
Mme feu Oumarou Hadary Maimouna Nadelou
La cinquantaine révolue, Maïmouna Nadelou incarne une génération d’acteurs et promoteurs de la culture au Niger. À travers sa voix douce, ses gestes précis et son regard toujours éveillé, elle est le témoignage d’une vie de passion, de transmission et d’engagement pour le patrimoine immatériel.
Originaire d’une famille où les traditions orales et les valeurs communautaires étaient précieusement préservées, Maïmouna découvre très tôt le pouvoir de la culture comme vecteur de lien et d’expression. Dès ses années de collège, elle s’impose naturellement comme une figure des animations inter-écoles, ces événements où les jeunes célébraient les langues, les rythmes et les coutumes locales. C’est d’ailleurs dans cette effervescence artistique qu’elle rencontre Oumarou Hadary, jeune passionné de culture comme elle, devenu plus tard son mari et compagnon de route dans la promotion culturelle. Ensemble, ils partagent un idéal : celui de faire rayonner l’identité culturelle de leur région au-delà des scènes locales.
Une première grande scène en 1981 : le festival de Diffa
C’est en 1981, lors du festival de la jeunesse de Diffa, que Maïmouna fait son entrée dans le circuit des grands événements culturels nationaux à travers le chant ‘’Niger Lallé’’ présenté par la région de Maradi et qui a remporté le 2e prix. Ce moment charnière marque le début de sa reconnaissance par les instances artistiques et culturelles du pays. « C’était plus qu’un festival, c’était une école de la rigueur, de la diversité, de l’unité par les arts », confie-t-elle avec émotion. Depuis, elle n’a cessé d’être présente, à la fois comme artiste, organisatrice et gardienne de la mémoire.
Chawa : une troupe, un combat, une vision
En véritable pionnière, Maïmouna Nadelou fonde, à partir de 1998, la troupe Chawa qui deviendra l’un de ses plus grands accomplissements. Plus qu’un groupe de représentation, Chawa est un creuset vivant de la tradition et de la créativité. À travers des danses, des chants ancestraux revisités, des costumes symboliques et une mise en scène soignée, la troupe célèbre les cultures locales tout en les rendant accessibles aux nouvelles générations. C’est d’ailleurs l’exemple du chant ‘’Samari da yan Matan Niger’’ qui a été récemment repris par un groupe de jeunes. Chawa participe à de nombreux festivals, animations régionales et internationales, commémorations et événements éducatifs. Mais son rôle va bien au-delà du spectacle : elle forme, éduque et transmet. Plusieurs jeunes, aujourd’hui artistes reconnus, ont fait leurs premiers pas dans ses rangs.

Une voix engagée au service du civisme et de la démocratie
Au fil des années, Maïmouna Nadelou a su élargir les contours de son engagement artistique. Au-delà du folklore et de la scène traditionnelle, elle s’est investie dans des chansons à dimension sociale et politique, devenant une voix de la conscience citoyenne. Elle compose et interprète des chansons de sensibilisation sur des thématiques majeures telles que : la paix et la cohésion sociale, essentielles dans un pays en proie à des tensions régionales, la participation citoyenne aux élections, le rôle des femmes dans la démocratie, ou encore la lutte contre les discours de haine et la manipulation politique. Pendant les périodes électorales, ses chansons résonnent sur les places publiques, les radios locales et dans les écoles, rappelant à tous, jeunes et moins jeunes, l’importance du vote responsable, du respect des institutions et de la convivialité démocratique. À travers des refrains en langues locales, simples mais puissants, elle parvient à mobiliser les consciences sans jamais diviser. Ses œuvres sont devenues de véritables outils de sensibilisation, utilisés par des comités électoraux et des associations citoyennes. « La culture peut tout dire, mais elle doit le dire avec sagesse. Nos chansons peuvent faire plus que mille discours politiques, si elles viennent du cœur », dit-elle avec conviction.
Une figure de référence, un legs à préserver
Aujourd’hui, Maïmouna Nadelou est considérée comme une figure tutélaire dans le domaine culturel nigérien. Consultée lors de l’organisation d’événements, elle est aussi une référence pour les chercheurs, documentaristes et institutions patrimoniales. Discrète mais incontournable, elle incarne une culture vécue, transmise, enracinée. À travers Chawa, mais aussi par sa propre présence sur scène ou dans les coulisses, elle continue de tisser des ponts entre hier et aujourd’hui, entre l’art et l’identité, entre le corps qui s’exprime et l’âme qui se souvient. Quand on lui demande ce qu’elle considère comme sa plus grande réussite, elle répond sans hésiter : « Ce sont les enfants qui dansent et chantent aujourd’hui avec fierté ce que leurs grands-parents dansaient et chantaient. C’est ça, ma victoire. »
À plus de cinquante ans, Maïmouna Nadelou continue son œuvre. Et tant qu’il y aura une scène, un tambour, une mélodie oubliée à faire renaître ou un peuple à conscientiser, elle répondra présente. Car la culture, pour elle, n’est pas un métier. C’est une mission citoyenne, une mission de mémoire, et une mission d’amour.
Aïchatou Hamma Wakasso (ONEP)