui a reçu le coup du bâton, avance, les yeux rivés sur son petit miroir qu’il soulève d’une main vers le ciel ; il prononce ses louanges pour se qualifier « Roi de l’arène », il rit et saute avec son bâton. Pendant ce temps, les jeunes filles qui ne veulent rien perdre du spectacle, distribuent des pièces de monnaie et des morceaux de leurs pagnes, en signe d’admiration et de soutien au héros du jour, qui va s’en servir, comme mouchoir.
C’est un véritable combat ! Et on ne simule pas ? On ne triche pas ?
Oui, ce cadre dissuade les compétiteurs d’oser commettre des fautes qui viendraient ruiner l’éclat de leur image ! On répète le même scénario pour permettre au second joueur, soit de rendre son coup ou de décider d’en épargner son adversaire, témoignage fort d’amitié et de fraternité à l’égard de ce dernier. En retour, celui-ci deviendra son ami intime. C’est en de telles circonstances, rehaussées par l’expression de tels élans de générosité, que de jeunes peulhs arrivent à se mettre en vedette, tant par leur bravoure que pour leur magnanimité. Fiers, l’air arrogant dans leurs tenues pittoresques en peau tannée, ornés de lanières et de rubans multicolores, les deux compétiteurs rejoindront les groupes de leurs admirateurs. Un autre combat se met en place avec le même rituel et la même fermeté. Ah, le rôle des femmes… Les femmes observent attentivement la bravoure de chacun. Les peulhs ne s’éloignent jamais de leurs compagnes. Elles sont toujours présentes pour remonter le moral de leurs bien-aimés et leur témoigner la profondeur de leur amour.
Finalement, le « combat de Sharo » se termine bien ? Dans la bonne ambiance ?
Effectivement ! Les règles sont strictes et respectées par tous. Si le premier récepteur renonce à répliquer contre son adversaire, il lui notifie qu’il le considère désormais comme son frère et ami. La foule entérine ce choix, car le combattant a dès lors atteint son objectif qui est celui de sceller la cohésion et la concorde intracommunautaire.
En tant que promoteur de ce festival, dites-nous, s’il y a une autre fin possible à ce combat d’après ce que nous savons ?
Oui bien sûr. Les deux compétiteurs cimentent leur nouvelle amitié, devant toute la communauté d’admirateurs. Le FECCOS permet de se retrouver en communion pour fraterniser, se comprendre, vivre en paix et en symbiose. La communauté peuhle attribue au Sharo des vertus comme l’apaisement des mœurs et la baisse de l’agressivité. La noblesse de ce jeu ne peut que créer ou renforcer des liens d’amitié et d’estime entre les joueurs, et au-delà entre leurs familles.
Quelles sont vos attentes au sortir de cette organisation ? Est-ce qu’on peut dire : le FECCOS, bientôt dans l’espace AES ?
N’allons pas vite en besogne, mais vu les valeurs que ce sport véhicule, ainsi que les populations que nous avons en commun, c’est une perspective envisageable bien sûr avec l’accord et l’aide de nos autorités. Au Niger, je suis certain que notre ministre, le Colonel-major Abdourahamane Amadou, par son enthousiasme et sa haute estime de la culture, en tant que maillon essentiel, du socle de souveraineté que représente ce bloc AES ne ménagera aucun effort pour que cet objectif, se réalise. D’ailleurs, vous m’offrez l’occasion de saisir cette opportunité pour saluer l’implication totale du ministre Abdourahamane Amadou qui a accepté d’effectuer le déplacement pour présider les cérémonies d’ouverture et de clôture. Le ministre Ousmane Elhadji Ibrahim a décidé d’entreprendre une opération spéciale de vaccination et de déparasitage du troupeau. C’est ainsi qu’outre les vaccins, des produits et des vivres seront fournis gratuitement par l’Etat. Par conséquent, les perspectives pour la troisième édition sont prometteuses. Nous avons déjà enregistré des participations au plan international. S’agissant du plan national, la liste est aussi longue. Il y aura la présence de la HACP, Programme Palu, PRAPS, AICS, Agence NITA, Rimbo, STM, Zeyna, Tana voyages, NDE, etc. A ce stade, nous attendons plusieurs annonces, dont celle de la ministre de l’Artisanat et du Tourisme, Mme Guichen Agaichata Atta, de la Sonidep, de la Nigelec, de la Sonichar, etc.
Pour toutes ces raisons, nous pouvons dire que cette manifestation sera une pleine réussite au vu de l’enthousiasme suscité par les populations de Tamaské et du soutien ferme des hautes autorités, particulièrement du Premier Ministre, Ali Mahaman Lamine Zeine, ce qui représente un pas supplémentaire pour le raffermissement de la cohésion de notre nation.
Propos recueillis par Oumarou Moussa (ONEP)