
Talentueux et reconnus de tous, les tailleurs traditionnels nigériens ont connu un succès notoire. Mais, depuis quelques années, ces derniers sont de moins en moins sollicités face à l’engouement que suscitent les couturiers nigérians ou ceux provenant d’autres pays côtiers et les stylistes locaux. Proposant des modèles à la mode, raffinés et qui répondent aux besoins et aux tendances actuelles, ces professionnels des ciseaux savent s’imposer et faire la différence, occupant ainsi, la majorité des ateliers de couture de la place mettant à rude épreuve, les tailleurs locaux, dépassés.
L’heure est aux nouvelles tendances, aux nouveaux modèles et la mode est en pleine évolution. Ils sont nombreux hommes comme femmes à faire la queue au niveau des ateliers des couturiers tenus à Niamey par des nigérians, qui pour prendre un rendez-vous, qui pour récupérer leurs tenues. Mais, cet engouement existe de moins en moins chez les tailleurs locaux qui aujourd’hui, ne gagnent plus leur vie comme avant. En effet, leur savoir-faire, leur style est de moins en moins apprécié par la clientèle car, jugé un peu archaïque et ne répondant pas aux tendances actuelles. Des manches bouffantes, accentuées, déstructurées ou carrées, on arrive par exemple à la mode des manches fines, frisées, ficelées ou encore ovales. Les nouveaux modèles qui gagnent du terrain grâce aux réseaux sociaux incitent les clients à se tourner vers des tailleurs pouvant réaliser leurs idées, à leurs goûts.
Les ‘’Maourey Tailleurs’’ de Niamey, ces couturiers d’un autre âge
Alignés dans de petits ateliers sur la voie allant au grand marché de Niamey, avec des modèles exposés sur des mannequins, une animation sonore pour capter l’attention des passants, des bruits vifs des machines à coudre, des causeries, les ‘’Maourey Tailleurs’’ essaient tant bien que mal de sortir la tête de l’eau face à cette invasion massive des couturiers nigérians, sénégalais et stylistes modernes locaux qui utilisent les réseaux sociaux pour atteindre une plus grande audience, se faire connaître et vendre leurs produits à un large public.

Ces couturiers qui étaient autrefois la référence pour réaliser des tenues extravagantes et à la pointe de la mode des nigériens sont aujourd’hui pour la plupart, aux oubliettes. Malgré que certains d’entre eux s’adonnent à des formations pour répondre à la demande croissante de la clientèle, ils ne font toujours pas le poids face aux couturiers nigérians ou aux stylistes qui prennent de plus en plus d’expansion.
Couturier depuis plusieurs années, Moustapha confie que cette situation a considérablement affecté sa vie. « Avant, je gagnais beaucoup grâce à mon activité et j’avais un personnel suffisant mais aujourd’hui, je peine à trouver des clients et cette situation m’a poussé à renvoyer plusieurs jeunes apprenants car, je ne peux régler leur salaire. Le peu de clients qui viennent vers nous sont les personnes âgées qui ont gardé les mêmes styles de couture ou quelques jeunes qui sollicitent notre savoir-faire pour réaliser d’anciens modèles lors des fêtes traditionnelles et, nous faisons également des coutures modernes du mieux que nous pouvons », dit-il.

En effet, pendant les fêtes, les anciens modèles sont plus sollicités et seuls certains tailleurs actuels arrivent à les réaliser à la perfection. Entre ceux qui préfèrent les anciens modèles réalisés par les tailleurs traditionnels locaux et ceux qui préfèrent suivre les tendances en dépensant une fortune auprès des tailleurs nigérians, béninois, togolais ou sénégalais, des stylistes, la tendance est nette.
Styliste nigérien, main d’œuvre nigériane
Face à cette concurrence et cette préférence notoire, les tailleurs locaux essaient également de suivre la tendance afin de sauver leur business et rentabiliser leurs investissements. Certains achètent les mêmes matériels utilisés par les nouveaux stylistes en s’inspirant de leur réalisation, en quittant le Niger pour le Nigeria pour se perfectionner et apprendre de nouvelles techniques, tandis que d’autres s’arrangent pour signer de contrat avec ces couturiers étrangers en les engageant pour réaliser les coutures dans leur atelier en contrepartie d’une rémunération quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle.

