
Mme Khadîdja Kangueye (à gauche), avec notre reporter
En milieu rural, les accoucheuses traditionnelles, appelées matrones, sont des actrices incontournables. Dans beaucoup de régions totalement dépourvues de structures sanitaires, la matrone joue un rôle prépondérant lors de l’arrivée d’un nouveau-né dans les foyers. En fournissant des soins prénatals nécessaires, en aidant à l’accouchement et en offrant un suivi postnatal, elles contribuent à réduire le taux de morbidité et de mortalité maternelle et néonatale. Dans la Commune Rurale de Karma, plus précisément dans le quartier de Zimba, Khadîdja Kangueye exerce fièrement cette fonction.
C’est à quelques mètres du marché hebdomadaire de Karma que nous retrouvons Khadîdja Kangueye. Couverte d’un hijab rouge, elle nous accueille avec un sourire bienveillant et contagieux. Mère de plusieurs enfants et âgée de 45 ans, Khadîdja est matrone dans le quartier Zimba depuis quelques années. Un rôle d’accoucheuse traditionnelle qu’elle a appris aux côtés de sa mère dès l’adolescence pour « aider les femmes lorsqu’elles donnent la vie ».
En effet, ayant succédé à sa mère dans cette fonction, dame Khadîdja a des connaissances étendues sur la grossesse et l’accouchement, les soins de base pour la femme enceinte et le nourrisson. Elle aide les femmes de la commune depuis six (6) ans. « Cela fait six ans que j’exerce cette fonction que j’ai héritée de ma mère et c’est avec une grande fierté que je l’ai remplacée. Et je crois que je lui fais honneur », a-t-elle affirmé avec fierté. A ce niveau, il faut préciser que la mère de Khadîdja Kangueye, Hamsou Kotondi, a passé 25 ans en train d’exercer cette fonction.
Khadîdja Kangueye n’a jamais fréquenté une école, ni suivi de formation de sage-femme. Toutefois, a-t-elle notifié, elle a suivi quelques formations organisées par l’autorité municipale de Karma. « Je n’ai pas non plus été dans une école de santé. Seulement avec les formations de la mairie et la collaboration avec les sages femmes de la commune, j’ai appris à me perfectionner. Et maintenant, en l’absence des sages femmes, on fait recours à ma modeste personne », dit-elle.
Sollicitée dans sa communauté et même dans les villages environnants, la bonne dame n’hésite pas à offrir ses services. « Les femmes font appel à elle souvent à des heures indues. Elle ne se soucie pas du danger du dehors. Des fois, on ne lui laisse même pas le temps de se débarbouiller un peu. Aussitôt, elle prend le nécessaire pour se rendre chez la femme en travail », confie la fille de Khadîdja. « Ces femmes me font confiance quand elles font appel à moi, c’est un devoir pour moi de répondre présente. Quand je me rends chez la femme en travail, si c’est un problème qui nécessite l’intervention d’une spécialiste de la santé, j’accompagne moi-même la femme à la maternité. En l’absence de la sage-femme, je suis obligée d’assister la femme en instance de délivrance. Je vais là-bas avec de l’huile de karité pour masser le ventre afin d’accélérer les contractions, des gants, de l’alcool, une paire de ciseaux et certains produits traditionnels …je prends tout le nécessaire », confie dame Khadîdja.
Cependant, malgré son courage et son abnégation, Khadîdja connait aussi des difficultés dans l’exercice de sa fonction de matrone. Entre accouchement difficile et indiscipline de certaines parturientes, la dame en a pour son compte. « Il m’est plusieurs fois arrivé d’avoir des femmes dont le travail est trop long, ou un bébé dans une mauvaise position. Il y a des femmes dont les contractions s’arrêtent momentanément. Mais, avec l’aide de Dieu, on arrive à avoir des solutions », raconte-t-elle.
Poursuivant dans la même lancée, elle ajoute : « hormis les cas d’accouchement difficile, il arrive parfois que les femmes refusent d’aller au CSI en cas de complication. Elles refusent catégoriquement. Nous avons même instauré une amende pour celles qui, malgré notre sensibilisation accouchent sciemment à la maison », soutient-t-elle.
A la question de savoir si elle fait recours à des incantations ou certaines pratiques mystiques ou magiques afin d’augmenter sa chance de réussite et de demander la clémence de Dieu, Khadîdja répond avec un sourire franc que les matrones ont leur secret et que dans tout travail, l’aide de Dieu est nécessaire.
On apprend par sa mère que Khadîdja Kangueye reçoit chaque jour des cadeaux de la part des maris et/ou de femmes assistées lors de leur accouchement. « Elle reçoit du mil, du maïs, du haricot en sacs de 100 kilos et même du bétail parfois en guise de remerciements », a fait savoir Hamsou Kotondi, mère de Khadîdja.
Aujourd’hui, avec la médecine moderne et son évolution, la quadragénaire espère des formations pour s’améliorer. « Nous souhaitons des formations pour approfondir nos connaissances, nous en avons besoin », a-t-elle répété avec insistance.
Rahila Tagou (ONEP), Envoyée spéciale