Les travaux de la 3ème édition de la Conférence africaine pour la promotion de la paix en Afrique ont débuté le mardi 17 janvier 2023 à Nouakchott (République Islamique de Mauritanie). L’ouverture de cette rencontre internationale dédiée à la paix s’est déroulée sous les auspices des Présidents mauritanien, Mohamed Ould Cheikh Al-Ghazouani et nigérian Muhammadu Buhari. On note également la présence des délégations venues de plusieurs pays, des représentants de gouvernements, des oulémas, des représentants d’organisations internationales ainsi que des organisations d’associations actives dans le domaine de la paix sur le continent. Le Président de la République Mohamed Bazoum a prononcé un discours par visioconférence dans lequel, il a salué la pertinence d’une telle initiative en particulier dans le contexte actuel de la région du Sahel. Le Chef de l’Etat a notamment souligné le rôle central et décisif des oulémas dans le combat que mènent les gouvernements pour lutter contre le terrorisme, l’extrémisme violent et pour le développement des pays du Sahel. Il a ensuite rappelé les fondements de la doctrine de la religion musulmane qui font de cette religion, une religion de paix. SE. Mohamed Bazoum a appelé les jeunes en général à s’en inspirer. (Lire, ci-dessous, l’intégralité du discours prononcé par le Chef de l’Etat)
Excellence Monsieur Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, Président de la République Islamique de Mauritanie,
Excellence Monsieur Muhammaddu Buhari, Président de la République Fédérale du Nigéria,
Vénérable Cheikh Abdoullah Ibn Beyyah,
Mesdames et Messieurs,
A l’entame de mon propos, deux marques de reconnaissance s’imposent :
D’abord, mes remerciements vont tout naturellement à mon frère Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, Président de la République Islamique de Mauritanie pour avoir pérennisé cette tribune si féconde, ce Davos de la tolérance qui fait converger chaque année à Nouakchott les oulémas de toute l’Afrique, pour célébrer et entretenir les vertus du dialogue, de la concertation et de l’acceptation pacifique de la différence religieuse.
Ma gratitude va ensuite tout aussi spontanément au vénérable Cheikh Abdoullah Ibn Beyyah, à l’origine de cette belle initiative, d’offrir cette occasion de se parler, de s’exprimer, de débattre, aux oulémas, aux jeunes, aux influenceurs et aux décideurs politiques en Afrique.
Il y a un an, j’ai pris part avec intérêt, en présentiel, à Nouakchott, à la seconde édition de la Conférence Africaine pour la Paix. J’ai alors été agréablement surpris de découvrir cette assemblée respectable d’éminents savants religieux, si portés à la tolérance, si ouverts d’esprits, si enclins au dialogue, si fermement attachés à la paix entre les hommes. J’ai été enthousiasmé par nos échanges d’alors. C’est aussi pourquoi, j’ai été ravi de recevoir l’invitation d’être parmi vous cette année encore, fût-ce à distance, à cause d’impérieux engagements antérieurs. J’ai tenu à vous adresser ce message pour maintenir nos liens et vous assurer qu’il en sera toujours ainsi, car nous menons des actions fondamentalement convergentes.
En fait, je suis également sensible à l’esprit de votre Conférence, notre Conférence assurément, car je suis venu à la politique, puis au pouvoir, par une profonde conviction et une ferme volonté ; et je dirige un pays subissant de plein fouet la violence terroriste. Je suis d’abord venu à la politique par l’idée que le militantisme pacifique est la seule voie légitime pour influer sur les affaires de la Cité. J’ai ensuite toujours agi en politique, puis exercé le pouvoir, animé par une volonté, celle du dialogue, de la concertation et du progrès par les compromis successifs. Je préside enfin aux destinées d’un pays, le Niger, que l’incontournable géographie a placé au cœur du Sahel, dans l’œil du cyclone terroriste. Nous faisons face à la menace terroriste, à chacune de nos frontières : au nord, à l’ouest, au sud et à l’est.