Cette situation n’arrange pas souvent le propriétaire de l’atelier car, le coût de ce service rendu est exorbitant. C’est le cas de Mme Inass, propriétaire d’un atelier où travaillent des tailleurs nigérians. Son atelier est spécialisé dans la couture pour femmes, hommes et enfants. Elle explique qu’elle préfère travailler avec les nigérians car ces derniers sont plus professionnels et ils maîtrisent mieux certains modèles et broderies à la main et surtout, ils restent disponibles peu importe l’heure. « Ils sont entièrement sous ma charge. Ils passent leurs nuits à l’atelier et le travail se fait toute la journée ou parfois toute la nuit. C’est très coûteux car, il faut les payer, les nourrir et les héberger sans oublier le loyer et les factures à régler », a-t-elle notifié.
Mlle Kadidja, jeune lycéenne explique que son choix porte plus sur les tailleurs nigérians car, ils arrivent à lui coudre ses tenues dans un délai raisonnable, avec un matériel de qualité et le respect strict de son modèle. « Ils sont perfectionnistes et professionnels. Tu es dédommagée dès qu’il y a un souci avec le rendu final de la couture et ils peuvent reproduire fidèlement le modèle que tu veux alors qu’avec nos tailleurs locaux, il n’ya aucune certitude quant à la réussite du modèle ou du respect du délai de finition », dit-elle.
L’affluence des couturiers nigérians à Niamey
Si certains nigériens s’adonnent de plus en plus au stylisme avec la création ou la vente des tenues prêt à porter pour s’imposer sur le marché de la mode, les tailleurs nigérians ont entamé une nouvelle tendance, celle de venir en nombre et d’ouvrir leurs propres ateliers, entre eux. En effet, ces derniers viennent à Niamey en grand nombre pour former une ‘’famille de tailleurs’’ ou un ‘’groupement de tailleurs’’ vivant dans une maison ou un atelier. Ici, le chef est celui qui paie le loyer et qui s’arrange pour faire venir tous les autres petit à petit. Ils vivent ensemble et tous leurs matériels proviennent de leur pays comme le groupe électrogène, les machines à coudre, les tissus, les fils de couture, les perles et autres accessoires.
C’est le cas de Anass, propriétaire et chef d’un atelier se trouvant au grand marché de Niamey. Étant à Niamey depuis trois ans, ce styliste nigérian travaille avec 2 de ses compatriotes et s’est associé récemment avec deux nigériens qui veulent apprendre. Spécialisé dans la couture pour hommes et femmes, il confie que cette activité est très rentable mais que la collaboration avec les nigériens est difficile. « Les nigériens nous voient comme des concurrents et certains pensent qu’on est des escrocs. Certains viennent vers nous pour apprendre de nouvelles techniques mais d’autres refusent la collaboration et c’est pourquoi très souvent, on préfère venir avec nos collaborateurs du Nigeria et acheter nos matériels là-bas car, c’est moins cher », explique-t-il. Dans leur atelier, ils allient savoir-faire, respect des modèles des clients et respect du rendez-vous fixé garantissant ainsi, la satisfaction et la fidélité de leurs clients.
Les prix varient en fonction du modèle et des détails de ce dernier mais, le prix le plus bas est fixé à 10.000 FCFA correspondant à une coupe simple. Mme Fatiya, cliente depuis plusieurs mois au niveau de cet atelier précise que son choix s’explique par la satisfaction qu’elle a après chaque couture. « Cela fait presque deux ans que je fais coudre mes tenues par lui et, je lui ai ramené beaucoup de clientes. Tous les modèles que je veux sont réalisés à la perfection dans le respect strict du rendez-vous. C’est certes souvent cher car, les coutures des pagnes vont de 15.000 FCFA à plus en fonction du modèle mais, la qualité n’a pas de prix et c’est mieux que de gaspiller son argent sans être satisfaite », ajoute-t-elle.
Les sénégalais, autres couturiers de renom à niamey
Aux côtés de ces tailleurs nigérians, on remarque également la présence des tailleurs sénégalais qui occupent de plus en plus de place au sein des ateliers et sont aussi très appréciés par les nigeriens. Offrant un service de qualité, des coutures extravagantes et des broderies de pointe, les tailleurs sénégalais ont su se faire un nom à Niamey. Ils vivent également entre eux dans des maisons ou des ateliers et gagnent bien leur vie. Pour la plupart, les broderies et les boubous à guipures portés par les femmes lors des cérémonies de baptême ou de mariage, les coutures des tissus légers ou les coutures de création restent la spécialité de ces tailleurs sénégalais. Lors des fêtes, ils s’imposent et ils sont incontournables surtout pour la confection des modèles sur ‘’Bazin’’. A Niamey, les plus connus sont ‘’Moussa Création’’ et ‘’Sylla Couture’’. Ces deux couturiers sénégalais offrent leurs services depuis plusieurs années et, ils travaillent particulièrement avec leurs confrères. Les jeunes filles et femmes nigériennes dépensent une fortune par tenue pour obtenir un modèle issu des dernières tendances de la mode. Ici, tout le matériel est importé du Sénégal ou d’un autre pays et la qualité des matières utilisées est de taille. Quant aux prix, ces derniers varient en fonction du modèle et de la difficulté de sa réalisation mais, il faut débourser entre 15.000 et 25.000 FCFA pour une couture aussi simple soit-elle. Pour certaines, le prix importe peu et, elles sont prêtes à coudre des tenues à des dizaines de milliers de FCFA dans ces ateliers dans le seul but d’obtenir une tenue répondant au modèle initial ou se faire remarquer lors des cérémonies alors que pour d’autres, ces coutures de créateurs sénégalais s’avèrent être un gaspillage d’argent et un manque de soutien ou de valorisation des créations locales. Pour ou contre cette pratique, chacun y trouve son compte malgré la concurrence car, seule la fidélité de la clientèle, la qualité des matières et matériels utilisés, et le respect de la réalisation des modèles font la différence.
Quelques visages du stylisme nigérien
Au-delà de ces propriétaires d’ateliers, certains stylistes nigériens ont choisi de valoriser et promouvoir le patrimoine culturel vestimentaire nigérien pour faire la différence, s’imposer et créer des tenues originales défiant toute concurrence et répondant aux besoins des clients. C’est le cas de Mme Mayaki Hadiza Maïga, propriétaire du centre de formation Hadyline, promotrice du Gala Hadyline et du Forum National pour l’Autonomisation des Femmes et des Jeunes (FONAF).