Je rends ici un hommage mérité à nos forces armées et de sécurité pour le courage, la bravoure et l’abnégation avec lesquels elles se battent sans répit, sur tous ces fronts depuis tant d’années. Je me dois aussi de saluer l’exemplarité de nos religieux qui ont empêché l’extrémisme de s’incruster dans notre paisible société.
Le Niger a toujours été une terre d’hospitalité et de tolérance. Je continuerai inlassablement de soutenir les approches basées sur le dialogue et la réconciliation au Niger, comme partout ailleurs dans notre Sahel et plus généralement dans notre continent africain.
Notre situation, au Niger, s’améliore lentement mais sûrement. Nous avons pu imposer à nos ennemis un tel rapport de force qu’ils sont désormais obligés de se confiner dans des activités criminelles vulgaires, très préjudiciables aux populations. Mais dans l’ensemble de notre sous-région, force est de reconnaître que la situation ne s’améliore point, bien au contraire. C’est pourquoi je considère que les progrès que nous avons réalisés pour importants qu’ils soient n’en demeurent pas moins relatifs et précaires dans la mesure où le Niger est tout sauf un isolat eu égard à la centralité de sa position géographique.
Cette lucidité ne doit pas pour autant nous faire peur, mais plutôt amplifier notre mobilisation, raffermir notre moral et nous donner plus encore de raisons légitimes de nous battre. Nous avons ici deux grandes batailles à emporter, pour être assurés de gagner cette guerre. La bataille militaire est la plus visible, la plus concrète, la plus mesurable.
Conscients de la mesure du défi à relever, nous nous sommes engagés, très tôt, aux côtés de nos frères dans la sous-région, dont la Mauritanie, à nous organiser au sein du G5 Sahel pour mener un autre Jihad, le vrai, pour contrecarrer une entreprise criminelle visant à souiller la réputation de notre sainte et miséricordieuse religion pour assurer à nos concitoyens un climat favorable afin de mener et gagner paisiblement la vraie guerre qui vaille, celle contre l’ignorance, la pauvreté qui en découle et l’instabilité.
Mais une autre bataille, celle de la doctrine religieuse, celle plus généralement des idées politico-religieuses, est tout aussi importante à mener et à emporter. Car au fond, si nous devrions gagner seulement le combat par les armes, notre victoire pourrait n’être que provisoire. Pour rendre nos victoires militaires durables, pour les élever au rang de conquêtes politiques stratégiques, nous devons impérativement leur donner une base solide, celle d’une société équilibrée où l’extrémisme ne pourrait prospérer.
Le rôle des oulémas est donc bien central et décisif dans ce combat de survie et de développement que mènent nos pays face à la violence terroriste. Je milite pour une meilleure synergie, un rapprochement au sein de nos sociétés, pour moins de divisions, moins d’antagonismes et de conflits et pour plus de fraternité, de convivialité et de dialogue. C’est la condition sine qua non de notre décollage.
Je perçois dans le contexte actuel de nos sociétés des comportements qui expriment comme une demande de religion : soit nous donnons une offre compétitive et attractive, soit d’autres entraîneront nos concitoyens vers des horizons d’impasse. J’ai longuement discouru, l’année dernière, sur notre refus de laisser notre sainte religion, l’Islam, se faire prendre en otage et se faire défigurer par des groupuscules obscurantistes éloignés des besoins essentiels de nos populations. La paix est la base, la condition indispensable du développement.
Vous avez choisi, avec une grande pertinence, de mettre la présente édition de la Conférence sous le thème «Sommet des jeunes faiseurs de paix africains». Quelle belle perspective et heureuse promesse que de mobiliser nos jeunes pour être des faiseurs de paix face à tant de jeunes terroristes, faiseurs de guerre.
A cette occasion, j’aimerais porter ici des messages à nos jeunes, à nos oulémas, à nos imams, à nos enseignants dans les écoles coraniques, à nos prédicateurs…Ce sont en fait des conseils venant d’un Président démocratiquement élu, qui s’impose de rester démocrate, qui a toujours vécu en Afrique, qui y est né , y a étudié, y a travaillé, qui ne s’en est jamais lassé, qui en connaît donc minutieusement les ressorts, les défis et les potentiels.
Deux priorités me semblent décisives pour notre devenir collectif :
1- Investir massivement dans l’éducation : pour vaincre l’ignorance, élever une digue contre l’extrémisme, donner des compétences et des savoir-faire, permettre aux gens de vivre dignement de leur labeur, améliorer la productivité et le rendement économique, donner à chaque individu l’occasion de se réaliser et aux pays les chances d’émerger … rien de tout cela ne serait possible que si nous accordions durablement la priorité à notre école et plus généralement à notre système éducatif et de formation professionnelle.
Au Niger, je me bats plus précisément encore pour faire baisser la perdition scolaire, parmi les jeunes filles en les gardant plus longtemps à l’école, pour faire reculer l’âge de leur mariage et par voie de conséquence améliorer nos agrégats démographiques et économiques. Ce combat là, chers oulémas, mérite votre soutien, pour le rendre plus acceptable au sein de nos sociétés. C’est là le moyen le plus sûr de réguler notre société, pour la rendre plus forte et plus juste. La solution passe notamment par un programme de mise à disposition de systèmes d’internats scolaires où les familles rurales pourront envoyer leurs filles étudier, là où l’Etat leur offre la sécurité, le gîte et le couvert.
2- Endiguer l’extrémisme et la propension à la radicalisation : comme je l’expliquais tantôt, il y va de notre paix aujourd’hui et surtout de notre quiétude durable pour demain. C’est en diffusant la bonne compréhension de l’Islam qui est la vôtre, chers oulémas, que nous donnerons à nos sociétés les vaccins efficaces contre le risque de l’extrémisme et du sectarisme.
Aux gouvernements, nos actions auront toujours besoin de votre accompagnement car la société, nos concitoyens, vous reconnaissent une irremplaçable légitimité quant à l’interprétation du message Divin. Dire ce qui est religieusement licite ou illicite est votre apanage : c’est une lourde responsabilité et certainement pas un privilège.
Vous pouvez et vous devez agir au quotidien, dans chaque Mosquée, dans chaque école coranique, dans chaque prêche, pour délégitimer le discours radical, disqualifier le propos extrémiste, déconstruire les postulats sectaires, réfuter les fatwas illégitimes, dénoncer les impostures doctrinales, disqualifier les usurpateurs du rôle de leader religieux.
Au pouvoir, nous vous tendons la main pour donner à nos concitoyens la paix des armes et des cœurs, la sérénité des esprits. Là où les terroristes et leurs inspirateurs radicaux font valoir l’intransigeance sectaire, nous devons faire prospérer la culture des dialogues et des réconciliations. Le Prophète de l’Islam Mohamed Sala Allahou aleyhi wa salam n’a-t-il pas dit, en substance, dans l’un de ses célèbres et authentiques Hadith que : «à chaque fois que j’ai eu à choisir entre deux options, j’en ai toujours choisi la plus aisée pour les musulmans».
L’Islam est une religion de la modération, pas celle du maximalisme. Allah nous le dit aussi, sur le mode impératif: «La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Réponds donc au mal qui t’est fait par ce qui est meilleur; et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux.»
Si nous arrivons à inculquer ces deux démarches, d’éducation et de tolérance, dans la tête des jeunes africains, si nous nous rappelons en permanence qu’il y a toujours des alternatives à l’extrémisme, à la violence… nous prouverons alors que l’espérance est toujours vivante parmi nous et que l’avenir nous appartient. C’est cette volonté de se battre aujourd’hui qui rend possible cet espoir d’avenir. Je fais mien le slogan de votre Conférence et je vous invite à faire ensemble la paix en Afrique.
Merci pour votre aimable attention.