Créé depuis novembre 2009, le centre de formation Hadyline est spécialisé dans le stylisme, la création, la décoration et l’emploi des jeunes. A travers ses activités, elle a su promouvoir le savoir-faire nigérien et lutter contre la délinquance juvénile en accueillant des mineurs au sein du centre. Cette styliste allie création, originalité, modernité et valorisation des pagnes locaux à travers l’organisation de soirée de gala mettant en avant les valeurs, les talents locaux et l’accent sur différentes thématiques incitant au changement social. Cette année, la 11e édition du Gala Hadyline a été organisée le 2 mai 2025. Dans son centre, plusieurs jeunes nigériens sont accueillis, formés et accompagnés et ces derniers assurent tout le processus de création des tenues attestant ainsi, le savoir-faire nigérien et l’originalité des créations.
Outre Mayaki Hadiza Maïga, M. Bachir Alhassane, propriétaire de l’atelier ‘’Tawakass’’ est un de ces visages qui riment avec le stylisme et la mode à la nigérienne, ces temps-ci. Son atelier de couture est spécialisé dans la couture hommes, femmes et enfants avec des modèles aux couleurs et des motifs rappelant notamment les traditions touarègues. Selon le promoteur, l’atelier a été créé en 1990 à Agadez avant d’être ouvert à Niamey. Il confectionne des tenues originales avec les couleurs des drapeaux du Niger et d’autres pays rendant ainsi, ces créations uniques et originales.
« J’utilise ces couleurs pour créer des tenues avec une touche de couleur et permettant d’attirer l’attention car, chaque création est unique. Je ne fais jamais la même couture à un autre client, je crée et propose à chacun une nouvelle création répondant à ses besoins », notifie-t-il. Dans son atelier, tous les couturiers sont des hommes et tous nigériens. La spécialité est la couture pour hommes, femmes et enfants. Quant au prix par complet, il est fixé à 20.000 FCFA avec une modification de ce prix en fonction du modèle choisi par le client et la confection d’autres articles comme des chaussures ou d’autres accessoires à la demande et sur mesure. M. Bachir a installé son atelier dans sa propre maison, affirmant qu’aucune concurrence n’affecte son métier car, il apporte de la modernité et s’applique de suivre les tendances actuelles de la mode.

« Pour les coutures des femmes, la plupart préfèrent les modèles plus centrés avec des fantaisies et, nous répondons à leurs demandes qui changent en fonction des tendances dans le respect strict du modèle initial », assure-t-il. Par ailleurs, les coutures sur les pagnes se font rares car, le bazin est la matière la plus utilisée pour les broderies et certains tissus sont également utilisés. Les créations de l’atelier ‘’Tawakass’’ vont au-delà des frontières car les tenues portées par les joueurs du MENA Niger permettent une visibilité à l’extérieur avec plus de clients et de commandes. « Certains étrangers me contactent sur les réseaux sociaux pour leur confectionner des tenues et j’arrive à les réaliser et à les leur faire parvenir dans un délai raisonnable. Ce métier m’a beaucoup apporté. J’exerce ma passion et je gagne ma vie grâce à ça », confie le promoteur de ‘’Tawakass’’.
Massaouda Abdou Ibrahim (ONEP)